23 Janvier 2024
Une immense scène avec un décor qui évoque un hangar, à gauche des tas de cartons, un escalier en métal qui accède à une passerelle et au fond, un squelette de voiture que l’on croit complètement factice et qui se met à bouger et même à interagir avec les interprètes. Le plafond s’éclaire, le rideau du fond s’ouvre et un décor magnifique apparaît. On est dans une dramaturgie qui rappelle les ballets classiques, grandiose, mégalo et magique.
Le collectif (La Horde) décrit leur démarche ainsi : « Dans Age of Content, nous voulons questionner notre rapport corporel et émotionnel à l’abondance de contenus et de réalités simultanées qui caractérisent le monde contemporain. »
Et on bien dans ce questionnement de la représentation et de la juxtaposition de nos identités multiples. Qui danse ? Un avatar ? Des avatars ? Ou des humains ? On est dans un monde virtuel, hyper sexualisé, la représentation un peu caricaturale des internets, mais à peine, que cela nous fait frémir. Séduire, jouir et passer à autre chose. Le zapping généralisé qui implique une séduction outrancière est un des volets de la violence de notre société autant virtuelle que réelle. Le spectacle se passe comme une exploration de ces différentes réalités à travers les corps et les mouvements des danseurs et des danseuses. C’est violent souvent, parfois tendre, dérangeant surtout. Les corps s’affrontent, se défient, se battent mais aussi s’aiment et s’étreignent, se désirent et se fuient. On est dans un paradoxe visuel et intellectuel.
Paradoxe visuel car le décor du premier plan nous ramène à une réalité industrielle de grands hangars vides, un peu abandonnés qui nous évoquent des déserts urbains post capitalistes où l’univers des bandes règne en maitre et un monde complètement virtuel, issu de la science-fiction ou de la bande dessinée où des corps déshumanisés
des interprètes enchaînent des interactions violentes ou sensuelles et hyper sexuelles sans vraiment de liens, juste parce qu’ils se croisent et se voient.
Création d’un ballet post moderne
Ce collectif est bien le digne héritier des grands ballets du répertoire classique ou moderne. On est bien dans une nouvelle forme de ballet avec un scénario même s’il n’est pas construit d’une manière linéaire, ni logique. Il y a de la narration même si l’histoire n’est pas construite avec un début et une fin. Il y a de l’émotion, les sentiments humains sont mis à l’épreuve et sollicités pendant toute la représentation. Il y a des décors magnifiques, une scénographie incroyable et une machinerie ingénieuse et spectaculaire.
Et puis bien sûr et surtout il y a la danse, exigeante, experte et multiple. Les interprètes viennent de communautés différentes (jumpstyle, danse traditionnelle géorgienne, cloud chasing, etc ) et les danseurs et danseuses du Ballet national de Marseille représentent une communauté éphémère et internationale avec des pratiques différentes, spécifiques et complémentaires. C’est à partir de cette communauté, de cette diversité que les trois chorégraphes travaillent. Ainsi, Age Of Content est la deuxième création avec ce groupe. La particularité et l’originalité de la création de ce spectacle a été de les faire travailler aussi la boxe, la voltige, la cascade et les techniques circassiennes pour enrichir et compléter leurs postures scéniques et corporelles.
La danse y est aussi développée comme une chevauchée, qui est un peu la marque de fabrique de (la Horde), une immense cavalcade qui envahit le plateau et saisit les spectateurs par une énergie et une dextérité incroyable.
Propos éminemment politique
Ainsi cette mise en scène, en juxtaposant dans le même espace, les avatars et les corps, les avatars et la réalité physique accentue la représentation de la violence de nos interactions humaines actuelles et met en évidence la violence intrinsèque de notre société. C’est bien la société qui est en cause par cette ultra sexualisation des corps et le sexisme « ordinaire » des relations interpersonnelles ou « inter-avatars ». La mise en scène crée ainsi un mélange entre la représentation des avatars et le corps des interprètes. On se pose la question de notre humanité dans ces « différentes réalités ». Où est l’avatar ? Qui est l’humain ?
Ces représentations sont bien le reflet de nos identités multiples dans des univers multiples. Est-ce une façon d’échapper à la violence de notre société ? En aucun cas, hélas. Bien au contraire cette violence est exacerbée par le fait d’être réinventée. Et toute l’intelligence et l’inventivité de ce spectacle est de la mettre en exergue et de la rendre visible.
Les propos liminaires du collectif (La Horde) sur leur création sont formulés ainsi : « Nous ne sommes pas juges. Notre approche n’est jamais de délivrer des réponses dans nos spectacles mais plutôt de poser des questions et de laisser le spectateur trouver ses propres réponses. » Et iels affirment qu’être politique est inhérent au fait d’être artiste et donc que leur regard sur le monde est forcément politique. Leur arme et aussi leur atout est la danse car iels ajoutent : « On croit au pouvoir de la danse. Nos corps sont des interfaces sensibles avec le monde, et la danse, quand elle intervient en tant que médium, vient redonner au corps des valeurs autres que des valeurs utilitaires. » Iels affirment également que la danse est un langage d’une puissance énorme et qu’à travers la danse, sans mots, sans discours, on peut affirmer qui on est, d'où on vient, et exprimer des revendications. Et c’est en cela que leurs créations sont éminemment politiques car iels usent et abusent de ce pouvoir d’incarnation et de représentation pour interroger le monde et porter ainsi des questions fondamentales sur notre société et ses valeurs.
(La)Horde est un collectif de trois artistes qui utilise l’intelligence collective comme carburant de leur inventivité et de leur créativité. Le collectif leur a donné le courage de parler de sujets complexes. A trois, iels osent plus car c'est (La)Horde qui prend, ainsi l'entité leur sert de bouclier émotionnel et c’est un avantage très puissant, comparé aux artistes en solo qui doivent gérer les attaques seulEs. « C’est une certitude : on a été beaucoup plus loin à trois que si nous avions été tout seuls. Les peines, on les divise par trois, mais les joies, on les multiplie par trois. »
Ainsi, affirmer la force du collectif est aussi une posture parfaitement politique dans notre monde capitaliste qui tend à valoriser l’individu et à le mettre en concurrence débrider avec les autres. Prôner la force du collectif est sûrement une des postures les plus irrévérencieuses et les plus impertinentes qui soient en ce moment. ET c’est aussi un vrai régal de nos sens.
A consommer sans modération, comme on dit si bien 😊
Distribution
Conception, mise en scène : (LA)HORDE — Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel
Chorégraphie : (LA)HORDE en collaboration avec les danseur·euse·s et les répétiteur·rice·s du Ballet national de Marseille
Assistante artistique : Nadia El Hakim
Collaborateur·rice·s artistiques chorégraphie : Valentina Pace, Jacquelyn Elder, Angel Martinez Hernandez, Julien Monty
Avec les danseur·euse·s du Ballet national de Marseille (distribution TBC) : Sarah Abicht, Nina-Laura Auerbach, Alida Bergakker, Izzac Caroll, João Castro, Titouan Crozier, Myrto Georgiadi, Nathan Gombert, Eddie Hookham, Nonoka Kato, Amy Lim, Jonatan Myhre Jørgensen, Aya Sato, Paula Tato Horcajo, Elena Valls Garcia, Nahimana Vandenbussche, Antoine Vander Linden
Scénographie : Julien Peissel
Musique : Pierre Avia, Gabber Eleganza, Philip Glass
Création lumière : Eric Wurtz
Costumes : Salomé Poloudenny
Création coiffure : Charlie Le Mindu
Visuel toile : Frederik Heyman
Assistante artistique : Nadia El Hakim
Conseillers techniques scénographie : Rémi d’Apolito, Julien Parra
Son façade : Jonathan Cesaroni
Assistants lumière : Gaspard Juan, Vincent Ribes
Assistantes costumes : Nicole Murru, Sandra Pomponio, Minok Terre
Assistante coiffure : Sky Flores
Conseils et accompagnement cascades : Stunt Workshop International - Amedeo Cazzella, Alex Vu, Malik Diouf, Yann Brouet, Jonathan Bernard, Patrick Tang
Coaching vocal : Deborah Bookbinder
Recherche et documentation : Laure Bruno, Timothée Engasser
Constructions scénographiques : les ateliers de la MC2 : Maison de la Culture de Grenoble scène Nationale, Sud Side les ateliers spectaculaires/Marseille, Atelier Contrevent, Soudure Duret
Avec la participation de : Julien Parra, Dimitri Bovas, Théophile Eschenauer, Christophe Lanes, Sébastien Mathé, Milan Petrucci, Kostia Pozniakoff
Programmation low rider : Luís Parra
Décorateur : Cristian Zurita
Remerciements aux : équipes permanentes et intermittentes du Ballet national de Marseille
Tournée :
27-28 janvier 2024 : Palais des Beaux-Arts, Charleroi Danse (Belgique)
9-11 mars 2024 : Teatros del Canal, Madrid (Espagne)
2-3 avril 2024 : Les Quinconces - scène nationale, Le Mans
11 avril 2024 : Equinoxe - scène nationale, Châteauroux
2-4 mai 2024 : Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
17 mai 2024 : Maison de la culture - scène nationale d’Amiens
23-24 mai 2024 : La Comédie - scène nationale de Clermont-Ferrand
14-15 juin 2024 : Teatro Rivoli, Porto (Portugal)