16 Janvier 2024
Une scène vide avec dix chaises et quatre interprètes, deux femmes et deux hommes. Le spectacle commence par un long silence où chacun et chacune, dans la salle, attend, s’impatiente et s’interroge. On imagine que nous allons voir un florilège de scénettes absurdes basées sur la bêtise humaine comme nous l’annonce la brochure du spectacle. Peut-être un nouveau théâtre de l’absurde. Et effectivement, avec cependant une notion beaucoup plus caricaturale, ainsi nous assistons à une parodie acide et caustique de nos interactions sociales et intimes dans ce qu’elles ont de toxiques et de malaisant. Ces situations que nous avons toutes et tous vécues, parfois dérangeantes et toujours d’une banalité au limite de l’absurde qui nous perturbent et nous mettent mal à aise. Ainsi Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, chorégraphes tous les deux et interprètes du spectacle se sont intéressés pour ce spectacle « à la genèse du vide », à tout ce qui est « inintéressant », raté, à la limite de la bêtise et de la banalité en pariant que cette banalité porte en elle une richesse sensible et poétique avec des ressorts comiques intrinsèques.
Pari tenu, et presque gagné car au-delà du comique et peut être même par ce comique, il en ressort une cruauté et une analyse fine des interactions humaines qui fait frémir. On aurait pu sous-titrer également la cruelle banalité du quotidien ou interactions toxiques et cruelles de relations amicales et familiales. Ces situations constituent si on y réfléchit des « mini prises d’otages » du quotidien dans lesquelles toutes et tous nous nous retrouvons quel que soit le côté dans lequel on s’identifie. Cela fait sourire souvent, certains, même, ont beaucoup rit avec cependant un arrière-goût un peu amer.
Héritiers du Théâtre de l’absurde.
Claire Laureau raconte que la genèse du spectacle a été une conversation lors d’un voyage en voiture qui a duré une bonne dizaine de minutes sur la taille des galets au Tilleul (petite plage coincée entre deux falaises en Normandie) et au Havre, l’un assurant que ceux-ci sont plus petits au Tilleul, et l’autre qu’ils sont parfaitement identiques.
Même si Ionescu lui-même n’a jamais vraiment accepté ce terme caractéristique de son Théâtre, le théâtre de l’Absurde est cependant bien connu pour mettre en scène des situations de la vie quotidienne et d’en tirer juste par leur reproduction une valeur comique qui permette aux spectateurs de prendre du recul et d’en tirer des analyses plus ou moins conscientes sur sa vie et la société dans laquelle nous vivons. En cela la démarche de ce spectacle a beaucoup de similitudes bien que les créateurs ne le revendiquent pas . Il y a clairement dans ce spectacle un goût de l’absurde et de la dérision qui en fait un digne héritier avec cependant une actualisation des postures beaucoup plus axées sur la vacuité de notre société. Ils décrivent leur démarche ainsi : « nous cherchons à convoquer chez le spectateur un regard microscopique, l’invitant à scruter les moindres expressions et regards, et à y déceler les différents états que traversent les personnages : l’agacement, l’incompréhension, la solitude, l’abnégation... »
Ces scènes créent par leur futilité et une certaine forme de bêtise un sentiment parfois dérangeant mais toujours plus ou comique. Le propos fondamental n’était pas forcément la méchanceté, mais plus une critique acerbe de notre société avec un regard plutôt dubitatif et espiègle, un côté farceur un peu cynique qui peut aller jusqu’à l’impudeur. Et au final cependant, l’humour est gagnant.
Un spectacle centré sur les postures et le corps plus que sur les mots.
Ainsi, la particularité de ce spectacle est qu’il est créé par deux chorégraphes et interprété en grande partie par des danseurs et danseuses sauf peut-être Capucine Baroni qui est comédienne et chanteuse et Julien Athonady qui a un parcours complétement atypique, mime, cirque, danse et photographie. Depuis 2015, ces deux chorégraphes Claire Laureau et Nicolas Chaigneau développent un travail à la frontière entre théâtre et danse, cultivant le goût de l’absurde et de la poésie. Ce qui les intéresse à l’origine ce sont les postures des interprètes, les impacts corporels et gestuels plus que les mots eux-mêmes.
Ainsi Claire Laureau dit de son principe de création :
« L’appui principal pour les interprètes est le corps, d’où la nécessité de travailler avec des danseurs plutôt qu’avec des comédiens. L’incarnation des personnages se fait essentiellement par ce qui les caractérise physiquement : leur tonicité, leur posture, leur humeur, le ton de leur voix, leur qualité de regard, leur conscience des autres, leur prise d’espace, etc. », ce qui donne un ton et un propos qui sonnent très justes et authentiques.
Une mise en évidence de la posture patriarcal dans de nombreuses interactions.
Ce qui m’a frappé également, c’est cette domination masculine toxique qui transparait dans de nombreuses scènes. On assiste parfois jusqu’au malaise à une déconstruction toxique de certains comportements masculins dans des couples où l’homme dévalorise et infantilise sa compagne devant leurs amis. Cette pratique peut être étendue également à certaines postures masculines dans tous les aspects de la vie, couper la parole à une femme, la dévaloriser, ne pas s’occuper de ce qu’elle dit ou la contredire systématiquement, bref on a toutes ce genre d’exemple en tête et tous ces exemple sont bien illustrés dans ce spectacle. Peut-on espérer que le message passe auprès de certain public ?
Ce spectacle tourne depuis déjà un moment et a été créé pour la première fois au Havre en juin 2021. Il est un peu à part car plus théâtral que chorégraphique cependant bien que centré sur les postures corporelles. C’est un très bon moment de divertissement, qui peut nous amener à réfléchir sur nos comportements vis-à-vis des autres, ce qui n’est pas négligeable. A ne pas rater !
Distribution :
Conception : Claire Laureau et Nicolas Chaigneau
Avec : Julien Athonady, Nicolas Chaigneau, Claire Laureau ou Capucine Baroni, Marie Rual
Création lumière : Valérie Sigward
Régie générale : Benjamin Lebrun
Musique : Johann Sebastian Bach, Guiseppe Verdi, Jacques Dutronc, Alain Lefèvre, Franci
Tournée :
12/01 – 10/03 Théâtre de l’Atelier Paris (75)
16/01 L’Éclat, Pont- Audemer (27)
18/01 Théâtre des Charmes, Eu (76)
12/03 Théâtre du Champ au Roy, Guingamp (22)
19/03 L’Odyssée, Orvault (44)
20/03 Le Quatrain, Haute Goulaine (44)
21/ 03 Le Jardin de Verre, Cholet (49)
22/03 Théâtre Philippe Noiret, Doué- en- Anjou (49)
26/03 Le Vellein, Villefontaine (38)
28/03 Théâtre de Grasse (06)
29/03 Forum Jacques Prévert, Carros (06)
4 /04 Espace 1789, Saint- Ouen (93)
5/04 Théâtre des Sources, Fontenay- aux- Roses (92)
18/04 Aunay- sur- Odon (14)
19/04 Evrecy (14)
20/04 Le Molay- LiDry (14)
28/05 Scène de Bayssan (34)
30/05 Circa, Auch (32)