16 Août 2024
Il y a chez Laurène Marx, performeuse trans non binaire, une authenticité qui touche et qui séduit. Elle expose dans ce spectacle une autre facette de sa personnalité complexe.
On l’avait connue mordante sans être agressive, militante sans drapeau, revendiquant avec humour et panache son droit à la différence, et derrière elle tous ceux que la société a mis à l’index, la voici poétesse, empruntant au conte pour enfants une autre manière de raconter le traditionnel « il était une fois ». Si les princes et les princesses se sont fait la malle, il n’en est pas de même des monstres, qui occupent dans le récit le rôle bienfaisant de complice de transgression et de révélateur de soi-même. Cette histoire d’ailleurs ne met pas en scène, sauf par ricochet, le monde des « grands » mais celui, enchanté, des Tout-petits qui peuvent faire copain avec un nuage nommé Nuage.
Un récit directement adressé au public
L’une des forces des spectacles de Laurène Marx est son adresse directe au public, le registre de la confession qui prend à témoin, qui interpelle le spectateur. Elle est à l’avant-scène, parfois agenouillée pour se rapprocher encore davantage de celui auquel elle s’adresse. Elle le – nous – regarde dans les yeux, elle sollicite une réaction, une réponse. Parce que l’histoire qu’elle raconte est rattachée à ce que les médecins appellent trouble dissociatif de l’identité. Pas seulement en raison des personnages qui se pressent dans sa tête et qui sont l’héritage du passé mais aussi par ce qu’elle est aujourd’hui – différente – et qui conduit les médecins à vouloir l’enfermer. Alors elle convoque les figures protectrices de son enfance parce que « Grandir c’est juste déserter » et que lutter, c’est retrouver sa part d’enfance, loin de la cour des grands.
Un récit introspectif et accusateur
C’est dans un éclairage presque intimiste, au son d’une musique des états d’âme, variation entre mélanges d’ambiances électroniques correspondant aux parts d’ombre du texte, synthés new-wave dont la légèreté renvoie à la « naïveté » affichée du récit pseudo-enfantin et fragments de dance-music où le corps se lâche et investit l’espace que se précise ce récit introspectif qui tourne en boucle autour de l’exclusion et de la mise à l’index de ce et ceux qui rejettent la norme. Il stigmatise ceux qui voudraient tourner le dos à la nuit comme ils le font à la beauté, appelle à retrouver son « besoin caché ». Cette colère que Laurène Marx porte en elle, née de la place qu’on lui a assignée de « pas comme les autres », elle veut l’évacuer pour qu’il ne soit plus trop dur d’être soi et assumer de « ne plus jamais être autre chose qu’autre chose. »
Dans ce récit poétique de l’enfance passée, plus « écrit » que performé, la flamboyance de Pour un temps sois peu laisse la place à la confession d’une souffrance qui, en dépit de la volonté farouche de passer outre, reste une plainte lancinante qui s’enracine dans les premières années de la vie. Et même si l’on peut trouver quelques longueurs à ce serpent qui se mord la queue sur le thème de la différence, on reste touché par la sincérité qui émane du texte et révèle des plaies qui restent à vif. Laurène Marx, dans sa manière de faire de son expérience de vie de trans non-binaire la matière de ses spectacles, est unique. Et émotionnante.
Je vis dans une maison qui n’existe pas
S Texte, mise en scène et jeu Laurène Marx S Collaboration artistique Fanny Sintès S Création sonore Nils Rougé S Création lumières Kelig Le Bars S Production Compagnie Je Je t’accapare / Bureau des Filles S Coproduction Théâtre Ouvert, Bain Public – St Nazaire, Maison Poème – Bruxelles S Durée 1h15
Du 11 au 16 avril 2024. Lundi et mardi à 19h30, du jeudi au samedi à 20h30
Théâtre Ouvert - 159 avenue Gambetta, 75020 Paris
TOURNÉE
- Festival Chahuts – TNBA – CDN Bordeaux le 14 juin 2024
- Far Festival – Nyon (Suisse) du 14 au 17 août 2024 (2 représentations)
- Théâtre National de Strasbourg du 3 au 7 décembre 2024 (5 représentations). De Laurène Marx, au TNS : Pour un temps sois peu, du 26 au 30 novembre 2024
- Université de Lille du 12 au 14 mars 2025 (2 représentations)