13 Novembre 2023
La marionnette a aujourd’hui quitté les seuls rivages du public enfantin. Ce spectacle pour ados et adultes s’ancre dans une question bien de notre temps : les multiples formes que prend aujourd’hui la parentalité.
Quand Simon Delattre se penche sur son histoire familiale, c’est pour en faire résonner la valeur emblématique en référence aux péripéties de notre époque. Point donc, ici, de regard nostalgique sur le temps passé mais une circulation plutôt animée – et pas seulement à travers des marionnettes – entre différentes strates du temps et de l’espace. Au point de départ, il choisit de piocher dans sa mémoire personnelle. Un conte où il était une fois un grand-père comédien qui était en lui-même un personnage de théâtre. Séduisant certainement puisqu’en plus de son épouse légitime, dont il ne divorça jamais, il eut une liaison et des enfants d’un autre lit dans les années 1950-1960. Flambeur, grand amateur de belles voitures, disparaissant sans crier gare pour revenir les bras chargés de cadeaux de prix, il n’en négligea pas moins de s’occuper de ses enfants, laissant sa deuxième compagne se débrouiller tant mal que bien avec les soucis financiers du ménage.
Des histoires croisées
Ce grand-père légendaire qu’il n’a pas connu, père à la paternité non conforme, Simon Delattre le retrouve, de manière décalée, à travers son propre parcours le jour où, avec son conjoint, ils décident d’avoir un enfant en recourant à une GPA, une gestation pour autrui. Une autre paternité hors « norme », une aventure tout aussi extraordinaire que celle de ce grand-père fantasmé qui revient le hanter. À partir de cette – divine ? – coïncidence s’édifie un mode de création original. C’est en partant de cet étrange parallélisme, du faisceau de souvenirs en miettes que rassemble Simon Delattre que naît Tout le monde est là. Ce récit de récits, il le confie à un auteur qu’il connaît, Mike Kenny, pour mettre en forme cette somme d’anecdotes et d’idées, ce qui a fait dire à l’écrivain, en forme de boutade, qu’il s’est senti « un peu comme la mère porteuse de la pièce ».
Au chevet de la pièce, quatre générations
La pièce ne cessera de tisser ensemble, et pas toujours dans l’ordre chronologique, passé et présent. Le metteur en scène-inspirateur de la fable se fait narrateur, il remonte aux frasques du grand-père et à sa descendance, qui compte une fille deviendra la Mère du narrateur. Et pour faire bonne mesure, s’ajoutera un quatrième maillon, cette petite fille qu’avec son conjoint ils décident de faire naître. Elle sera leur enfant, née du sperme de l’un ou de l’autre et de l’ovule fécondé d’une personne amie, implanté dans un ventre de femme qui le portera le temps de la gestation. Et comme la pratique n’en est pas autorisée en France, c’est aux États-Unis que se déroulera l’histoire.
Quand l’« anormalité » est la norme
Avec beaucoup de drôlerie et d’humour, c’est tout un peuple joyeusement « déviant » qui interroge ces paternités exotiques. Car si le grand-père dilapide allègrement la fortune de celles qui l’aiment et affiche sans se cacher femme et maîtresse, c’est une lesbienne qui prêtera son ovule à la fécondation. Quant à la mère porteuse, elle ne montrera aucun des symptômes des femmes qui, ayant hébergé dans son ventre un enfant neuf mois durant, le considèrent comme leur propriété et refusent de s’en séparer. À l’inverse, le narrateur-inspirateur et son compagnon, déjà écartés de cette « norme » (aujourd’hui heureusement contestée) par leur homosexualité, éprouveront, dans des attitudes non exemptes de cocasserie, les mêmes angoisses qu’un couple hétéro attendant un enfant. C’est ainsi qu’on voit naître des dérives réjouissantes sur le thème de « Sera-t-il (ou elle) homo ou pas ? S’il (ou elle) ne l’est pas, tant pis, ce n’est pas le plus important » ou des questionnements sur un air de « J’ai deux papas ». On se retrouve en terrain connu, proche de nous, très près dans le temps.
De l’humain à la marionnette et de la marionnette à l’humain
Dans ce croisement du passé et du présent, Simon Delattre recourt, dans un premier temps à des marionnettes pour évoquer la figure du grand-père et de son environnement. Face à lui, ils sont de chair et d’os, les deux jeunes hommes qui se préoccupent de devenir pères. Mais déjà les rôles de chacun sont comme faussés. Les manipulations des marionnettes se font à vue et les manipulateurs quittent leur marionnette et s’affranchissent du castelet pour venir, au-devant de la scène, devenir personnages. Sans cesse la fable oscille entre situations « réelles » et fantasmées. Sans cesse le théâtre renvoie à la marionnette et la marionnette au théâtre. Sans cesse les dimensions, comme la temporalité, sont bouleversées. Les marionnettes ont toutes les tailles, de la grandeur réelle façon poupée de Kokoschka à la miniaturisation de petits sujets montés sur tringle. Les techniques d’animation sont à l’avenant : marionnette à fil, muppet manipulé à vue, manipulateurs multiples pour les différentes parties du corps à la manière du bunraku japonais, quand il ne s’agit pas d'une marionnette habitée par le comédien tel cet hercule de foire terrassé par une petite fille. La pièce nous balade d’avatars en avatars. Chacun des personnages semble manipulé par d’autres, la séparation entre pantins et humains disparaît, la frontière de la temporalité se fait poreuse.
Un spectacle jubilatoire
Le castelet se transforme en tente de foire où se joue le théâtre de la fête tandis que les praticables et l’avant-scène hébergent les marionnettes en même temps que leurs sororités humaines. On se perd un peu dans toutes ces femmes qui entourent le narrateur mais cette perte de repères n’empêche aucunement la compréhension globale de cette échappée belle vers la différence et la multiplicité. De ce pot-pourri de fragrances sexuelles, de ce bouquet multicolore et flamboyant de situations familiales, de cette polychromie temporelle se dégage une énergie sympathiquement iconoclaste, une jubilation heureuse que viennent souligner les intermèdes musicaux qui ponctuent le parcours. On pourrait ajouter au contenu d’autres exemples, imaginer d’autres cas de figures : au spectateur est laissée la possibilité d’enrichir le propos. Entre réalité et fiction, entre marionnette et théâtre, entre comédiens et spectateurs, c’est dans la jonglerie que tout le monde est là pour saluer l’enfant qui paraît…
Tout le monde est là
S Écriture Mike Kenny (œuvre de Mike Kenny représentée en France par Séverine Magois en accord avec Alan Brodie Londres) S Traduction Séverine Magois S Mise en scène Simon Delattre S Collaboration artistique Yann Richard S Avec Salomé Benchimol, Jérôme Fauvel, Léopoldine Hummel, Julie Jacovella, Chloé Lorphelin, Pier Porcheron, Philippe Richard S Musique Léopoldine Hummel S Scénographie Tiphaine Monroty assistée de Séraphine Boucreux S Training marionnettes Aïtor Sanz Juanes S Création lumière Jean-Christophe Planchenault S Création sonore Julien Lafosse S Construction des marionnettes Anaïs Chapuis, Marion Belot & Aïtor Sanz Juanes S Costumes Clémence Delille assistée d’Elise Appenzeller S Couturières Angèle Gaspar et Tiphaine Pottier S Régie lumière Jean-Christophe Planchenault en alternance avec Chloé Libereau S Régie son Julien Lafosse en alternance avec Laurent Le Gall S Régie plateau Marion Pauvarel en alternance avec Romain Ducher S Régie générale Jean-Christophe Planchenault S Administration / production Bérengère Chargé S Production / diffusion Claire Girod S Administration de tournée Mathilde Ahmed Sarrot S Communication / production Iseult Clauzier S Production Rodéo Théâtre S Coproduction/accueil en résidence (en cours) Le Théâtre de la Coupe d’Or – Scène conventionnée de Rochefort • Espace Marcel Carné – Saint-Michel-sur-Orge • Théâtre Le Sémaphore – Port-de-Bouc • Le Sablier – CNMa • Théâtre d’Angoulême – Scène nationale • Théâtre Massalia – Scène conventionnée de Marseille • Théâtre de Laval – CNMa • Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes – Charleville-Mézières • Le Carreau – Scène nationale • Théâtre du Fil de l'eau • La Coursive – Scène nationale • Les Tréteaux de France – Centre dramatique national S Soutien La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle • Le Fonds SACD Musique de Scène • ADAMI S Avec le concours financier du Conseil départemental de L’Essonne S Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National S Le Rodéo Théâtre est soutenu par la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture au titre du conventionnement et la Région Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle. S Création en septembre 2023 au Festival Mondial des Théâtres de marionnette de Charleville-Mézières S Durée 1h45 S Dès 14 ans
TOURNÉE
Les 8 et 9 novembre 2023 Théâtre au fil de l’eau, Pantin (93)
14 novembre 2023 Théâtre de Laval, CNMa (53)
16 + 17 novembre 2023 Le Sablier, CNMa, Ifs (14)
23 janvier 2024 Le Sémaphore, Port-de-Bouc (13)
25 + 26 janvier 2024 Théâtre Massalie, Scène conventionnée, Marseille (13)
1er février 2024 EMC, Saint-Michel-sur-Orge (91)
4 + 5 avril 2024 Théâtre de la Coupe d’or, Rochefort (17)
8 + 9 avril 2024 La Coursive, Scène nationale de La Rochelle (17)
11 avril 2024 Théâtre d’Angoulême, Scène nationale (16)
14 mai 2024 Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan (57)