17 Février 2024
Un film émouvant et drôle sur un sujet grave qu’on a plaisir à regarder et où Agnès Jaoui fait merveille. Une belle réussite pour un premier long métrage.
Dans sa boutique de fleuriste, le téléphone de Pierre vient de sonner. Au bout du fil, sa grand-mère, qui lui annonce que sa mère vient d’arriver. On voit, à l’expression de Pierre, que cela le contrarie sans que la raison en soit donnée. Elle doit être suffisamment préoccupante pour que Pierre laisse tout en plan pour se rendre chez elle, laissant au fantasque Ibou la charge de la boutique. La femme qu’il découvre, flamboyante, virevolte dans tous les sens, passe d’une idée à l’autre en permanence, commence des activités qu’elle ne finit jamais. Par petites touches, au fil des questions embarrassées de Pierre, on apprend que sa mère a quitté l’institution dans laquelle elle était soignée, parce qu'elle souffre de bipolarité. Il lui parle de ses médicaments ; elle esquive mais finit par dire qu’elle a cessé son traitement, qui l’abrutit. Bientôt elle l’entraînera sur les routes dans un périple qu’il n’avait aucunement prévu et où chacun, malgré la maladie et les troubles qu'elle entraîne, trouvera le chemin de l’autre.
Une galerie de personnages hauts en couleur
Le film oppose les deux personnalités de la mère et du fils. Complètement habitée, Agnès Jaoui apparaît en mère un peu juive, montée sur ressorts, tyrannique sans excès et sans verser dans la caricature. Elle porte son rôle de femme volubile, excentrique et éclatante de vie avec une fantaisie poétique néanmoins traversée par des éclats d’apathie, voire de douleur et par une conscience de son état. Face à elle William Lebghil est le taiseux, celui qui n’ose pas s’opposer à sa mère, qui se laisse entraîner sur les routes dans l’espoir de la ramener à l’institution qu’elle a quittée. Une présence muette aux colères rentrées dont les mimiques, mesurées, forment le contrepoint à l’énergie démesurée de sa mère. Autour d’eux gravitent une série de personnages savoureux. À côté d’Ibou, le géant bonhomme qui, en l’absence de Pierre, offre des fleurs aux clientes, il y a Lisa, la petite amie, tout droit sortie d’une comédie romantique, dont la relation avec Pierre se vit sur le mode de l’égalité. On trouvera aussi les « passants » croisés au fil de la route, tels ces jeunes rencontrés dans un bar qui offrent un shit « thérapeutique » à Pierre pour calmer Judith, ou le partenaire de celle-ci dans un karaoké endiablé, un soir dans un bar. Dans le film de Julien Carpentier – et cela fait chaud au cœur – le monde est humanité malgré les problèmes, chaleureux et ouvert sur les autres.
La bipolarité, une maladie traitée avec délicatesse
La bipolarité de Judith, une maladie qu’on qualifiait autrefois d’affection maniaco-dépressive, caractérisée par des phases d’excitation intenses suivies d’abattements profonds, est au centre du film, et avec elle la question des relations du malade avec son entourage. À travers le personnage de Judith, Julien Carpentier évoque les symptômes qui caractérisent cette maladie : le manque de sommeil, l’hypersexualité, l’énergie débordante, les vêtements voyants, l’alcool. Il aborde aussi la question des remèdes : des régulateurs de l’humeur, souvent difficiles à doser pour éviter que le malade ne se sente « ensuqué », diminué. Face à l’exubérance de Judith, Pierre se met à l’abri derrière son silence. Il montre à quel point nous sommes désarmés lorsque survient une telle pathologie. Le film se fait l’écho des difficultés que rencontrent les accompagnants dans ce type de situation. Il s’enracine aussi dans l’expérience personnelle puisée par le l’auteur-réalisateur dans son entourage. Julien Carpentier choisit de parler avec humour de la souffrance réelle des individus atteints de bipolarité en même temps que du désarroi de ceux qui les côtoient.
Un roman d’apprentissage
Au fil de leur folle équipée, Pierre et Judith vont apprendre le vivre ensemble, l’écoute de l’autre, et trouver le chemin de ces moments précieux où l’on oublie la maladie pour retrouver l’affection antérieure et la complicité. Pierre découvrira qu’il n’est pas fleuriste par hasard, par souci de gagner sa vie du mieux possible, que son métier a quelque chose à voir avec sa mère et que les fleurs, au-delà de l’activité économique, ont un langage poétique. Judith, de son côté, consciente de ce qu’elle fait vivre à son fils, acceptera de se faire soigner. Au terme de l’échappée belle de cette errance qui les entraîne jusqu’à ces interminables rubans de sable des plages du Nord, au milieu des herbes folles, c’est ensemble qu’ils partageront un coucher de soleil qui augure d’aubes nouvelles.
De ce film tendre et touchant, on sort à la fois ému et ragaillardi. Parce que l’humanité et la compassion existent et qu’elles restent source d’espoir malgré la dureté du monde.
La Vie de ma mère – 2023 – Comédie dramatique – France – 105 min
Sortie en salle le 6 mars 2024
S Un film de Julien Carpentier S Réalisation Julien Carpentier S Scénario Julien Carpentier & Benjamin Garnier S Idée originale Julien Carpentier S Avec Agnès Jaoui (Judith), William Lebghil (Pierre), Salif Cissé (Ibou), Alison Wheeler (Lisa) S Production déléguée Silex Films S Productrices Priscilla Bertin & Judith Nora S Productrice exécutive Marie Darel S Direction de la photographie Martin de Chabaneix S Décors Julie Wassef S Montage image Mathieu Pontier S Ingénieur du son Nicolas Cantin S Montage son Olivier Voisin S Mixage Victor Praud S Musique originale Dom La Nena S Casting Elodie Demey & Aurélie Avram S 1er assistant réalisation Luc Catania S Scripte Soizic Poënces S Maquillage Anaëlle Trogno S Coiffure Rodolfo Zubizarreta Dago S Costumes Charlotte Terrasse S Direction de production Charlotte Terrasse Cécile Rémy-Boutan