10 Avril 2024
Entre héritage et émancipation, Sara Llorca dresse de son père, le comédien et metteur en scène Denis Llorca, un portrait amoureux et attachant en posant, à travers lui, la question parfois épineuse des rapports intergénérationnels.
Sur le plateau, un tapis de laine au sol délimite un espace scénique restreint. Au fond, sur un portant, des robes de cour de princesses des temps anciens sont accrochées, près de malles qui suggèrent le voyage et l’itinérance. La lumière, fixe, éclaire la scène sans laisser la salle dans l’ombre. Les spectateurs sont installés très près, au cœur d’un dispositif sonore qui les enserre. Le public fait partie du spectacle. Si nous sommes dans un théâtre pour la présentation, ce n’est pas dans ce lieu que se déroulera le spectacle, imaginé pour être représenté partout. Une seconde version, adaptée à des lieux spécifiquement théâtraux, existe, avec une palette d’éclairages plus diversifiée.
Lear sur la lyre d’Orphée
Le conte peut commencer. Il était une fois un roi nommé Lear. Pas complètement le Lear de William Shakespeare mais un peu cependant, avec une autre histoire qui s’en échappe. Celle de Cordélia, sa plus jeune fille, que le roi chasse de sa vue et qui reste fidèle à son père en dépit de tout, mais pas seulement. Parce que Cordélia, c’est aussi Sara Llorca. À travers les péripéties qui marquent le parcours de la pièce et la descente aux enfers de Lear et sa folie jusqu’aux retrouvailles du père et de la fille, une double aventure faite de croisements entre réalité et fiction, passé et présent, relie Lear et Cordélia, Denis Llorca et Sara sur un terrain où théâtre, musique et récit se mêlent. Parce que le royaume de Denis Llorca, c’était le théâtre et que sa fille entreprend ce périlleux voyage pour le tirer d’entre les morts.
Entre héritage et accomplissement de soi
Sara Llorca raconte. L’omniprésence du Père , son omnipotence jusqu’à ce qu’il fasse défaut, qu’il s’efface, le sentiment d’abandon qui en découle. Elle évoque dans le même temps la difficulté d’être soi, d’échapper à cette emprise pour exister de manière autonome. Cette histoire-là, c’est peu ou prou celle de tous les enfants qui grandissent : les dilemmes qu’il leur faut surmonter pour conquérir leur indépendance, s’émanciper des préceptes de l’éducation parentale, se défaire des marques indélébiles incrustées dans leur tête pour prendre leur propre envol, se construire en dehors, dans la désobéissance assumée. Son message, c’est celui de cette ambiguïté, de cette contradiction qu’on porte en soi une vie durant et qu’on reconduira à son tour en devenant ce que nos parents ont été. Sara Llorca s’ébroue, renâcle sous le joug, se révolte, cherche à s’échapper mais toujours revient. Fille de Lear, elle a hérité du théâtre. À elle de le transformer pour y trouver sa vérité, en brisant cependant les chaînes de son héritage. Alors la figure du Père – Lear-Denis Llorca – reparaît. À travers les extraits du rôle de Lear qu’il incarne, la voix de Denis Llorca émerge, bande-son d’un fantôme revenu d’entre les morts, voix surgie d’outre-tombe qui hante l’hommage amoureux que Sara Llorca lui dédie.
La musique de l’émotion
La guitare électro-acoustique de Benoît Lugué dont le musicien module le son, l’accompagnant parfois de percussions au tambour de sol, se glisse dans le récit. Partenaire à part entière, elle accompagne les crescendos et les decrescendos de la voix. Elle s’insinue dans le cours des phrases, en modifie l’élocution, ponctue le parcours. La parole devient chant, à une ou deux voix, aborde aux rives du groove. La musique est impulsion, rythme. Elle se pare d’accents espagnols sur lesquels la comédienne-autrice esquisse des pas de flamenco comme pour se réapproprier l’héritage que lui a légué sa famille.
L’émotion passe, avec la complicité des deux interprètes et un texte qui se dessine à fleur de peau. Sculptée en pleine pâte humaine, cette « fille de roi » offre, au-delà de l’aventure théâtrale qu’elle propose, à la fois une leçon sur ce que la culture nous enseigne et sur ce que tous les passés, réels et imaginés, ont à nous apporter.
Fille de roi
S Texte, mise en scène et jeu Sara Llorca S Musique, jeu Benoît Lugué S Avec la voix de Denis Llorca S Collaboration artistique Kên Higelin S Son Quentin Fleury – Soundtrip S Lumière Stéphane « Babi » Aubert S Scénographie et Costumes François Gauthier-Lafaye S Administration de production Louise Deloly S Production Compagnie du Hasard objectif S Coproduction (en cours) CDN de Normandie-Rouen, Dieppe Scène Nationale S Soutiens en résidence Comédie de Caen, Théâtre municipal Robert Auzelle de Neufchâtel- en-Bray, MC93 – scène nationale de Seine-Saint-Denis à Bobigny, Labo Victor Hugo (Rouen) S Avec les soutiens de la DRAC Normandie et du Département de la Seine-Maritime S Création 2023-2024
TOURNÉE 2024
11 juillet 2024 20h La Voilerie, Bourcefranc-le-Chapus
27 juillet 2024 Festival Vous êtes ici, Fontaine-l'Abbé