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Arts-chipels.fr

Culture commune. Entre le souvenir du bassin minier et les échappées belles de la création.

La Fabrique théâtrale © Antoine Repessé

La Fabrique théâtrale © Antoine Repessé

Depuis plus de trente ans, Culture commune développe une action intercommunale forte et éclatée de développement artistique dans un territoire hétérogène et à mémoires multiples.

À l’ombre des deux plus grands terrils d’Europe, un ancien carreau de mine, encore dominé par la structure métallique du chevalement, cette tour de 45 mètres de haut, avec ses 3 500 tonnes de métal, qui servait à descendre et remonter les mineurs ainsi que le minerai. Veilleur aujourd’hui immobile, avec ses molettes de plus de cinq mètres de diamètre sur lesquelles passaient les câbles d’extraction, il reste un signe fort classé par l’Unesco au titre du patrimoine mondial de l’humanité. Beffroi tout de fer créé, il demeure l’emblème d’une ère industrielle aujourd’hui révolue. C’est à son pied, sur le site 11/19, en référence à la numérotation des puits de mine qui s’y trouvaient, que se situent les locaux de Culture commune, dans l’ancien carreau de fosse, à Loos-en-Gohelle, dans les faubourgs de Lens. La Scène nationale a installé son activité – administration, pôle ressources sur le spectacle vivant et la culture et petite salle de spectacles – dans l’ancienne « salle des pendus » attenante aux douches, ainsi nommée parce que les mineurs qui s’y changeaient avant de descendre à la mine y accrochaient leurs tenues de ville qu’ils montaient ensuite en hauteur pour les conserver propres par un système de poulies. Les costumes ainsi disposés formaient une armée se balançant au bout de cordes. Nombre de ces poulies conservées dans les locaux de la Fabrique théâtrale témoignent encore de ce quotidien des mineurs.

© Culture Commune

© Culture Commune

Un lieu de mémoire mais pas que

Impossible d’oublier la mine et l’impact considérable qu’elle a eu non seulement en matière de bassin d’emploi, mais aussi culturellement, fantasmatiquement et architecturalement. L’urbanisme porte encore la trace de son omniprésence avec ces cités ouvrières de petites maisons alignées en briques rouges : les corons. Ici, au pied des puits, les résidences de mineurs sont accolées par deux, au centre d’un grand jardin qui contribuait à la subsistance des familles. Culture commune est ainsi immergée dans un passé inoubliable mais si la mine, avec sa charge patrimoniale et affective, demeure un ancrage fort, elle ne représente qu’une partie du paysage culturel dans lequel s’exerce son activité. La scène nationale intervient en effet sur un vaste territoire urbain et rural composé de trois communautés d’agglomération et de cent cinquante communes, sans métropole forte – la plus grande des villes ne compte que 32 000 habitants. Elle porte cependant un intérêt particulier aux communes des arrondissements de Lens et de Béthune.

In Comune - Ambra Senatore © Laurent Philippe

In Comune - Ambra Senatore © Laurent Philippe

Deux axes majeurs d’intervention

Si la Scène nationale joue aussi le rôle de centre culturel, invitant des spectacles à se produire, elle met l’accent, en matière de création, sur deux grands thèmes : les écritures contemporaines et le « corps en mouvement ». Le premier prend la forme de résidences d’écriture. À proximité de la « Fabrique théâtrale » de Culture commune, l’une des anciennes maisons de mineurs situées au pied du carreau de mine est devenue « Maison des artistes et des citoyens ». Des équipes artistiques y résident régulièrement et entretiennent avec les habitantes et habitants et les associations locales des relations qui viennent alimenter le processus de création. Le « corps en mouvement », quant à lui, dépasse le simple cadre de la chorégraphie et de la danse pour s’intéresser plus généralement à la mise en mouvement du corps, en salle de spectacle ou dans l’espace public, dans une optique qui inclut les disciplines circassiennes. C’est ainsi que Bahoz Temaux évoque, entre sonorités persanes et acrobatie occidentale, la rencontre entre un peuple sans pays et un autre qui ne se reconnaît plus.

Cartographie imaginaire © Kalimba

Cartographie imaginaire © Kalimba

L’accueil des compagnies. Le 7 au soir, un exemple de lien tissé

C’est par affinités électives que s’établissent les partenariats de Culture commune avec les compagnies. Avec Le 7 au soir et Yvan Corbineau, son auteur, la relation remonte à plusieurs années et prend sa source dans une réflexion sur la Palestine aujourd’hui. La compagnie a posé ses valises à Lens à plusieurs reprises, travaillé avec des établissement scolaires, des associations, présenté son projet. Le troisième volet de cette collaboration, Cartographie imaginaire, plus général et conceptuel sur la question des frontières et des déplacements, plus abstrait aussi en ce qu’il s’aventure, au-delà de la géographie, sur les terres de la carte mentale, du voyage à l’intérieur de la tête, en est un exemple éclairant. Représenté face à des enfants de 13-14 ans, alors que son thème pourrait paraître ardu pour cette classe d’âge, le spectacle se déroule devant un public aussi attentif que réceptif. Car la problématique, ils la connaissent déjà. Ils ont été en contact avec la compagnie et ne débarquent pas en terre inconnue.

Mobile Home © Dominique Gasc

Mobile Home © Dominique Gasc

La prise en compte du territoire : Macadam vacher et Mobile Home

M. Robert (Didier Loiget) et sa compagne meuglante ont arpenté, durant près de deux semaines, en septembre de cette année, les routes entourant Loos-en-Gohelle, où se trouve la Fabrique. Certaines traces visuelles sont d’abord apparues, puis la rumeur s’est propagée à propos de la présence de ce couple insolite : un ancien maître d’hôtel d’un palace parisien et sa compagne, la vache massive à quatre pattes, plus intéressée par un coin d’herbe que par le macadam. Itinérante, l’histoire de Macadam vacher prend selon le lieu où elle est représentée une coloration différente. Créé en Loire-Atlantique, le spectacle trouve une forme propre sur les routes de Vendin-le-Vieil à Loos ou lors de la première fête de la Courge. Quant à Mobile Home, mis en scène par par Matthieu Roy sur un texte de Sarah Carré, il s’imprègne, dans son propos sur l’amitié et sur le désir d'un nouveau départ, des rencontres de l’autrice avec les collégiens de la région et tournera cinq jours durant dans différents lieux du territoire après avoir été présenté à l’Escapade à Hénin-Beaumont.

Newroz © Cie Boumkao

Newroz © Cie Boumkao

Des partenariats avec les forces vives de la région

C’est un maillage serré qui relie Culture commune non seulement aux associations locales mais aussi à celles de la région Hauts-de-France. La programmation culturelle proprement dite étant établie en relation avec divers lieux comme le Centre culturel Arc-en-ciel de Liévin, l’Espace culturel Jean Ferrat à Avion, mais aussi à Grenay, Bully-les-Mines, Aix-Noulette, Sallaumines, Oigny, Vieux-Condé ou Hénin-Beaumont, ou d’autres, des navettes sont chaque fois proposées pour favoriser la mobilité des spectateurs. À Lens, c’est avec le Louvre-Lens, engagé dans la même démarche de revitalisation sociale et économique du territoire que des opérations sont menées, en matière de danse en particulier, mais aussi avec le théâtre Le Colisée. Un peu plus loin, c’est avec le Grand Sud, à Lille. Culture commune est membre fondateur du réseau Artoiscope, qui œuvre à faire connaître l’offre artistique et culturelle de l’Artois et qui, cette année, participe à la programmation conjointe d’un concert théâtralisé à destination d’enfants à partir de 7 ans, En apparence, des compagnies Illimité et Les Oyates, au Théâtre municipal de Béthune, au 9-9bis de Oignies et à l’Espace culturel François Mitterrand de Bully-les-Mines. Dans les Hauts-de-France, Culture Commune participe aussi au réseau du Collectif Jeune public qui développe un programme de formations, rencontres, événements fédérateurs, outils de valorisation et soutien à la création ; elle a noué avec le Boulon à Vieux-Condé, le Cirque Jules Verne à Amiens et le Prato à Lille une coopération autour du Cirque et des Arts du spectacle, 4HdF ; enfin, du côté du corps en mouvement, elle adhère à Danse ! la Fédération des Arts de la rue – Pôle Nord et Syndeac.

La Constellation imaginaire © Antoine Repessé

La Constellation imaginaire © Antoine Repessé

Le sens de la fête

Le Nord-Pas-de-Calais est connu pour sa convivialité. Toutes les occasions sont bonnes pour se rassembler et le plaisir festif occupe une place non négligeable dans la programmation de Culture commune. La célébration traditionnelle de la fête de sainte Barbe, patronne des mineurs et des pompiers – qui donne lieu à un festival, cette année du 24 novembre au 3 décembre – est placée sous le signe du feu et s’achève par un bal. Défilé et ascension des terrils sont au programme et le jeu avec l’élémentaire est  au cœur des propositions de la saison. La fête peut être invitation à danser sur des airs de disco, funk, rock ou hip hop mais aussi yéyé, chachacha congolais ou tarentelle électro avec Mobil Dancing le 29 mars, ou à suivre, avec la Constellation imaginaire, le Festival itinérant des arts de la rue et de l’espace public entre le 28 mai et le 15 juin 2024, qui mêle spectacles, déambulations villageoises et urbaines, installations plastiques et musique. Mais le sens de la fête apparaît tout aussi bien dans le Cabaret des absents de François Cervantes où se pressent plus de cent personnages à mettre des étoiles dans les yeux, avec un danseur à plumes, un nain lâcheur d’oiseaux ou un prestidigitateur surdoué, que dans le duo de musiciens de jazz que forment Bernard Lubat et Michel Portal, complices un peu fous et de longue date en particulier à Uzeste où chaque année, toute la ville est jazz.

Okhty © DR

Okhty © DR

Une programmation en lien avec le territoire

Il y a dans la démarche de Culture commune la volonté d’entrer en résonance avec le territoire sur lequel elle est implantée. En intégrant dans la programmation des questionnements qui lui sont proches. Il y a la question du territoire, qu’a développée le collectif Le 7 au soir, mais aussi À la ligne, ode ubuesque aux ouvriers en première ligne des chaînes alimentaires industrielles dans une région où l’industrialisation est omniprésente, Terairofeu, où l’avenir aux couleurs d’incendie parle de réchauffement et d’hostilité ou encore la prise en compte de la différence avec Okhty (« Ma sœur »), retour aux sources de deux sœurs franco-algériennes ou le Rouge éternel des coquelicots qui déborde des quartiers Nord de Marseille pour poser la question des migrations du XXe siècle.

Il faut saluer enfin l’équipe de 23 personnes, sans compter les intermittents du spectacle qui réalisent, au fil des mois et des années, sous la direction de Laurent Coutouly, ce travail atomisé qui tire sa force du tissu formé par les contacts dans un espace géographique éclaté, avec toutes les contraintes que ces multiples lieux occasionnent. Une dimension profondément humaine où la culture joue un rôle de lien communautaire, dans une région frappée par le marasme économique survenu à la naissance de Culture commune avec la fermeture des mines et, d’une certaine manière, répond au drame par une espérance de vie…

Pister les créatures fabuleuses © Simon Gosselin

Pister les créatures fabuleuses © Simon Gosselin

Culture commune – Fabrique théâtrale, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais – rue de Bourgogne, 62750 Loos-en-Gohelle. www.culturecommune.fr

Voir aussi notre article sur Cartographie imaginaire : http://www.arts-chipels.fr/2023/11/cartographie-imaginaire.peregrinations-dans-un-paysage-mental-au-croisement-de-la-geographie-physique.html

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