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Arts-chipels.fr

Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui l'écoute. Un hymne à une amitié sans frontière.

Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui l'écoute. Un hymne à une amitié sans frontière.

Deux hommes vivent chacun d'un côté de la Méditerranée. L’un est écrivain, l’autre musicien. Ils sont amis et leur échanges composent une chronique du temps comme il vient où le Maghreb occupe une place de choix.

Ils sont tous deux amateurs de vin. L’un est français : il est jazzman et joue de la trompette, entre autres instruments. L’autre est algérien, originaire de la wilaya (préfecture) de Mostaganem. Et il écrit en français, comme Kamel Daoud qui a fait de la langue française son outil de prédilection, dont l’œuvre écrit et l’histoire nourrissent le spectacle. Leurs échanges, au cours de leurs rencontres ou à travers leur correspondance, constituent la matière de la pièce. Au fond de la scène un écran matérialise le décor. On y verra apparaître aussi bien les plages de sable blond que les ruelles étroites d’Alger ou d’Oran.

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

À l’origine, le parcours d’un écrivain franco-algérien.

Kamel Daoud, écrivain et chroniqueur au Point, a d’abord été journaliste puis chroniqueur au Quotidien d’Oran. Sa carrière est jalonnée par une suite de prises de positions courageuses qui ne sont pas sans conséquences puisqu’elles le conduiront, en 2020, après avoir quitté l’Algérie, à obtenir la nationalité française. C’est d’abord en français qu’il choisit d’écrire parce que la langue arabe, enfermée dans le carcan du Coran, « est piégée par le sacré ». Sur le plan politique, il se montre ouvertement critique du régime d’Abdelaziz Bouteflika. Sur le plan religieux, il appelle au débat sur la question de Dieu pour « réhabiliter l’homme », ce qui lui vaut d’être frappé d’une fatwa par un imam salafiste, Abdelfattah Hamadache Zeraoui. Il porte plainte devant la justice. L’imam, d’abord condamné, voit sa condamnation annulée par la cour d’appel d’Oran pour « incompétence territoriale ». Enfin, lorsque dans une tribune publiée par le Monde en janvier 2016, à propos des agressions sexuelles du Nouvel An en Allemagne, il fustige le « rapport malade à la femme, au corps et au désir » de l’islamisme, il provoque une levée de boucliers d’une partie des intellectuels qu’il accuse en retour de pratiquer une forme d’inquisition en l’offrant en pâture à la haine.

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

Une pièce qui se nourrit des chroniques de Kamel Daoud

Le parcours hors norme de Kamel Daoud et son talent d’écrivain inspirent à Denise Chalem un projet théâtral qui mettrait en scène, d’une certaine manière et en en prenant le contrepied, la relation conflictuelle qui oppose une partie des populations de part et d’autre de la Méditerranée. Elle choisit donc de placer face à face deux hommes que leur histoire et leur profession oppose. L’un est un écrivain algérien, l’autre un musicien français vivant à Paris. Deux artistes, préoccupés par le difficile exercice de leur art, que traverse l’Histoire. Cette Histoire, entre verres amicaux partagés, chants et pas de danse esquissés en commun, reste omniprésente. Elle rappelle l’histoire politique de l’Algérie, les espoirs nés du Hirak, ce mouvement de protestation d’une ampleur considérable qui secoue l’Algérie de février à mai 2019, puis à nouveau en 2021, réprimé par le régime, assorti d’arrestations et de menaces de représailles. Elle exprime la colère devant la confiscation de la langue arabe par les instances religieuses, devant la montée d’une islamisation qui vérole et verrouille tous les rouages de la société et met à l’index tous les partisans d’une ouverture possible. Elle évoque aussi les années covid et la fermeture et le repli sur soi qu’elles ont engendré.

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

Trois personnages en quête d’un monde nouveau

Le choix de faire incarner l’écrivain algérien par un Français de souche, Thibault de Montalembert, et de confier à Ibrahim Maalouf, trompettiste et compositeur né à Beyrouth dont la famille a fui le Liban pour s’installer dans la région parisienne, offre un intéressant croisement dans l’interprétation du texte en plaçant chacun des acteurs, d’une certaine manière, dans la peau de l’autre. Ibrahim Maalouf y révèle une aptitude de comédien qu’on ne lui connaissait pas. Il interprète avec beaucoup de naturel un jeune musicien confronté aux incertitudes et aux difficultés du métier d’artiste en Europe. Denise Chalem leur adjoint un personnage féminin pour aborder l’un des thèmes majeurs liés à l’islamisme : le sort fait aux femmes. On voit ainsi se mettre en place l’effacement imposé aux femmes : foulard et voile d’abord, confinement dans les maisons, maltraitance de la femme « impure », réduction à sa fonction domestique et de mère porteuse. Sans l’espoir d’un changement possible.

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

Un assemblage de fragments

La langue de Kamel Daoud est acérée, pugnace, et elle fait mouche. La musique d’Ibrahim Maalouf, qu’on aimerait entendre un peu plus, révèle le talent diversifié du compositeur-interprète. La complicité entre les deux comédiens fonctionne. Sarah Jane Sauvegrain, en femme arabe de plus en plus acculée au désespoir, porte un plaidoyer convaincant pour les femmes. Tous les ingrédients y sont séparément. Pourtant la sauce prend malaisément. On a le sentiment d’une collection d’objets agencés ensemble qui ne parviennent pas à former une véritable trame dramatique. Est-ce dû au principe de construction du spectacle mélangeant extraits repris de chroniques et textes créés pour construire une continuité ? Difficile à déterminer avec exactitude. On appréciera néanmoins cette vision de l’intérieur qui empêche de céder à l’opposition classique entre ancien colonisateur et ancien colonisé. Il n’y a de blagues juives possibles à raconter pour rester « politiquement correct », dit-on, que par des juifs. La critique d’un certain monde arabe – celui de l’islamiste et de la terreur – ne doit-elle venir que des Arabes eux-mêmes pour être recevable ? La replacer, en tout cas, dans le contexte d’une amitié qui déborde les clivages est lui donner une autre chance d’avoir un impact pour faire bouger le cours des choses...

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui l’écoute

S Écrit et mis en scène par Denise Chalem S Inspiré des chroniques de Kamel Daoud publiées au Point S Avec Ibrahim Maalouf, Thibault de Montalembert, Sarah-Jane Sauvegrain Production Le 13e Art, Samantha Denis

Du 27 février au 31 mars 2024, mar.-ven. 20h30, les sam. à 16h & 20h30, dim. 31/3 17h

Le 13e Art – Centre commercial Italie 2, Place d’Italie, 75013 Paris

Rés. 01 48 28 53 53, guichet13emeart@gmail.com, en ligne sur https://le13emeart.com

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