16 Mars 2024
Oyez, oyez, braves gens, la complainte des pauvres gens que les riches n’aimaient pas et n’oubliez pas. Rien ne vaut un éclat de rire, même s’il est un peu relou, sans humour on n’est rien du tout.
Voici la fable très peu parfaite d’une ministre des studettes, les aventures hilarantes de Loulou Belle Gueule et de Chiry Gambette. La triste histoire des puissants et des nantis, du petit peuple et des sans-abris. Sur un vieux tourne-disques s’égrènent des rythmes d’autrefois, une musique nostalgique aux airs de Bonjour, tristesse. Ils sont trois personnages sur scène, à nous observer comme nous les regardons : deux manipulateurs, un homme et une femme, et un comédien musicien et bruiteur. L’histoire qu’ils vont nous raconter dans ce décor de bric et de broc composé de planches posées de guingois et d’un escabeau fatigué n’est pas une histoire classique avec début, péripéties et fin, mais une suite de saynètes dans lesquelles reviendront, tels un air lancinant sur un disque rayé, des types de scènes et de personnages.
L’aventure cinglante aussi bien que cruelle d’une vie habituelle
La narration emprunte aux discours des grands et des puissants et aux poncifs qu’ils véhiculent en forme de slogans et de langue de bois à travers les discours politiques, la publicité et les médias. Leur cible, ce sont les « sans dent », les migrants, les sans-argent, ces « salauds de pauvres ! » pour reprendre la tirade de Gabin dans la Traversée de Paris. Et ils s’en donnent à cœur joie, les grands de ce monde que les petits parfois copient dans une espérance vaine, condamnée d’avance. Pour eux point de salut dans cette farce cruelle que marionnettes, jeu et théâtre d’objets déroulent sur le plateau en une suite de mini-séquences liées par des intermèdes musicaux.
Trois groupes de personnages et leurs scénographies
Trois types de personnages alternent dans le spectacle. On trouve d’abord l’incarnation du pouvoir, jouée par Emma Utges, en ministre qui ramène sa fraise – qui est dans le spectacle un accessoire dont elle s'affuble – sur le terrain des migrants qu’on parque et malmène de plus en plus mais aussi du côté des étudiants où la crise du logement conduit à conditionner le nombre d’étudiants au nombre de logements et non l’inverse. Un humour noir que vient renforcer le tableau – au sens propre puisqu’apparaît sur scène une peinture seulement animée par des têtes et des bras de marionnettes, où les bourgeois étalent leur mépris de classe. Enfin, il y a tous les autres, matérialisés par des personnages en blocs de mousse, tout un petit peuple qu’on écrabouille et qu’on pressure, au sens propre. La moulinette du Père Ubu est devenue mixer qui réduit en bouillie les ouvriers victimes d’accidents du travail.
Il y a, pour couronner le tout, les victimes consentantes du système : l’employée des bourgeois, intégrée au tableau, qui reflète les opinions de ses patrons et le couple en mousse de sans-abri qui d’un ticket à gratter attend une fortune de capitaliste alors que revient comme un leitmotiv le consentement muet de la population.
Si le choix des marionnettes de mousse est parlant et efficace, si les partis pris par groupes de personnages offrent un point de vue intéressant, on reste sur sa faim. Les ficelles sont grosses comme des poteaux, le rythme est ralenti par les changements imposés par la succession des saynètes et le texte, assez « convenu » dans son registre de poncifs, ne fait pas dans la dentelle. Mais peut-être est-ce là justement l’esprit de Guignol, avec sa simplification outrancière et son esprit revanchard ?
S Écriture Simon Grangeat S Direction artistique Emma Utges S Mise en scène Nicolas Ramond S Comédiens, chanteurs et marionnettistes Emma Utges et Christophe Mirabel S Musicien Patrick Guillot S Conception marionnettes Emma Utges S Fabrication marionnettes Sabine Courbière S Scénographie Jérémie Quintin et Nicolas Ramond S Régie générale et création lumière Jérémie Quintin S Production La compagnie M.A. / Théâtre Le Guignol de Lyon S Dès 12 ans
Du 14 au 31 mars 2024. Jeu., ven. 20h, sam. 18h, dim. 17h. Scolaire ven. 15, 10h
Théâtre Mouffetard – Centre national de la Marionnette – 73, rue Mouffetard 75005 Paris