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Arts-chipels.fr

Révolte ou tentatives de l’échec. Quand les performances funambules traduisent la difficulté d’être.

© Bastien Courthieu

© Bastien Courthieu

Plastiquement magnifique et acrobatiquement impressionnant, Révolte traduit la difficulté de trouver sa place dans le monde. Un spectacle où le corps devient outil de pensée.

Une femme tourne et tourne sans discontinuer à l’intérieur d’une roue giratoire en explorant toutes les positions possibles de son enfermement, comme un écureuil pris au piège d’un tambour et qui ne cesse d'aller de l'avant dans l’espoir, peut-être, de trouver une issue à une fuite impossible. Elle tourne et tourne encore et toujours. Pour faire quoi ? Maîtriser la machine qui la retient prisonnière, en régler le rythme et la pulsation ou chercher le moyen d’échapper à l’aquarium invisible dans lequel elle est enfermée ? L’instant d’après, ce sont deux femmes qui ne cessent de se heurter au filet tendu qui les sépare du public, comme prisonnières d'une nasse de pêcheur dans lequel elles se débattent. Elles cherchent, retenues par un filin élastique, à passer outre, à échapper d’un côté ou de l’autre à l’emprise qui les empêche de vaguer en liberté. Elles tentent de le prendre de front pour le rompre, l’escaladent à la recherche d’une issue, en explorent les bords. Sans succès. Le ton est donné. Le monde est un espace où toute velléité de liberté semble vouée à l’échec.

© Kalimba

© Kalimba

De tentatives en échecs et d’échecs en tentatives

Construit de manière cyclique, le spectacle associe diverses formules acrobatiques. À la roue giratoire et aux positions d’équilibre dans ce tambour qui ne se déplace pas seulement à la verticale mais s’incline jusqu’à dessiner une sphère qui figure le monde, s'ajoute le jeu avec le fil élastique qui est tout à la fois le lien qui retient, empêche, et celui qui permet l'envolée. Le travail sur le fil, avec la relation équilibre-déséquilibre qu'il engendre, complète l'exploration du risque. Il prendra des formes aussi diverses que l'entreprise isolée ou la coalition de deux acrobates qui cherchent un équilibre commun à l’aide du balancier, avant de s’opposer au sol puis de trouver leur chemin dans un paysage de plus en plus chaotique. Une suite de tentatives, d’alternances qui conduisent en permanence de la réussite à l’échec, comme si le carcan s’avérait impossible à secouer malgré les ruades et le flirt avec l’impossible.

© Kalimba

© Kalimba

De la performance comme outil du dépassement

S’en sortir a ici pour corollaire de repousser ses propres limites, d'aller au bout de ses possibilités en tentant de les dépasser. Ainsi la pluie qui tombe ajoute-t-elle une difficulté supplémentaire à l’épreuve en rendant le sol glissant et les performances des artistes plus malaisées. Physiquement intense, toujours au bord de la rupture et de l’épuisement, les circassiennes jouent avec les possibilités de leur corps, flirtent avec le danger dans des séquences époustouflantes telles qu’une suspension des corps, chacun sur une branche d’un balancier en équilibre instable sur un fil, en position inversée, dans une équivalence du haut et du bas et une égalité parfaite des deux acrobates. L’émotion est au rendez-vous lorsque l’une des deux, sur le fil, abandonnée et sans force, est entraînée par l’autre dans une avancée périlleuse qu’elle équilibre avec le balancier.

© Kalimba

© Kalimba

Un triptyque sur l'accomplissement de soi

À travers leurs créations, Johanne Humblet et des Filles du renard pâle inscrivent leur travail dans la recherche d'un nouveau vocabulaire funambule, lié à une écriture narrative et chorégraphique en liaison avec une musique live. Elles expérimentent chaque fois de nouvelles possibilités, qui s'accompagnent de nouveaux défis techniques pour les réaliser et de nouveaux accessoires adaptés à ces techniques. Révolte est le troisième volet d'un cycle entamé en 2019 avec Résiste , une pièce pour fil instable sur une musique punk-rock virulente, viscérale où un filambule, à plusieurs mètres, faisait reposer sa vie sur le sol mouvant du fil, s' y prélassant comme sur un divan, s'y allongeant ou s'y déplaçant comme si elle marchait sur la terre ferme. En 2021, Respire , traversée funambule, se déroulait à grande hauteur. La funambule libérait son corps à mesure de son avancée sur le fil pour laisser place à l'évolution de la figure féminine. Révolte , deux ans plus tard, premier spectacle en salle de la compagnie, se situe sur le terrain du combat. Une lutte contre soi-même pour dépasser ses propres limites, mais aussi une guerre contre les autres – ici femme contre femme – et la conscience, enfin, que l'union peut être une force dans un envol final, collectif.

© Bastien Courthieu

© Bastien Courthieu

Un impact visuel et sonore fort

La démarche acrobatique ne réside pas seulement dans la performance que réalisent les funambules et les musiciennes qui les accompagnent. Elle est dans la symphonie baroque et chaotique où la pluie, le vent et l’orage concourent à liguer les éléments contre les tentatives incessantes que mènent les circassiennes dans l’espoir d’une libération, où la musique, l’éclairage, les apparitions et les disparitions, la simultanéité des performances ou leur successivité entraînent le spectateur dans leur sillage mouvementé. Elle est dans la conjonction des techniques du spectacle qui mettent en péril les artistes, dans une lutte incessante, ponctuée d’échecs et de nouvelles tentatives, où aller au-delà de soi-même va de pair avec combattre l’injustice et les absurdités du monde.

© Kalimba

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La liberté sur le fil

Ce cycle sans cesse recommencé de chutes et de relevées, avec sa multiplication de difficultés qui vont crescendo tout au long du spectacle jusqu’à mener à une libération finale et collective, a cependant de quoi dérouter. On a parfois du mal à en comprendre certaines séquences, à en décrypter la signification, en particulier lorsque le spectacle fait place à ces deux femmes qui s’affrontent, après qu’on les a vues, dans un moment très fort, solidaires sur le fil. De plus, si les chansons qui émaillent le spectacle constituent des balises, le choix de la langue anglaise ne facilite pas leur compréhension. Mais ce ne sont que des détails que la vie du spectacle, au-delà des premières représentations, devrait permettre de régler. Révolte n’en est pas moins une proposition forte, coup de poing, d’une originalité affirmée, d’une dynamique sans faille et à un niveau de performance époustouflant. Cette « révolte »-là, qui est placée à des hauteurs vertigineuses, prône une liberté à conquérir dans la solidarité et le collectif. Elle nous parle, évidemment.

© Kalimba

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Révolte ou Tentatives de l'échec

S Écriture et mise en scène Johanne Humblet S Assistant à la mise en scène et collaboration circassienne Maxime Bourdon S Création musicale Jean-Baptiste Fretray S Collaboration dramaturgie physique Farid Ayelem Rahmouni S Funambule Johanne Humblet S Danseuse aérienne Violaine Garros S Acrobate Roue giratoire Marica Marinoni ou Noa Aubry S Musiciennes Annelies Jonkers, Fanny Aquaron S Régie aérienne et plateau Nicolas Lourdelle, François Pelaprat, Eric Lecomte S Création sonore Mathieu Ryo, Marc-Alexandre Marzio S Création lumière Bastien Courthieu, Clément Bonnin S Régie générale Katia Mozet Floreani S Régie lumière Nicolas Bulteau S Création costumes Emma Assaud S Chaussons de fil Maison Clairvoy, Isabella Mars Conception et fabrication de baudriers Point de suspension - François Pelaprat S Construction Sud Side - Mathieu Audejean S Illustration BD Révolte Virginie Fremaux, Maya Racca, Natacha Sicaud S Mise en page éditoriale BD Révolte Victoire Vincent S Photos Kalimba S Réalisation teaser Thomas Bailly S Administration, développement Marie Kermagoret S Logistique, production de tournée Judith Bligny-Truchot S Production, diffusion Jean-François Pyka S Production Les filles du renard pâle S Coproduction et accueil en résidence Bonlieu Scène Nationale d'Annecy, Le Cratère Scène Nationale d'Alès, Le PRATO Pôle National Cirque Lille, Malraux Scène Nationale Chambéry Savoie, Théâtre de Villefranche-sur-Saône Scène Conventionnée S Coproduction Théâtre Saint-Quentin-en-Yvelines Scène Nationale , Théâtre Molière Sète Scène Nationale Archipel de Thau, Le PALC Pôle National Cirque Châlons-en-Champagne, L'ACB Scène Nationale de Bar-le-Duc, Théâtre de la Madeleine Troyes, Théâtre Jean Lurçat Scène Nationale d'Aubusson, Le 3T Scène Conventionnée de Châtellerault, Le Carreau Scène Nationale de Forbach et de l'Est Mosellan S Résidences La Ferme du Buisson Scène Nationale, Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg Soutiens La Verrerie d'Alès Pôle National Cirque Occitanie, Quint'Est réseau spectacle vivant Bourgogne Franche-Comté Grand Est, Adami, Spedidam S Aide à la création Ministère de la culture DGCA, Département de la Marne S Soutien financier de la Région Grand Est triennale 22-24, la préfiguration au conventionnement 23-24 DRAC Grand Est Tout public, à partir de 8 ans Durée environ 1h

18 > 20 oct 2024 : Festival Circa, Auch
22 > 23 nov 2024 : La Ferme du Buisson – Scène Nationale, Noisiel
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