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Arts-chipels.fr

Le Mandat. Un dos à dos décapant sur les commencements de la Russie soviétique.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Dans la courte période où se referme, sur la révolution russe, l’étau stalinien, un jeune auteur, dans la grande lignée de la comédie russe, « commet » une pièce sur l’absurdité des temps. Après la suivante, le Suicidé, il n’écrira plus pour le théâtre…

C’est un logement soviétique nouvelle formule qui se dévoile sous nos yeux : une pièce unique occupée – anachronisme éclairant pour dire le modeste – par une table et des chaises en formica et dotée d’une alcôve où prend place le lit. Tous ces éléments disent un espace de vie sommaire, voisinant toutefois avec un piano, vestige d’une splendeur passée. Au mur, des tableaux anodins sont pendus. Une icône du Christ est posée au sol, témoin, peut-être d’une hésitation à l’accrocher ou d’un décrochement. On découvrira bientôt qu’un autre occupant, un « locataire », a aussi élu domicile chez les Goulatchine, conformément aux directives révolutionnaires qui imposent de partager les grands appartements bourgeois.

Phot. © Simon Gosselin

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Le socialisme chez les petits-bourgeois

On sent bien que cette cohabitation forcée n’est pas du goût des Goulatchine, d’autant que leur locataire a le côté revanchard du prolétariat face à la bourgeoisie et exerce sur la famille une surveillance permanente et une menace de délation. Ils restent donc sur le qui-vive, attentifs au politiquement correct imposé par le temps. Aussi est-ce en secret qu’ils prient ou pendent au mur des effigies christiques ou des œuvres d’art moderne qu’il leur suffit de retourner, en cas de visite suspecte, pour laisser place à des portraits de Karl Marx. Le cadre est tracé. La pièce mettra dos à dos les tenants d’une société qui se meurt et les partisans d’un monde « nouveau », aussi peu reluisant que l’ancien, qui fera de tous, toutes tendances confondues, les dindons de la farce que définit l’intrigue.

Phot. © Simon Gosselin

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Des nostalgiques de l’ancien régime

Si la première partie de la pièce se déroule chez les Goulatchine, la seconde prend place au logis des parents du futur marié, les Smetanitch. Le père a imaginé ce mariage pour se donner une assise « populaire » et une introduction politique qui le mettront à l’abri d’éventuels problèmes avec les autorités. Une confusion sur le nom de la cuisinière des Goulatchine, qui a revêtu la robe de l’impératrice, fait le reste. Convaincus d’être en présence de l’impératrice, les Smetanitch retournent allègrement leur veste dans l’attente d’un renversement du régime, qui ne saurait être qu’imminent. Dans ce jeu où aucun n’est ce qu’il semble être, tous seront perdants dans ce marché de dupes où tel est pris qui croyait prendre.

Phot. © Simon Gosselin

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Un jeune auteur nommé Erdman…

C’est un très jeune auteur – il a vingt-trois ans – qui s’embarque avec talent et enthousiasme sur les traces des courtes farces de Tchekhov ou de Gogol et de leurs attaques sur le mode burlesque des travers petits et grands de la société. Et il n’y va pas avec le dos de la cuiller, le jeune Erdman qui critique avec la même virulence et la même ironie féroce la mainmise à l’œuvre de Staline sur le pouvoir – la pièce est écrite en 1923-1924 et Lénine meurt en janvier 1924  – et les dérives d’un pouvoir du prolétariat qui fait de la délation un outil et impose par la terreur une série de diktats absurdes – il prolongera d’ailleurs dans la même veine ses attaques avec le Suicidé, désopilante dénonciation de tendances réduites au silence qui voient dans le projet de suicide d’un jeune laissé-pour-compte une commode manière d'avoir un porte-drapeau, une pièce qui lui vaudra trois ans de « séjour » en Sibérie et la fin de sa carrière d’auteur dramatique. 

au pays avant-gardiste d’un metteur en scène nommé Meyerhold

Derrière son texte, c’est un metteur en scène révolutionnaire qui s’avance. Vsevolod Meyerhold est le chantre d’un théâtre où la « biomécanique » du corps de l’acteur est mise en avant, face à la méthode introspective de Stanislavski. L’acteur n’est plus là pour incarner le personnage mais pour s’en faire l’avocat ou le procureur. Le style de Meyerhold s’enracine dans les avant-gardes, le constructivisme et le futurisme, ce qui lui vaudra les foudres du régime, une fois Staline installé au pouvoir. Accusé de trostskysme et d’espionnage en 1939, arrêté et torturé, il sera exécuté en secret le 2 février 1940.

Phot. © Simon Gosselin

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La Nouvelle Politique Économique : le cadre d’une nouvelle idéologie du pouvoir

Le Mandat est représenté avec succès en 1925. En 1921, après l’insurrection des marins de Kronstadt, devant l’impasse du « communisme de guerre » et l’effondrement de l’économie, Lénine décide un retour limité au capitalisme de marché. C’est dans ce cadre que prennent place les personnages du Mandat. Durant cette période, des conceptions radicalement différentes de l’art – qui occupe alors une grande place dans la politique gouvernementale, préoccupée par l’éducation des masses – s’affrontent. Si le Proletkult prend d’abord le chemin de l’avant-garde, ses intentions sont bientôt dévoyées par le stalinisme qui l’orientera de manière exclusive et étroite vers le réalisme socialiste. En 1925, les jeux ne sont cependant pas encore faits et le champ artistique reste en partie ouvert. Avec ses 350 représentations, le Mandat connaît une destinée triomphale sans que la censure s’exerce, alors qu’il développe une vision critique et polémique de l’état de la société.

Phot. © Simon Gosselin

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Un comique grinçant qui transcende le temps

Comique de mots, de gestes, de situations, de caractère, de répétition , doubles sens et quiproquos abondent dans cette pièce où le jeu et le texte peuvent porter des messages antithétiques. Les comédiens, épatants, y barbotent avec jubilation comme poissons dans le marigot, faisant du too much mais pas trop leur ligne de survie. L’outrance est au rendez-vous avec juste ce qu’il faut de délire. Et si l’on est aujourd’hui très loin des impératifs du « communisme » à la russe, les ressorts qui mettent en mouvement la mécanique de ce petit monde demeurent d’actualité. L’esprit de lucre, l’individualisme, le chacun pour soi, l’esprit revanchard n’ont pas perdu une ride et les réseaux sociaux sont là pour nous rappeler que toute délation, tout mensonge, sont bons à prendre, et que de laisser traîner la rumeur il reste toujours quelque chose. En riant sans mesure de ce Mandat où la médiocrité et la menace totalitaire règnent en maître, on se rapproche aussi d’un monde que nous connaissons bien : le nôtre. Entre le rire et l’inquiétude, le pas est petit…

Phot. © Simon Gosselin

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Le Mandat de Nicolaï Erdman. Traduction André Markowicz

S Mise en scène Patrick Pineau / Compagnie Pipo S Avec François Caron (Olympe Valérianovitch Smétanitch), Ahmed Hammadi Chassin (Pavel Serguéïevitch Goulatchkine), Marc Jeancourt (Autonome Sigismundovitch), Aline Le Berre (Tamara Léopoldovna / Ariadna Pavlinovna‚ épouse Zarkhine), Virgil Leclaire (Ivan Ivanovitch Chironkine‚ locataire des Goultachkine), Jean-Philippe Levêque (Stépane Stépanovitch / Un musicien), Yasmine Modestine (Felitsata Gordeïevna‚ épouse Stépanovitch/ La musicienne), Nadine Moret (Varvara Serguéïevna Goulatchkine, soeur de Pavel), Arthur Orcier (Valerian Smétanitch, fils d'Olympe), Sylvie Orcier (Nadejda Petrovna Goulatchkine‚ mère de Pavel), Elliot Pineau-Orcier (Anatole Smétanitch, fils d'Olympe / Le concierge / Un musicien), Lauren Pineau-Orcier (Nastia‚ la cuisinière des Goulatchkine), Patrick Pineau (Zotik Frantsevitch Zarkhine‚ Agafange‚ serviteur‚ ancien soldat) S Dramaturgie Magali Rigaill S Costumes Gwendoline Bouget S Scénographie Sylvie Orcier S Création lumières Christian Pinaud S Création sonore Jean-Philippe François S Régie générale Florent Fouquet S Producteur délégué Théâtre-Sénart, Scène nationale S Producteur Théâtre-Sénart, Scène nationale S Coproducteurs Les Célestins, Théâtre de Lyon ; Espace Des Arts, Scène nationale de Chalon-Sur-Saône ; Maison de la Culture de Bourges ; L'Azimut / Antony - Châtenay-Malabry ; Compagnie Pipo S Durée estimée 2h

TOURNÉE

• du mercredi 6 au samedi 16 mars 2024 (relâche lundi 11 mars) Théâtre des Célestins – Lyon www.theatredescelestins.com

• du mardi 26 au vendredi 29 mars 2024Théâtre-Sénart, Scène nationale

• les mardi 2 et mercredi 3 avril 2024 L’Azimut - Antony / Châtenay-Malabry

• les mardi 9 et mercredi 10 avril 2024 La Comète - Châlons-en-Champagne

• du jeudi 18 avril au dimanche 5 mai 2024 (relâche les lundis 22 et 29 avril) Théâtre de la Tempête – Paris

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