24 Mai 2024
Omar Porras, avec la fantaisie baroque qu’on lui connaît, s’attaque aux contes du Napolitain Giambattista Basile pour en extraire une parodie entre grand guignol et cabaret. Savoureux et drôle mélange des genres à la découverte d’un auteur méconnu.
À la napolitaine
Avant les frères Grimm ou Charles Perrault, Giambattista Basile (ca.1575-1632) recueillit dans les tavernes de Naples, Toscane et Sicile des récits populaires que l’on retrouve dans des versions plus connues de Cendrillon, Le Chat botté, Peau d’âne, Blanche Neige, etc.
Le Conte des contes ou le Divertissement des petits enfants (Lo Cunto de li cunti overo lo Trattenemiento de peccerille) qu’il signe sous l’anagramme de « Gian Alesio Abbattutis » vers 1625, fut publié entre 1634 et 1636, à Naples, après sa mort. Rien d’édulcoré dans ces histoires écrites dans la langue truculente de Naples, avec des personnages grotesques, des situations comiques, parfois scabreuses, voire scatologiques. Le recueil, également connu sous le nom de Il Pentamerone (en référence au Décaméron de Boccace et à l’Heptaméron de Marguerite de Navarre), s’articule autour de dix conteuses qui narrent chacune cinq histoires différentes pendant cinq jours. Ces histoires sont enchâssées dans un « récit-cadre » initial, et ponctuées de proverbes et autres maximes populaires.
Il était une fois, il était deux fois, il était trois fois
L’adaptation théâtrale garde la faconde méridionale et la structure à tiroirs d’Il Pentamerone, insérant dans un premier conte d’autres récits et actions secondaires.
Nous cheminons à travers ce riche matériau sous la houlette d’un Monsieur Loyal enjoué, le Docteur Basilio (Philippe Gouin) et en compagnie des protagonistes de la première histoire, qui se glisseront, à grand renfort de costumes et d’accessoires, dans la peau de multiples personnages.
Ambiance conte de fée, pour commencer : au cœur d’une forêt profonde, dîner chez Monsieur et Madame Carnesino, et leurs enfants, Prince et Secondine. Nappe blanche, chandeliers d’argent, serviteurs zélés. Arrive le Docteur Basilio. Consulté pour guérir Prince de sa mélancolie, il propose une thérapie par les contes...
Affreux, sales et méchants
On part très vite dans une parodie en mode burlesque : le père est grivois et glouton, la mère aguicheuse, perruque rousse et fume-cigarette au bec, la fille chipie et bigleuse, le fils benêt, la servante maladroite et grincheuse, le cuisinier s’exprime en gromelot. On sert « du rôti de louve sur lit de cervelle », le repas devient sanguinolent, l’ambiance électrique, la cuisine prend feu... Et d’histoire en histoire, Omar Porras nous balade dans un univers farfelu, onirique, forçant le trait jusqu’à oser la mauvaise blague... Loin des images d’Épinal qu’on sert aux enfants, ces contes s’avèrent grivois (une femme adopte un serpent), cruels (une princesse se fait couper les mains par un serviteur plutôt que d’épouser son père), avec comme il se doit, leur cortège de marâtres acariâtres, de pères incestueux, de princes séducteurs, de fées et de sorcières...
Les auteurs ne se sont pas privés de détourner, voire de réécrire, ces histoires à la sauce contemporaine. Par exemple, Soleil Lune et Thalie – l’une des variantes de La Belle au bois dormant – devient une version hard et féministe. Le Roi, qui viole la Princesse Thalie dans son sommeil et lui donne deux enfants (Soleil et Lune), sera puni de prison par Reine, son épouse, devenue l’alliée de la Princesse. Giambattista Basile, lui, fait de l’épouse trompée une Médée qui sert au mari adultère ses bâtards en festin...
Du spectaculaire à gogo
La mise en scène, très corporelle, tissée de gags, joue avec les codes de la commedia dell’arte, du grand guignol et de la comédie musicale. Le décor s’aménage le temps d’une chanson – la plupart des comédiens sont aussi chanteurs et se mettent au piano ou au violoncelle – ou de proverbes et facéties servis par Philippe Gouin en animateur cocasse, costume à paillettes, dans le style de Cabaret de Bob Fosse.
Les interprètes se prêtent à toutes les métamorphoses et l’on finit en apothéose, par une revue de music-hall, avec plumes et lancer de confettis et serpentins, sur une musique reprise en cœur par le public qui salue cette heure cinquante de divertissement par un tonnerre d’applaudissements.
Le Conte des contes
S Conception et mise en scène Omar Porras (Teatro Malandro) S Texte Giambattista Basile S Adaptation et traduction Marco Sabbatini et Omar Porras S La chanson Angel a été composée par Philippe Gouin (Fabiana Medina / Philippe Gouin) S Le Conte des contes est publié aux éditions Circé ; le texte du spectacle à l’Avant-Scène théâtre S Avec Simon Bonvin (Prince), Melvin Coppalle (Le cuisinier, Corvertto Filadoro), Philippe Gouin (Docteur Basilio), Jeanne Pasquier (La mère), Cyril Romoli (Le père), Audrey Saad (Secondine), Marie-Evane Schallenberger (La bonne Caradonia Italia) S Scénographie Amélie Kiritzé-Topor S Composition, arrangements et direction musicale Christophe Fossemalle S Création sonore Emmanuel Nappey S Re-création lumière Mathias Roche, Omar Porras S Chorégraphie Erik Othelius, Pehau-Sorensen S Costumes Bruno Fatalot S Assistanat costumes Domitile Guinchard S Accessoires et effets spéciaux Laurent Boulanger S Maquillages et perruques Véronique Soulier-Nguyen S Assistanat maquillages et perruques Léa Arraez S Couture et habillage Julie Raonison S Construction du décor Chingo Bensong, Alexandre Genoud, Christophe Reichel, Noé Stehlé S Production / Production déléguée TKM Théâtre Kléber-Méleau, à Renens S Coproduction Théâtre de Carouge, à Genève S Avec le soutien de Pour-cent culturel Migros, Fondation Champoud, La Fondation suisse pour la culture, Pro Helvetia (tournée) S Durée 1h50
Théâtre Nanterre Amandiers – 7, avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre
Du 16 mai au 1er juin 2024 Mar, mer à 19h30 / jeu, ven à 20h30 / sam à 18h / dim à 15h
https://nanterre-amandiers.com