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Arts-chipels.fr

Le Songe d’une nuit d’été. Quand, au bois joli des amours contrariées, fées et lutins se mêlent et s’emmêlent.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

La pièce de Shakespeare superposait désordres de la nature et désordres amoureux dans une délicieuse fantasmagorie débridée à la gloire de l’imaginaire. C’est dans l’obscurité d’une forêt profonde qu’Emmanuel Demarcy-Mota choisit de lui donner les teintes plus sombres et chahutées d’un monde que viennent éclairer les fantaisies enfouies de l’enfance et la magie du théâtre.

C’est dans une Grèce improbable que Shakespeare choisit de situer le Songe d’une nuit d’été. Thésée, duc d’Athènes, a choisi de laisser au vestiaire sa cuirasse de guerrier pour célébrer ses noces dans la touffeur d’une nuit de la Saint-Jean. Un autre mariage a été programmé par Égée : celui de sa fille Hermia avec le noble Démétrius. Mais celle-ci aime Lysandre et est aimée de lui tandis qu’Héléna brûle de passion pour Démétrius qui l’a proprement laissée choir pour s’éprendre d’Hermia. Thésée met Hermia au pied du mur. Si elle n’obéit pas à son père, c’est la mort ou la claustration. Lysandre propose à Hermia de s’enfuir…

© Nadège Le Lezec

© Nadège Le Lezec

Des intrigues entrecroisées

Trois groupes de personnages vont mener leurs histoires spécifiques avant que la pièce ne les fasse se croiser. Du côté des Athéniens, Shakespeare fait déjà dans la fantaisie car la mythologie veut que Thésée, fils d’Égée devienne roi d’Athènes après le suicide, par désespoir, de son père qui le croyait mort. Il en remet une couche en imaginant un mariage de Thésée avec Hippolyte, reine des Amazones, alors que, dans la mythologie, celui-ci, et non celle-ci, se trouve être le fils que Thésée aurait eu soit avec Antiope, une Amazone, soit avec Phèdre. S’imbriquent dans la fable les démêlés entre Oberon, roi des elfes, et Titania, la reine des fées. Ils se disputent un jeune et joli garçon mais règlent en même temps leurs comptes d’infidélités mutuelles avec Thésée et Hippolyte. Enfin, pour célébrer les doubles noces, un groupe d’artisans prépare un spectacle et décide d’aller dans la forêt pour répéter à l’écart et en secret une pièce qui conte une autre histoire d’amour, celle, tragique, de Pyrame et Thisbée, et rappelle la dramatique méprise qui scelle le sort de Roméo et Juliette et vient se superposer aux imbroglios amoureux.

© Nadège Le Lezec

© Nadège Le Lezec

Quand les histoires s’emmêlent

Obéron a pour serviteur un lutin facétieux qui ne trouve rien de mieux, pour se distraire, que de doter l’un des artisans comédiens, Bottom, d’une tête d’âne. Le roi des elfes charge Puck de cueillir une fleur dont le suc rend amoureux. Il se vengera de Titania en la faisant s’éprendre du premier venu, qui s’avèrera être l’âne Bottom. Parallèlement, touché par le double drame de l’amour interdit de Lysandre et d’Hermia et de l’amour non payé de retour d’Helena pour Démétrius, il demande à Puck de verser le suc de la fleur dans les yeux de Démétrius afin qu’il retrouve Helena. Mais Puck l’étourdi se trompe et Lysandre se retrouve amoureux d’Helena, au grand dam des deux jeunes femmes. Ne restera plus à Oberon que de remettre de l’ordre dans ces malentendus en cascade, de redistribuer les amours comme il se doit et de rendre à Bottom son allure d’origine pour que la pièce concoctée par les artisans vienne clore le spectacle avec une note cocasse.

© Nadège Le Lezec

© Nadège Le Lezec

À travers le mélange des sexes et des genres

Emmanuel Demarcy-Mota ajoute avec malice à l’embrouillamini. Thésée sera joué par une actrice et Hippolyte par un acteur, comme si la représentation du pouvoir devenait féminine et la reine des Amazones son contrepied masculin. Pour affirmer, peut-être, que ce qui prime, indépendamment du genre, c’est l’attirance mutuelle, l’affinité élective qui est au cœur d’une organisation « naturelle » du monde. Mais on pourrait tout aussi bien y voir une manière, pour le théâtre, de s’afficher comme un monde d’apparence et de jeu, détachés de la réalité. Du côté des elfes et des fées, on retrouve ce même caractère de réversibilité genrée. Se référant à la langue anglaise qui ne différencie pas, du côté du genre, au contraire du français, fées et elfes, le traducteur et le metteur en scène choisissent de faire assumer les rôles de ces petits personnages par des actrices et des acteurs mêlés. De même, le personnage de Puck, pluriel dans son essence, sera porté collectivement par des acteurs des deux sexes.

© Nadège Le Lezec

© Nadège Le Lezec

Dans les profondeurs obscures de la nature et de la pensée

La forêt est omniprésente dans le spectacle. De longs troncs qui masquent le ciel enferment les personnages dans un univers symbolique. Ils errent dans ce labyrinthe arboré en perpétuel mouvement qui, telle la forêt de Dunsinane, est le signe de leur destin. Ils évoluent dans ce qui se cache sous les frondaisons de l’arbre de la connaissance, un monde d’avant le savoir, premier, originel, et les esprits qui le peuplent sortent de terre par des trappes, comme surgis de racines anciennes, ancrées au plus profond en même temps qu’énigmatiques. La présence sur scène de Titania, d’Oberon et de leurs « assistants » traduit fantasmagoriquement l’omniprésence de la nature et la relation des hommes avec elle. Lorsque la nature est déréglée – la querelle entre Oberon et Titania en est le signe – rien ne va plus dans le monde. Leur réconciliation le remettra en ordre.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

La traduction-transposition, un jeu avec la langue

Shakespeare aime à jouer avec la langue anglaise. Si les vers qu’il compose obéissent à la structure du pentamère iambique – cinq syllabes inaccentuées alternant avec cinq syllabes accentuées – il s’aventure à l’occasion dans d’autres formes, pour des chansons, des poèmes ou ici les incantations magiques d’Oberon, et réserve la prose pour les dialogues entre ces gens du « peuple » que sont les artisans. La traduction de François Regnault conserve ces différences en les transposant – les vers de la pièce sont en vers libres, ceux de Pyrame et Thisbée en alexandrins rimés – , tout en choisissant d’insérer par endroits des expressions de notre temps, qui parlent immédiatement au spectateur et l'on s’amuse beaucoup de l’alternance de ces tirades qu’on pourrait croire sorties de Corneille avec des apparitions de mots ou d’expressions tels que « drague ou « foutre la trouille ».

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Un divertissement qui flirte avec le drame

Noire est la situation que dépeint la pièce, sa fin exceptée, sombres sont les perspectives, bouché apparaît cet univers privé d’horizon. Pourtant, comme toujours chez Shakespeare, le rire vient avec les larmes et le comique de situation, en particulier dans le dialogue amoureux de Titania avec Bottom transformé en âne. En dehors des gaffes de Puck et de ses commentaires espiègles ou railleurs, la note comique est aussi assurée par le groupe des artisans. Doubles des comédiens, ils en sont le pendant populaire et malhabile, cabotins à la petite semaine avides de se faire voir, savonnant leur texte, commentant les situations, grandiloquents et ridicules. Et c’est à eux, et par eux, que reviendra au théâtre le privilège de clore la pièce avec « cette farce, à l’évidence grossière » qui « nous a bien fait passer / la lente marche de la nuit. »

Avec son dispositif de plans échelonnés où se meut la forêt, avec ses apparitions-disparitions soudaines et magiques qui captent le regard, avec sa reine des fées qui flotte dans les airs, avec ses murs de pacotille et ses personnages qui surgissent en chœur comme des diables de leurs boîtes avant de passer à la trappe, le spectacle offre un goût d’enfance en même temps qu’un savoureux mélange de poésie et de fantastique. Il nous rappelle aussi que sous la canopée toute de légèreté se cachent la pesanteur de la liberté contrainte et les outrages qu’on fait à la nature.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Le Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare Traduction François Regnault (éd. L'Avant-scène Théâtre)

S Mise en scène et adaptation scénique Emmanuel Demarcy-Mota S Assistante à la mise en scène Julie Peigné , assistée de Judith Gottesman S Scénographie Natacha le Guen de Kerneizon & Emmanuel Demarcy-Mota S Lumières Christophe Lemaire , assistée de Thomas Falinower S Costumes Fanny Brouste S Musique Arman Méliès S Vidéo Renaud Rubiano S Son Flavien Gaudon S Maquillage et coiffures Catherine Nicolas S Accessoiriste Erik Jourdil S Coiffes et couronnes Laetitia Mirault S Avec la troupe du Théâtre de la Ville Élodie Bouchez (Héléna), Sabrina Ouazani (Hermia), Jauris Casanova (Démétrius), Jackee Toto (Lysandre), Valérie Dashwood (Titania), Philippe Demarle ( Obéron), Edouard Eftimakis (Puck, Hippolyte, Fée), Ilona Astoul (Puck, Fée), Mélissa Polonie (Puck, Fée), Gérald Maillet (Bas), Sandra Faure (Coing), Gaëlle Guillou (Starveling, Fée), Ludovic Parfait Goma (Snout, Fée), Stéphane Krähenbühl (Flûte, Egée, Fée), Marie-France Alvarez (Thésée) S Production Théâtre de la Ville-Paris S Durée estimée 1h50

Du 17 janvier au 14 février 2025, à 20h, les dimanches et le 8 février à 15h
Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt - 2, place du Châtelet – 75004 Paris

www.theatredelaville-paris.com 01 42 74 22 77

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