21 Octobre 2023
Un pari réussi dans la drôlerie pour ce quatuor à cordes de musiciens virtuoses et déjantés qui s'aventure avec bonheur dans le mélange des genres entre classique et contemporain.
Ils ont un côté petits marquis de l’époque Louis XV, les musiciens au visage blanchi et aux joues colorées de rouge qui apparaissent sur la scène en bas blancs, culotte de soie, veste cintrée à mi-cuisse, gilet et chemise à jabot. La perruque est naturellement de sortie avec ses cheveux noués sur la nuque. L’un d’entre eux, cependant, a dérogé à ce classicisme réinventé en ajoutant à sa perruque une crête de coq façon huron. Nous voilà d’emblée prévenus : rien de ce que nous allons suivre n’est à prendre au premier degré.
Un répertoire aussi éclectique que célèbre
Vivaldi ouvre le bal à un rythme endiablé dans un train musical qui ne semble pas connaître de fin tant l’accélération du morceau est vertigineuse. Aux Quatre saisons répondront bientôt la Marche turque de Mozart ou la Petite musique de nuit du même et la Danse du feu de Manuel De Falla viendra bientôt s’enchaîner à l’ineffable Jean-Sébastien Bach dont la Toccata et fugue voisinera avec une valse de Strauss. Mais les musiciens ne se contentent pas de ce pot-pourri de florilège classique. Car musique cajun et country viennent prendre leur part au même titre que la musique de Nino Rota pour le Parrain ou les Beatles. Et, pour faire bonne mesure, le jingle de « Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand » revient comme un leitmotiv à la manière d’un refrain.
La musique sans le cérémonial
Tous ces fragments de pièces se mêlent et se succèdent à bride abattue. Un clavier électronique dont le registre oscille entre piano, orgue et clavecin s’additionne par endroits aux cordes – trois violons et un violoncelle. Lancés dans une course contre la montre comme pour rattraper un temps qui ne cesse de fuir, les musiciens ne se contentent pas de jouer la musique, ils jouent avec la musique, interprétant leurs morceaux dans toutes les positions possibles, sur une jambe comme à genoux, dans une chorégraphie où ils se répondent ou dansent à l’unisson. Ils se déplacent sans cesse, sautillent et se trémoussent, se bousculent sans que leurs notes en pâtissent, tremblent ou sautent. Parce qu’ils ne se contentent pas de se comporter de manière clownesque. Les musiciens du quatuor officient aussi par ailleurs dans des formations espagnoles prestigieuses et sont parfois même chercheurs en musicologie. Le spectacle profite de ce savoir-faire dont ils s’amusent en le distanciant.
Une fable qui n’en est pas une
Un voix off assure le commentaire. Elle donne le ton, évoquant le statut des musiciens au XVIIIe siècle, considérés comme des domestiques, voire des jardiniers, par les nobles qui les employaient – le peintre Velázquez, par exemple, ne cessera de le déplorer – avant d’inventer une épreuve imposée à l’un des violonistes pour gagner le titre de « très grand maître », de Maestrissimo, qu’il n’obtiendra qu’en présentant les compositions inventées par un autre. La comédie étant de rigueur, tout rentrera, comme il se doit, dans l’ordre dans un happy end qui rend à chacun justice.
Si l’on abandonne au vestiaire le « respect » de l’œuvre et le rôle de son interprétation dans l’émotion qu’elle engendre, Maestrissimo offre un moyen de réconcilier entre elles toutes les musiques, anciennes et modernes et de tous styles, en même temps qu’un divertissement de qualité d'une énergie communicative. Le public ne s’y trompe pas, qui applaudit, debout, le spectacle et sort de la salle, revigoré, le sourire aux lèvres.
Maestrissimo
S Conception, création et direction Yllana - Marcos Ottone, Juan Ramos, Joe O’Curneen, Fidel Fernàndez, David Ottone S Direction artistique David Ottone et Juan Ramos S Avec Eduardo Ortega (violon), Jorge Fournadjiev (violoncelle), Isaac M. Pulet (violon), Jorge Guillén (violon) S Production Encore Un Tour & Yllana S Durée 1h20
Du 19 octobre au 26 novembre 2023 à 19h
Théâtre Bobino – 14-20, rue de la Gaîté, 75014 Paris – www.bobino.fr