20 Octobre 2023
Simon Falguières a une poésie irradiante, une manière d’enchanter le monde qui lui est propre. Elle ressurgit dans une histoire de guerre et d’exil qui nous concerne tous.
Il se fait ici le narrateur d’une histoire qui est la sienne propre. Celle de sa famille. Assis sur une chaise usée par les ans dans un décor de planches entièrement clos qui laisse, par des interstices et une porte et une baie vitrées, filtrer la lumière venue de l’extérieur, il raconte. Sa présence en France, avec sa mère, comédienne ; un père qu’il n’a pas connu ; un grand-père qu’il n’a pas non plus connu, qui vivait là-bas, dans un pays lointain qui pourrait être celui de n’importe lequel de ces familles venues d’ailleurs, chassées par la guerre. Son grand-père aussi était comédien – on hérite ça de parent en enfant – et directeur de théâtre. Nous voilà projetés dans cette terre étrangère d'où vient sa famille. Il lui suffit, pour camper sa mère, d’une robe d’organza, tendue par un personnage invisible. Il l'endosse pour se métamorphoser et entamer avec sa mère un dialogue avec le passé de celle-ci, qui est son héritage.
Dans l’espace clos de la Baleine bleue
Il est question de la traversée d’une ville dévastée, en ruines, et d’une arrivée, comme en un refuge, dans le monde enchanté de la Baleine bleue, le théâtre que dirige son grand-père. Un monde de bois, clos, dont ni les portes ni les fenêtres ne s’ouvrent, mais qui laissent cependant passer la lumière de l’extérieur qui mènera le personnage de l’aube au crépuscule. La mère est retournée à sa forme inhabitée de robe d’organza rigide, posée dans un coin. Le personnage qui nous fait face, c’est le grand-père du narrateur dans la caverne d’Ali Baba que représente son théâtre. Un ventre de baleine qui est un théâtre d’un genre un peu particulier.
Un espace magique
Dans cet endroit pas léché pour deux sous sévit un clown, la matérialisation du grand-père que Simon Falguière campe en se grimant à vue face à un miroir inexistant et en s’affublant d’un faux nez. Il a du mal avec la locomotion, du mal avec les attitudes « humaines ». il a du mal aussi avec les objets qui s’invitent inopinément dans son univers et s’ingénient à le contrarier. Les tiroirs s’ouvrent et se ferment sans qu’il les ait tirés ou poussés mais résistent quand il souhaite les manipuler, les câbles se défilent quand il veut les saisir, les objets tombent en cascade par des trappes qui s’ouvrent et se referment tout aussitôt dans le décor. Le bruitage, amplifié en même temps qu’assourdi, donne la mesure de l’artificialité du monde dans lequel il se trouve plongé.
Un ventre comme un cocon protecteur et le prélude à une naissance
Pour sécuriser sa fille effrayée par les échos qui parviennent du dehors, père-clown lui raconte une histoire. Pas de celle qu’on connaît déjà et dont il marmonne les titres dans son absence de barbe, mais une autre, une inventée, qui est celle qu’elle réclame. Le théâtre qui venait raconter le théâtre s’enrichit d’une troisième boîte, celle de l’histoire que crée le père de la mère du narrateur. Puisque sortir est impossible, il va lui raconter le monde, et depuis l’origine, lui ouvrir la porte des rêves avec Morphée, ce fils du sommeil et de la nuit qui emprunte son nom au mot grec qui définit la forme : morphê. Il fera naître les animaux et une baleine bleue formée de représentations enfantines accumulées comme une chaîne mémorielle, puis les hommes, avant qu’on ne les voie se déchirer à travers les alignements de figurines aux attitudes guerrières qui transpercent le monde clos du théâtre.
Entre jeu théâtral, mimodrame, marionnettes, et théâtre d’objets
Il y a quelque chose du mime et des personnages du cinéma muet dans ce personnage qui a perdu la parole et qui cherche sans cesse à retrouver un équilibre alors qu’il semble tiré par un fil invisible vers un endroit où il ne souhaite pas aller. Quant au décor, on le croirait tout sorti de la Main, le dernier film d’animation de Jiří Trnka qui, à partir de marionnettes, porte à l’écran les figures de la culture tchèque comme le Brave soldat Chvéïk mais aussi les œuvres de Tchekhov, Boccace ou Shakespeare. Quant au personnage du grand-père, Rezzo, il porte le prénom d’un autre « grand » de la marionnette, le poète, plasticien et cinéaste Rezo Gabriadzé, qui entremêle dans ses créations passé et présent, amour pour son pays, féerie, mouvements de l’âme et humour comme dans Ramona où il met en scène l’histoire d’amour de deux locomotives qui peinent à se retrouver en raison d’erreurs d’aiguillage.
Au-delà de son travail de clown dans ce seul en scène qui mériterait d’être débarrassé peut-être de certaines scories, d’une volonté de trop en faire, pour se resserrer sur l'essentiel, demeure une figure lumineuse, celle d’un auteur-metteur-en-scène-comédien qui est aussi et avant tout un poète avec une formidable foi dans la valeur de la création et dans son pouvoir d’enchanter le monde.
Morphé
S Texte, mise en scène, scénographie et jeu Simon Falguières S Création accessoires et marionnettes Alice Delarue S Création Lumières Léandre Gans S Création Sonore Celsian Langlois S Création Costumes Lucile Charvet S Assistant à la mise en scène David Guez S Régie lumière Léandre Gans / Lison Foulou S Régie plateau Alice Delarue - Roméo Rebiere S Régie son Celsian Langlois / Hippolyte Leblanc S Administration Martin Kergourlay S Production Justyne Leguy Genest S Diffusion Caroline Namer S Création le 3 mai 2023 au Tangram - Scène Nationale Evreux Louviers, lors du festival Les Anthroposcènes S Production Le K S Coproductions Le Tangram - Scène Nationale Evreux Louviers, Les Tréteaux de France - Centre Dramatique National La compagnie S Le K est conventionnée DRAC Normandie Région Normandie et Département de l'Eure S Simon Falguières est artiste associé à la Comédie de Caen CDN de Normandie et à Transversales scène conventionnée de Verdun Durée 1h15 S À partir de 6 ans
TOURNÉE
19 octobre au 5 novembre 2023 : Théâtre Paris Villette www.theatre-paris-villette.fr
21 et 22 mars 2024 : Théâtre du Château d'Eu – Scène conventionnée d'intérêt national
25 au 29 mars 2024 : Comédie de Caen - CDN de Normandie
8 au 13 avril 2024 : Transversales - Scène conventionnée de Verdun
3 et 4 mai 2024 : La Mégisserie - Centre Culturel de Saint-Junien