27 Mai 2024
Du 16 mai au 16 juin 2024, 40 propositions, pour nombre d’entre elles gratuites, rassemblent l’équipe de la Scène nationale de Châteauroux, l’Équinoxe, et les habitants dans un projet festif où le mouvement, le cirque et la danse jouent un rôle prépondérant. L’occasion de voir des propositions originales, pour la plupart liées aux arts de la rue.
Le Festival offre, à travers son thème et son choix d’une majorité de spectacles gratuits – 29 sur les 40 proposés – l’opportunité de resserrer les liens entre la Scène nationale et la population et d’inciter ceux qui hésiteraient à passer la porte de l’établissement parce qu’ils considèrent que la culture et l’art ne sont pas pour eux à franchir le pas. Son visage est multiple : adressé à toutes les classes d’âge, il présente aussi une variété d’approches pour toucher des publics différents. Sa démarche se double cette année d’un événement particulier : Châteauroux sera, avec Lille, Marseille et Papeete, une ville olympique des JO d’été. Le Centre national de Tir sportif (CNTS), le plus grand d’Europe, y est en effet installé dans d’anciens locaux de l’armée américaine et la qualité de son équipement l’a fait choisir pour abriter l’épreuve de tir sportif. La flamme olympique passera donc par Châteauroux le 27 mai et les premières médailles des JO y seront décernées.
Après le dégel 2024
Faire place au sport dans la programmation artistique 2024 de l’Équinoxe, la Scène nationale de Châteauroux, s’imposait tout naturellement pour amplifier encore davantage l’événement que constitue l’hébergement d’épreuves des JO dans la ville. C’est pourquoi le festival 2024 fait une large place au sport, même si ce thème donne lieu à de savoureux détournements. Ainsi Frédéric Ferrer a-t-il prononcé deux de ses vraies-fausses conférences, aussi érudites que cocasses, tirées de sa série « Olympicorama » sur le thème du tennis de table et du tir rapide au pistolet à 25 mètres et à la carabine. Ainsi les musiciens classiques qui ont fait l’ouverture du festival se sont-ils présentés à vélo, leur moyen de locomotion habituel pour effectuer leur tournée, alors que le pongiste était, lui, sur scène. De la même manière la natation se pratiquera au cours du festival en baignoire tandis que le jonglage footballistique, ou freestyle football, se teinte de chorégraphie. Rien n’est tout à fait à sa place dans ce parcours bigarré qui installe le corps à la première place, même si le poids des médailles le fait crouler sous sa charge.
Une programmation diversifiée qui fait place aux œuvres les plus diverses
Déambulations, fanfares et bals ou initiations à la danse, accompagnés par une programmation cinéma, sont au menu et le rire souvent au rendez-vous. Les femmes sont à l’honneur, qu’il s’agisse des onze danseuses bouillonnantes d’énergie de Fêu de Fouad Boussouf, des acrobaties féminines et fusionnelles de la Boule ou du match-spectacle où six comédiennes bravent les interdits pour pratiquer des épreuves d’athlétisme, Starting-Block. Dans Tir sacré, deux danseuses détournent l’emphase qu’on connaît des commentaires sportifs. Avec Des femmes respectables, quatre interprètes féminines se font militantes en rendant hommage à des femmes âgées de milieux populaires qui se sont battues pour gagner le droit à l’existence au travers d’une chorégraphie accompagnée de témoignages.
Dis oui ! La triste histoire d’un homme qui ne pouvait que mal tourner
Plus insolite et sombre, dans le registre féminin, est la proposition de Nicolas Givran, qui emmêle et détourne les codes dans un spectacle atypique où théâtre, vidéo et musique forment un puzzle dont on ne mettra les pièces en place qu’à la fin. À l’entrée dans la salle, un musicien est assis. Il joue de la kora électrique, un instrument proche de la harpe venu du Mali. À ses pieds, une console lui permet d’utiliser toutes les possibilités de l’électronique pour en moduler le son, créer des répétitions de motifs, donner à l’instrument une étendue plus orchestrale. Près de lui, un écran laisse voir un torse d’homme qui respire, lentement.
Une voix off, masculine, s’élève. Elle reprend en boucle toujours les mêmes expressions : « Dis oui ! », « Pourquoi pas ici, maintenant ? » Elle narre, accompagnée par la musique, l’histoire de Mathew, un garçon à peu près comme les autres mais pas tout à fait, renfermé, mis à l’écart, parti d’on ne sait où – sans doute, comme semble le suggérer l’instrument de musique, d'un village d’Afrique – pour chercher du travail. Son seul « contact » est un père qui ne lui répond pas et à qui, pourtant, il écrit avec obstination. Mais rien ne va pour Mathew qui entame une descente aux enfers. Son seul havre, c’est le bar où il boit ses maigres ressources. Il finit par y rencontrer une fille. Mais il se voit comme un raté et d’échec en échec, il perd pied. La violence sera au bout du chemin.
Tandis que se déroule le récit de Mathew, le buste s’anime. Des doigts s’en approchent, le touchent, le triturent, à l’image de ce que vit le narrateur. Effleurements discrets comme il le rêverait pour la jeune femme qu’il n’ose approcher, poitrine qui se soulève, accélération de la respiration lorsque le désir monte en même temps que le désespoir, apparition d’une tête déformée, monstrueuse, à la mesure de l’opinion qu’il a de lui-même. La musique épouse ses états d’âme, rythme ses phases de détresse, inonde de sons grondants et grinçants la violence qui monte en lui. Jusqu’à l’irréparable.
Et lorsque s’éteignent et la voix et l’image et la musique, on découvre que la partition de ce trio corporel, vocal et musical puissant n’est que l’incarnation d’un seul personnage dont les avatars représentent une dissociation de sa personnalité en trois figures d’héritage, de solitude et de pulsion.
Football freestyle ou danse footballistique ?
Tous les petits garçons ou presque ont rêvé de jongler avec le ballon rond comme le faisait Ronaldinho à sa grande époque. Mais le freestyle va bien au-delà. C’est dans les années 2000 qu’il devient un sport populaire, en 2012 que la première structuration associative de ce sport apparaît. Sit, upper, ground, blocks, combo, stall, clipper, no touch sont autant de catégories et de spécifications qui définissent ce jeu d’ont l’une des caractéristiques est la recherche de la performance et le refus à tout prix de la chute intempestive du ballon. Paul Molina les pervertit pour retrouver avec le ballon l’essence d’un mouvement, la recherche d’un équilibre, la grâce d’une figure, une gestualité qui détache la discipline du sport pour la rapprocher de la danse et en faire un art à part entière. Avec Portrait dansé, en travaillant avec la chorégraphe Mélodie Joinville, il aborde une autre manière de voir le football freestyle. Dans un spectacle entrecoupé d’extraits d’interviews où il explicite sa démarche, on voit se dessiner une conception qui fait s’affronter beauté et performance et qui revendique le droit au ratage, mais ce qui frappe surtout, c’est l’inventivité qui se révèle à travers les formes qu’il crée comme dans un film muet où le ballon serait la voix absente, conservant dans certaines parties le mouvement du ballon et la dynamique du geste alors même que l’objet est absent. Le jeu qu’il introduit entre la présence et l’absence tangible du ballon ouvre la voie à une recherche pour le moment encore un peu embryonnaire mais déjà très intéressante.
Dans l’univers de la marionnette, dites Kréatures
Sur le parvis de l’Équinoxe, les spectacles vont se succéder. Petits et grands sont présents et Philippe Chaigneau a monté sa drôle de maison encombrée de cartons de toutes tailles et de boîtes et de malles dont il tire chaque fois, tel un prestidigitateur de son chapeau, les créatures les plus étranges. C’est un oiseau au bec de carton et aux ailes formées par un vieux parapluie à pois, un animalcule bizarroïde qui tourne autour d’une barre, un loup qui n’effraye personne et des guêpes qui vibrionnent. Ça sort par tous les trous avant d’y rentrer aussi sec, ça na ni queue ni tête, même si la marionnette qu’il manipule à la main ou à l’aide de tiges en a une de chaque. Le tout dans un bric-à-brac invraisemblable où globe terrestre, scènes de montagne et cadre vide encombrent l’espace.
On part à une chasse au papillon à la poursuite de sacs en plastique qu’on ne parvient pas à attraper et le filet devient poisson ondulant dans l’eau pour tenter d’avaler plus petit que lui. L’hétéroclite est la règle et la récupération la loi. Le détournement est de rigueur. Dans cet univers du factice peuplé de créatures extraordinaires où l’homme brille par son absence, les petits sont à leur aise mais pas qu’eux. Tous entrent de plain-pied dans ce bestiaire insolite et muet où l’on fait comme si.
Et maintenant, place au cirque !
Ça pourrait être en effet un cirque. La structure métallique est en place, les poteaux sont dressés. Mais il n’y a pas de tente parce que rien ne va plus. Le machiniste-accessoiriste a disparu dans la nature et l’artiste qui doit se produire sur la corde lisse déborde d’anxiété tout en prenant le spectateur à témoin. Pour meubler l’attente, parce qu’il est volubile et attentif à satisfaire « son » public, il débite l’histoire du cirque, de la dimension de la piste, de sa forme circulaire et tutti quanti.
Il va trouver une aide dans une Marcelle – non, Estelle le reprend-elle chaque fois – qui, loin s’en faut, ne brille pas plus par son efficacité que son papillonnant et fébrile « patron ». De glissades en ratages, d’objets égarés que les enfants désignent à grands renforts de cris, de nœuds intempestifs qui obligent à une position acrobatique pour solutionner le problème, de costumes qu’on tente désespérément de maintenir sur un cintre accroché à une corde inclinée tout en évoquant les raisons de l’absence de vert sur scène, on retrouve l’art du clown, sans nez rouge ni costume arlequinesque ou pailleté. Construit sur la connivence avec le public, le spectacle n’en révèlera pas moins, quand le moment sera venu, un travail acrobatique sur le fil de grande qualité.
Bain collectif ou baignoire publique ?
Ils ont dû se ménager un chemin entre les spectateurs, nombreux, qui encombrent l’aire de jeu. Ils ne sont pas tortues traînant leur maison sur leur dos. Eux, c’est leur baignoire qu’ils trimballent, les trois hommes en maillot qui ont décidé de s’installer là. Mais trois hommes dans une baignoire d’un mètre de long, ce n’est pas forcément commode. On le devine, la contrainte de l’objet leur offrira le jeu oulipien dans lequel évoluer. Partenaire acrobatique, ce récipient tout en creux et en arêtes leur fournit points d’appuis et matière à glissades, lieu où se cacher en même temps que lieu où se mélanger, roulant les uns sur les autres, se fournissant des bases de portés, jouant sur le déséquilibre, expérimentant le tiraillement et l’extension en échelles avec une imagination débordante – qui remplace avantageusement l’eau – et une faconde à l’envi. Car en plus d’être les uns sur les autres ou de se marcher dessus et de savoir où se mettre dans cette exiguïté sans cesse en mouvement, ils font de même avec la parole. Ils nous inondent – un peu trop, cependant – dans un flot de réflexions où l’on passe des mots en « ique » comme climatosceptique à la surpopulation de cerfs et à leur extinction. Au total, on navigue dans le non-sens avec une parfaite bonne humeur tout en admirant l’inventivité dont ils font preuve dans leur exploitation de l’espace et des rapports des corps.
Attention ! Groupe d’Intervention Globalement Nul dans les parages !
Aux espaces confinés succèdent les grands espaces. Nous voici maintenant face à un bâtiment. Sur le toit, quatre silhouettes en noir gesticulent – oui chef, bien chef, merci chef ! pourrait-on entendre s’ils parlaient. Mais ils vont tenir près d’une heure avec une histoire sans parole. Ça se tâte, ça hésite, ça se concerte ou plutôt le chef donne des ordres et les autres obéissent, avec plus ou moins d’empressement et d’enthousiasme.
À mi-hauteur, un panda est accroché. On devine que les membres de ce GIGN d’un genre un peu particulier sont là pour une mission de sauvetage. Mais visiblement, ça ne fume pas vraiment à l’intérieur de leur crâne. Ils oublient de fixer la corde qui est censée leur permettre de descendre en rappel. Ils se retrouvent plaqués sur la façade du bâtiment dans des positions d’appui pour le moins curieuses et acrobatiques et ils finissent avec le pantalon sur les chaussettes. Et on ne parle pas du harnais dans lequel ils s’emmêlent les pinceaux. La suite est à l’avenant. Chacun s’est inventé un personnage. Il y a bien sûr le faux simplet un peu malicieux qui n’en fait qu’à sa tête, le p’tit malin qui arrive toujours à s’en sortir et la walkyrie à grosse natte blonde qui joue les ballerines. Sans compter un chef plus vrai que nature dans sa volonté d’être obéi au doigt et à l’œil ! Ils croquent en raccourci une humanité cocasse autant que maladroite et raillent avec jubilation les travers d’une société en perdition qui marche sur la tête. Le public n’en perd pas une miette. C’est pour ça qu’il les aime…
Comme on le voit à travers cette présentation de ce qui couvre seulement cinq heures de spectacles dans le cours du principal week-end concerné par le festival, on mesure les grands écarts que les thèmes du corps et du mouvement autorisent. On ajoutera pour conclure que l’exploration que propose Après le dégel est, à sa manière, emblématique de la fusion des genres du spectacle vivant à laquelle on assiste aujourd’hui. Il n’y a pas qu’entre les sexes que les différenciations genrées sont remises en cause !
Festival Après le dégel – Châteauroux 2024 www.equinoxe-chateauroux.fr
« Femme olympique ». Une édition exceptionnelle dédiée au sport parrainée par Nelson Monfort
Dis oui S Texte Daniel Keene traduit par Séverine Magois S Mise en scène, interprétation Nicolas Givran S Avec Nicolas Givran (jeu), Sami Pageaux (kora) – sam. 25 mai | 14h & 19h30 Équinoxe – La Maisonnette S Théâtre – Concert S Production Compagnie Qu’avez-vous fait de ma bonté ? S Durée 30 mn S Tout public à partir de 16 ans (Site de la compagnie https://quavezvous.wixsite.com/quavezvous)
Kréatures S De et avec Philippe Chaigneau – sam. 25 mai à 15h | Dim. 26 mai à 15h Équinoxe – Le Parvis S Marionnette et cirque S Production Compagnie Le Chien Fou S Durée 45 min S Tout public à partir de 3 ans (Site de la compagnie https://www.cielechatfou.com/)
Portrait dansé de Mélodie Joinville | Paul Molina S Chorégraphie Mélodie Joinville S Interprétation Paul Molina – samedi 25 mai à 14h30 La Chapelle des Rédemptoristes : dimanche 16 juin 16h30 La Pratique de Vatan (dans le cadre du festival En Pratiques #5) Danse – Performance S Paul Molina est artiste associé en développement à l’Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux S Production déléguée Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux S Durée 25 min S Tout public
Branle-bas de combat S Porteur de projet Paul Longuebray S Artistes Paul Longuebray, Clara Michel – sam. 25 mai à 16h Équinoxe - Le Parvis Art de la piste - cirque S Production Le nouveau Cirque d’Avant - Paul Longuebray S Coproduction et résidence Équinoxe - Scène nationale Châteauroux ; Scène et territoire ; DRAC Grand-Est S Soutiens et résidence Theater op de Markt, Dommelhof, Ville de Langres, Compagnie LU2, Strasbourg, Les Baladins du miroir, Jodoigne, Cabaret EQART, Moeurs-Verdey, TRAC, Reims, Maison communale du chemin Vert, Reims S Durée 45 min S Tout public (Site de la compagnie https://nouveau-cirque-davant.com)
Baignoire publique S Coauteurs et interprètes Samuel Maugin, Simon Laporte-Daube, Benjamin Dumetie S Regard dramaturgique Anna Jacob S Regard acrobatique Saphia Loizeau – sam. 25 mai à 17h | Dim. 26 mai à 16h45 Équinoxe – Le Parvis Acrobatie S Production Compagnie Cirque compost S Soutiens Théâtre Spirale, Edc Circadour, Edc Turbul’, Edc Cirque Ensemble, Edc Passing, Edc Hurluberlu, Edc Le Lido, Ass Art Mixte, Ass The Serious Road Trip, Co Danza Lumbra S Coproductions Équinoxe Scène nationale de Châteauroux Lacaze aux Sottises S Durée 45 min S Tout public (Site de la compagnie https://simsamcirque.wixsite.com/cirque-compost)
GIGN Groupe d’intervention globalement nul S Metteur en rue Stéphane Filloque S Avec Alex Delmastro, Hélène Larrouy, Laurent Bonnard, Fred Séchet, Will Courtais, Martin Ortiz – sam. 25 mai | 18h Équinoxe – Le Parvis S Spectacle de rue burlesque S Production CARNAGE Productions S Créé dans le In d'Aurillac en 2000 S Coproduction Eclat, Aurillac (15) S Durée 55 min S Tout public (Site de la compagnie https://www.carnageproductions.fr/)