23 Mai 2024
Les photographies de Frédéric Stucin s’exposent en majesté sur les murs du Carré de Beaudoin, Paris 20e, une grande et belle villa au cœur de Ménilmontant.
Elles nous plongent dans l’ambiance d’ateliers menés par deux danseurs du ballet de l’Opéra de Paris auprès de patients et soignants de l’hôpital Sainte-Anne à Paris.
Danse, photographie et psychiatrie, une rencontre
Pendant deux ans, une fois toutes les trois semaines, les danseurs Antonin Monié et Takeru Coste ont accueilli, à l’Opéra, une vingtaine de volontaires : des patients « stabilisés », c’est à dire en hôpital de jour et en voie de « réinscription psychosociale », accompagnés de soignants dont la présence s’avère rassurante car « il n’est pas simple d’entrer dans le temple de l’art », précise le Dr Alberto Velasco. Pour lui, « Un patient est un humain comme les autres, capable de danser comme les autres. [...] Partant de ce principe, ici tout le monde danse, soignants, patients et même le photographe. L'atelier de danse est une interrogation à laquelle le collectif tente de répondre par un élan engagé avec une esthétique et une force inédites. Or, la réponse parlée est impossible. Elle s'écrit dans l'acte artistique du corps lui-même qui trouve apaisement et jubilation. »
Mieux que les mots, les photos nous racontent ces moments de grâce où la danse rassemble les corps, sans discrimination.
Trois salles, trois temps
Au rez-de-chaussée, des formats monumentaux nous transportent dans les ors et les tentures rouges du Palais Garnier où ont pénétré, d’abord timidement, les participants à cette aventure. Notamment trois majestueux diptyques mettent en regard un danseur en mouvement et le portait posé, en pied, d’un soignant ou d’un patient. À l’étage, sur les murs d’une vaste salle où des groupes de visiteurs et des écoliers seront invités à danser, on entre dans le vif des ateliers : les corps en mouvement sont saisis par l’objectif dans une mise en scène où la lumière arrache les danseurs à l’obscurité —artistes, patients, soignants confondus—. Clairs-obscurs retravaillés au tirage, jeu des flous ou images piquées, contrejours surexposés brouillent les repères entre réel et imaginaire et préservent l’anonymat des uns et des autres... Une troisième salle nous révèle l’ambiance sonore des ateliers : musiques, bribes de phrases accompagnent un diaporama de clichés documentaires en noir et blanc. Frédéric Stucin, diplômé de l’École Nationale Supérieure Louis Lumière, dont le travail mêle portraits et paysages, avait déjà mené ce genre de « reportage » à l’hôpital psychiatrique de Niort et en souligne le « pouvoir médicament »: « Les personnes qui posent se réapproprient leur propre image. »
Atelier de danse animé par Antonin Monié et Takeru Coste avec des patients de l’hôpital Sainte-Anne. Opéra de Paris © Frédéric Stucin. Courtesy Galerie Clémentine de La Ferronnière
Un serment tenu
L’Académie de l’Opéra national de Paris ne se contente pas d’accompagner de jeunes professionnels, elle développe aussi des ateliers en direction du public, afin de changer la perception qu’on a de l’Opéra et de le rendre accessible à tous. En partenariat avec l’Assistance Publique –les 15-20, Hôpital national de la vision, et le groupe hospitalier Sainte-Anne —, l’Académie a mis en place des parcours de découverte, adaptés aux pathologies : visites, rencontres, diffusion de spectacles, et des ateliers de pratique artistique animés par des danseurs ou des musiciens.
Le Serment d’Opéra est le fruit d’une rencontre entre le Docteur Alberto Velasco, psychiatre et psychanalyste au Centre hospitalier Sainte-Anne du GHU Paris psychiatrie & neurosciences, et Myriam Mazouzi, directrice de l’Académie. Leur objectif : introduire les arts lyriques et chorégraphiques dans le quotidien de l’hôpital. Une alliance solide inscrite dans une durée de trois ans minimum.
Ce Serment ( clin d’œil à celui d’Hippocrate) a fait le double pari de déstigmatiser l’image de l’Opéra et celle de la folie. Cette exposition permet aussi de délocaliser ce projet artistique hors des deux établissements partenaires, pour l’amener vers de nouveaux publics.
De la folie à l’espace culturel
La folie du XVIIIe siècle où est présentée l’exposition, ancien lieu de villégiature campagnarde, tient son nom d’un de ses premiers propriétaires, Nicolas Carré de Baudouin. À sa demande, l’architecte Pierre-Louis Moreau y a adjoint une façade de péristyle à quatre colonnes ioniques, à l’italienne. Ce fut la maison de famille des Goncourt, les frères Jules et Edmond qui évoquent dans leur Journal « le lieu enchanteur » de leur jeunesse. L’édifice, devenu successivement orphelinat, centre médico-social et foyer de jeunes travailleurs, est aujourd’hui un centre culturel géré par la mairie du 20e arrondissement qui en a fait l’acquisition en 2004.
Dédié à la création contemporaine et géré par la Mairie, le Carré organise, dans ses espaces de 410 m2 et son auditorium de 93 places, des expositions événements et collabore régulièrement avec les structures culturelles du territoire. Notamment avec le conservatoire du 20e et des écoles de la Ville. C’est un lieu à découvrir pendant l’exposition avec des performances dansées, des visites guidées, des tables rondes sur la psychiatrie et les neurosciences…
Le Carré de Baudouin, 121 rue de Ménilmontant - 75020 Paris
Du 17 mai au 21 septembre 2024 du mardi au samedi de 11 h à 18 h, nocturne jeudi jusqu'à 20 h 30. Entrée Libre
Projections de films de danse le jeudi en nocturne
- Soirée Thierrée / Shechter / Pérez / Pite : The Art of Not Looking Back d’Hofesh Shechter ; The Seasons’ Canon de Crystal Pite
- Play d’Alexander Ekman
- About Jiří Kylián's « Gods and Dogs » de Loup Marcault-Derouard
- Takeru Coste répète « Cri de cœur » d'Alan Lucien Øyen
- PIT, histoire d’une création [ÉP. 3] : les danseurs du Ballet de l’Opéra évoquent la création: avec Antonin Monié et Takeru Coste