14 Mai 2024
VGE a fait, durant sa présidence, rire la France en s’invitant chez les Français et en poussant la mélodie populaire à l’accordéon, instrument par excellence pour se rapprocher du petit peuple. Au-delà de la caricature, Julien Campani et Léo Cohen-Paperman dressent un portrait de son septennat en forme de réveillon métaphorique.
Un décor de ferme campagnarde normande avec murs de torchis enduits et charpente apparente. Au mur qui forme le fond de la scène sont accrochés les éléments attendus dans ce genre de décor : l’inévitable crucifix, le baromètre-thermomètre qui donne la couleur du temps, le fusil de chasse et son trophée, la tête de sanglier empaillée. Ce soir-là, c’est la fête. Sur la table ont été disposés, bien alignés, des verres de taille différente – un pour chaque type de boisson. Monsieur et Madame sont dans l’attente. Pour l’occasion, ils sont sur leur trente et un. Dame ! c’est qu’ils reçoivent le président de la République soi-même ! Ils en sont tout réjouis par avance de la surprise qu’ils vont faire à leur fille et à leur gendre. Ces deux-là, ils sont dotés d’un bébé-narrateur-commentateur qui grandira avec le septennat.
Dans le creuset de la France profonde
Le couple d’agriculteurs et sa famille sont emblématiques du paysage social français des années 1970. Ils sont plus vrais que nature, franchouillards comme on les aime avec leur accent du terroir et leur goût pour la chopine et la p’tite rincette. On est encore dans l’idée que faire des études permet de sortir de sa condition. La p’tite, devenue grande, est allée à l’université. Mais patratas ! elle s’est amourachée d’un ouvrier syndicaliste d’origine italienne rencontré lors des grèves et des manifs et la voici mariée, ayant abandonné ses études, vivant à l’autre bout de la France, à Belfort. C’est leur bébé, rigolard et clownesque, qui assurera le commentaire sur l’évolution de la situation durant le septennat, complétant le tableau par une vue plus large du paysage français.
Un président « près du peuple »
C’est un président presque « jeune » pour l’époque – il n’a pas cinquante ans – qui succède aux années gaulliennes. Son patronyme, orné de sa particule – d’Estaing – n’a guère qu’un demi-siècle, même s’il compte des nobles dans sa famille. C’est d’ailleurs une femme issue de l’aristocratie, Anne-Aymone Sauvage de Brantes, qu’il épousera. Ils opposent à la France d’en bas leur langage choisi et leur élocution distinguée. Mais pour la circonstance, ils cherchent à se mettre à niveau avec une maladresse cocasse dans leurs tentatives de faire simple. VGE se rêve en Kennedy français. Ça discute popote, recettes de cuisine et émissions de télé, Monsieur le Président se met, sans façon, au service. Tout semble donc aller dans le meilleur des mondes où le couple de gauche, impressionné, a mis de l’eau dans son vin…
Un Réveillon de sept ans
Les vœux du Président, qui sortent de la minuscule télé située à jardin, ponctuent les différentes étapes du repas qui, de l’apéro au dessert traversera, comme autant de balises, les années successives du septennat de VGE. Commencé dans l’euphorie d’une société prospère, il s’achèvera dans un paysage marqué par la crise après avoir traversé les crises pétrolières et l’inflation, dans un climat délétère qui ouvrira la voie à l’élection de François Mitterrand. Le spectacle rappelle au passage le rôle de la droite, qui barre la route à VGE lors des présidentielles. Parallèlement, il aborde la question des revendications féminines et du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes, exprimées dans la décennie précédente et marquées par la fondation du Mouvement de Libération des Femmes, qui trouve dans les années 1970 une avancée législative avec la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Et le spectacle ne manque pas de marquer la dichotomie cocasse entre l’ultra-conservatisme du couple Giscard et les mesures prises.
Des seventies contrastées
Le choix des personnages est ici emblématique de l’après-68. Après l’étouffoir dirigiste et traditionnaliste du gouvernement gaulliste, Pompidou avait amorcé la modernisation de la France. Le choc de 1968 restait présent dans toutes les mémoires et Giscard, quoique parfait symbole d’une société assise sur des valeurs anciennes, tire, d’une certaine manière, les leçons de son époque. VGE, campé dans ses caractéristiques – le chuintement de sa prononciation, lèvres serrées, et sa fameuse mèche ramenée sur sa calvitie – exprime les contradictions que porte cette époque, entre dirigisme et liberté, sacralisation de la fonction présidentielle et recherche d’adhésion populaire, dans un contexte où le libre-échange et la mondialisation sont en marche. Du côté de la jeune génération qu’incarne le couple des Corrini, on trouvera les espoirs déçus du syndicalisme, la baisse du pouvoir d’achat des ménages en même temps que les conséquences du « vivre sans entrave » côté femmes, qui remettent en cause le couple traditionnel. Rêves tués dans l’œuf, contradictions et avancées significatives forment le tissu que les auteurs évoquent avec humour dans une démarche non manichéenne et éclairante.
Entre texte et musique
Le tableau des années 1970 ne serait pas complet si les personnages ne poussaient pas aussi la chansonnette pour nous mettre dans l’ambiance. Si Giscard s’excuse de ne pas avoir apporté son accordéon, on reste cependant dans le bain avec les Sirènes du port d’Alexandrie de Cloclo, inévitable dans ces années-là, et avec les chansons de Gérard Lenorman ou de Sheila, entonnées par les comédiens en bord de scène, face au public qui est invité à participer. Le spectacle conjugue ainsi de multiples dimensions. Univers du jeu et du théâtre – les comédiens ne sont pas les personnages mais ils les jouent et ils le montrent, introduisant une distance immédiatement perceptible – il est en même temps le lieu d’une connivence avec le public. Les actrices et acteurs partagent avec nous ce regard critique sur une société en pleine mutation proposé par la pièce, un monde dont nous sommes issus et dont les effets se font sentir encore aujourd’hui, qu’il s’agisse du couple, du tout-nucléaire, du choc pétrolier ou de la mondialisation.
Une « série » théâtrale
Le Dîner appartient à un vaste cycle entamé en 2019 par Léo Cohen-Paperman et la compagnie des Animaux en Paradis, qui vise à interroger la fonction présidentielle depuis la naissance en 1958 de la Ve République suite à la réforme de la Constitution, instaurée par le général de Gaulle pour mettre fin à l'instabilité ministérielle structurelle de la IV e , et synonyme d'un renforcement du pouvoir présidentiel. « Rois » sans l'être puisque démocratiquement élus, les présidents qui se sont succédé depuis forment la chaîne d'une souveraineté élective dont les électeurs sont à la fois les « clients » et les adorateurs, les victimes aussi bien consentantes que rebelles. Après la Vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français et Génération Mitterrand , et après Valéry Giscard d'Estaing, passeront sur le gril les présidents Sarkhozy et Hollande, sans oublier Emmanuel Macron.
Avec cette série de rois républicains, la compagnie des Animaux du paradis nous plonge dans les plaisirs décalés et burlesques d'un théâtre populaire aussi drôle qu'argumenté. Ce regard rétrospectif sur notre propre histoire nous invite à nous poser, sur le plan politique, une question éternelle : « Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? »
Le Dîner chez les Français de V. Giscard d'Estaing
Épisode 3 de la série théâtrale Huit rois (nos présidents) Léo Cohen-Paperman
S Mise en scène Léo Cohen-Paperman S Texte Julien Campani et Léo Cohen-Paperman avec la complicité des actrices et acteurs S Avec Pauline Bolcatto en alternance avec Hélène Rencurel, Julien Campani en alternance avec Grégoire Le Stradic, Philippe Canales en alternance avec Robin Causse , Clovis Fouin en alternance avec Mathieu Metral, Joseph Fourez en alternance avec Pierre Hancisse, Morgane Nairaud en alternance avec Lisa Spurio, Gaia Singer S Scénographie Anne-Sophie Grac S Costumes Manon Naudet S Assistanat scénographie et costumes Ninon Le Chevalier S Lumières Léa Maris S Création sonore Lucas Lelièvre S Régie générale Thomas Mousseau-Fernandez S Assistante à la mise en scène Esther Moreira S Stagiaire dramaturgie Inès Kaffel S Maquillage et coiffures Pauline Bry S Administration & production Léonie Lenain assistée de Blanche Rivière S Diffusion Anne-Sophie Boulan S Communication & Médiation Lucile Reynaud S Production - Compagnie des Animaux en paradis S Coproduction - l'ACB, Scène Nationale de Bar le Duc ; Théâtre de Charleville-Mézières ; Équinoxe, scène nationale de Châteauroux ; Théâtre de Châtillon ; Le Nouveau Relax Scène de Chaumont ; Le Salmanazar d'Épernay ; Le Carreau, scène nationale de Forbach ; La Criée, Théâtre National de Marseille ; Théâtre Louis Jouvet, scène conventionnée d'intérêt national de Rethel ; Le Théâtre de Rungis ; La Madeleine, scène conventionnée de Troyes ; Théâtre Romain Rolland, scène conventionnée de Villejuif S Accueil en résidence Théâtre 13, Paris ; Les Transversales, Verdun ; Le NEST – CDN de Thionville et le Théâtre de Châtillon S Avec l'aide à la création du département de la Marne, l'aide à la résidence du département du Val de Marne et la participation artistique du Jeune Théâtre National S La compagnie des Animaux en Paradis bénéficie du soutien du ministère de la Culture / Direction régionale des affaires culturelles Grand Est, au titre de l'aide aux entreprises conventionnées et est soutenu par la Région Grand Est S Durée estimée 1h50 S À partir de 14 ans
Huit rois (nos présidents) est une série théâtrale de six spectacles co-écrite par L. Cohen-Paperman et J. Campani dont l’objectif est de faire le portrait de chacun des huit Présidents de la Ve République, de C. de Gaulle à E. Macron. Au Théâtre 13, seront présentés en alternance les trois premiers épisodes sur J. Chirac, F. Mitterrand et V. Giscard d’Estaing.
Du 13 juin au 29 juin 2024 - Théâtre 13 Glacière, Paris (75)
Le Dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing Jeudi 13, lundi 17, mercredi 19, vendredi 21, lundi 24, mercredi 26 et vendredi 28 juin. Épisode 3 (1h40)
La Vie et la mort de J.Chirac, roi des Français & Génération Mitterrand Vendredi 14, mardi 18, jeudi 20, mardi 25 et jeudi 27 juin. Épisodes 1 & 2 (1h20/1h15)
INTÉGRALE Les samedis 15, 22 et 29 juin (6h, entractes compris)
Déroulé de l'intégrale : Épisode 1 (1h20) – Entracte – Épisode 2 (1h15) – Entracte – Épisode 3 (1h40)