11 Novembre 2023
Ce « théâtre d’oreille » immersif dans lequel le spectateur, muni d’un casque, est invité à se déplacer contient toute la magie d’un voyage mental en des terres vocales et poétiques traversées par la chorégraphie.
C’est muni d’un casque auditif que le public pénètre dans le noir dans un espace indistinct, légèrement brumeux, seulement balisé par des « trous » de lumières qui s’avèreront changeantes et à éclipses au long du spectacle. Seuls quelques piliers métalliques répartis dans l’espace forment comme la forêt dans laquelle le spectateur est invité à errer. Une grande paix règne sur ce lieu vide, irréel, où l'on rentre en soi-même. Des sons s’installent peu à peu. Échos d’une vie tranquille, baignée de nature et de pépiements d’oiseaux, progressivement remplacés par des sons artificiels qui peuplent l’espace. À son tour la voix apparaît, commence à dessiner un parcours. Ainsi, le prologue de Sébastien Roux nous place-t-il dans un décalage du réel. Mis en condition, le spectateur s’est déconnecté de la réalité pour aborder aux rivages d’une virtualité qui le ceinture et l’environne. Le voilà prêt à capter l’étrange poème d’Edoardo Sanguineti, qui parle de début, de milieu et de fin et en renverse en même temps les thèmes.
D’Edoardo Sanguinetti à Luciano Berio
Luciano Berio considérait son œuvre en partie comme un « documentaire » sur le poème d’Edoardo Sanguineti, une exploration du thème proposé par le poète qui, lui-même, emprunte, en différentes langues, des fragments de texte au début de l'Évangile selon St Jean (en latin, grec et allemand avec la traduction de Luther et les modifications apportées par Goethe dans Faust), à un vers de T.S. Eliot, à un de Dante, au premier mot du manifeste du Parti communiste et à quelques mots tirés d'un essai de Barthes sur Georges Bataille. Une dérive réflexive, multiple, éclatée, qui inspire au compositeur un parcours où le texte n’est plus premier mais le lieu d’une inspiration, le déclencheur d’expressions vocales et musicales et leur catalyseur.
A-Ronne, entre commencement et fin
A-Ronne est comme la variation d’une pensée qui chemine entre commencement et fin, un serpent qui se mord la queue comme le symbole d’un éternel recommencement sans point de départ et où l’arrivée est un départ. Ronne était considéré, dans l’ancien temps, comme le dernier signe de l’alphabet italien, après la lettre « Z » et les signes ette et conne. Ce parcours de l’alphabet, comme une énonciation, les chanteurs vont le décliner comme une formation du langage. « Au commencement était le verbe » et les chanteurs vont décliner à l’envi le champ des possibles ouvert à la voix par le thème, déconstruisant le langage, se renvoyant l’un les consonnes, l’autre les voyelles, en formation individuelle ou chorale, en allitérations, en sons déconstruits ou phrases chuchotées ou proférées, en monologue ou en dialogue comme une parole qui se cherche dans les méandres de sa musicalité.
Un théâtre d’oreille
C’est pavillons d’oreilles à l’affût que le spectateur est invité à pénétrer dans cet univers musical où le texte écrit est recomposé musicalement et doté d’une grammaire propre qui crée un dialogue riche et subtil tout en interactions permanentes, en rebondissements, en traces multiples qui s’interpénètrent et se chevauchent. Berio lui-même rapprochait l’œuvre du madrigale representativo, du « théâtre à entendre » du XVIe siècle. Un théâtre de situations vocales et non d’action dramatique à la manière d’« un rassemblement social, un discours dans un square, une session de thérapie de groupe » ou un passage au confessionnal. Y résonnent aussi les échos de musiques anciennes comme celle de Jean-Sébastien Bach.
Une partition chorégraphiée
Les voix qui nous arrivent dans les oreilles de tous les points de l’espace, qui viennent nous chuchoter dans le creux des oreilles, nous interpeller depuis le lointain, s’adresser à nous face à face ou former une ronde autour de nous trouvent un prolongement dans le déplacement chorégraphié des chanteurs dans l’espace même du public. Tantôt isolément, depuis différents endroits, fixes ou en mouvement, tantôt en réponse les uns aux autres dans une joute sonore où le vide qui sépare les chanteurs joue son rôle, tantôt comme un chœur-corps de ballet mené par un chef d’orchestre aux mouvements perchés au-dessus des têtes, la musique prend corps, au sens physique du terme. Elle se déploie pour créer un univers dans lequel le spectateur est immergé. À la beauté de la composition musicale s’ajoute sa présence immédiate, palpable. Une résonance de l’intime avec l’environnement, une circulation dans les deux sens du dedans avec le dehors qui font de ce beau spectacle une expérience musicale et sensorielle hors du commun.
A-Ronne de Luciano Berio – Prologue de Sébastien Roux
S Théâtre d’oreille Concert électronique en mouvement, sous casque, à 8 voix S Direction artistique et mise en scène Joris Lacoste S Chorégraphe et assistante à la mise en scène Claire Croizé S Direction musicale Filip Rathé S Texte Eduardo Sanguineti et emprunts à la Bible, à La Divine Comédie de Dante, au Faust de Goethe, au Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels, ou encore bribes de textes de Roland Barthes S HYOID voices Esther Rispens, Naomi Beeldens, Ellen Wils, Fabienne Seveillac, Andreas Halling, Eymeric Mosca, Arnout Lems, Pascal Zurek S Lumières et scénographie Florian Leduc S Co-conception artistique Fabienne Seveillac S Conseillère en costumes Anne-Catherine Kunz S Son Patrick Delges (Centre Henri Pousseur) S Ingénieure du son Marjolaine Carme S Régisseur général Jan-Simon De Lille S Régisseuse casques Laure Lang S Production déléguée La Muse en Circuit – CNCM / HYOID voices S Soutien Gouvernement flamand / Perpodium & Cohort production / Institut français à Paris S Coproduction Musica / Centre Henri Pousseur / de Bijloke / C-TAKT S Création le 3 juin 2023 à Chinastraat, Gand (BE), en partenariat avec le Muziekcentrum de Bijloke S Durée 1h
AGENDA 2023
S 16 & 17.09 | Festival Musica, Strasbourg.
S 10.11 | MAC – Maison des Arts et de la Culture, Créteil.
Discussions en cours...
S Sonic Acts Biennial, Amsterdam – option février ou mars 2024
S Music Theatre Now, Rotterdam – option mai 2024
S Lieu Unique, Nantes – option entre février et avril 2025
S Festival Musiques Démesurées, Clermont-Ferrand
S Théâtre Garonne, Toulouse
La Muse en Circuit – CNCM www.alamuse.com Diffusion LA MUSICA ARTISTS Coline Vandenberghe colinevandenberghe@lamusica-artists.com