26 Octobre 2023
La danse retrouve la grande scène du théâtre de la Ville, refait à neuf et redevenu Théâtre Sarah Bernhardt avec cette compagnie hors-pair venue de La Haye.
Une soirée intense en deux créations: l’épure du Chinois Tao Ye et les pulsations hypnotiques du tandem israélien Sharon Eyal-Gai Behar.
Des Hollandais de haut vol
NTD avait déjà été programmé au Théâtre de la Ville en 1969 pour sa réouverture suite à des travaux. Fondé en 1959, NTD comporte aujourd’hui deux troupes : NTD1 compte 28 danseurs âgés de 23 à 40 ans, rompus à tous les répertoires contemporains et néoclassiques et tourne dans le monde entier. NDT2, créé en 1978 par Jiří Kylián, propose une formation de trois ans à 16 danseurs dont certains rejoignent NTD1. Ces deux compagnies créent en moyenne 10 œuvres nouvelles par an.
15 ou le triangle parfait
Déployés en un triangle isocèle pointé en avant, bras mobiles comme des oiseaux migrateurs en plein vol, les 15 danseurs forment un bataillon compact. A l’intérieur de cette géométrie immuable, les corps trouvent leur liberté dans une circularité constante. Une gestuelle martiale anime bras et torses des interprètes, solides sur leurs jambes et frappant du pied sur les rythmes percussifs composés par Xiao He. Dans une deuxième partie, ils plongent tous au sol, à plat ventre, partageant la même dynamique : avec une régularité de gymnastes, ils roulent sur eux-mêmes, cabriolent, prennent appui sur leurs bras, tout en circulant à l’intérieur d’une parfaite triangularité. Puis, assis, ils deviennent d’immobiles bouddhas...
Rien d’émotionnel ni de narratif dans cette danse à l’état brut, où les individus fonctionnent comme les engrenages d’une machinerie implacable, sans que rien ne vienne entraver le mécanisme mis en place par le chorégraphe. Embrigadés dans un mouvement perpétuel, les artistes deviennent un corps collectif qui n’est pas sans rappeler ces grandes cérémonies de masse en Chine, où la foule dessine d’imposantes figures géométriques. Pour la première fois, Tao Ye réalise une pièce avec une compagnie non asiatique et les membres du NTD1 avec leur morphologie occidentale relèvent parfaitement le défi.
Tao Ye, né à Qongqing et converti à la danse à l’âge de douze ans, est depuis 2008 à la tête du Tao Dance Theater à Pékin. Les titres de ses pièces, dépouillés comme ses chorégraphies, sont des chiffres qui renvoient au nombre de danseurs pris comme un ensemble de corps fondus dans la masse. « Je pars du corps et de son fonctionnement, de sa matière même », dit-il.
Jakie, une humanité somnambule
« Je ne veux pas voir la chorégraphie, je veux voir la magie. Je veux ressentir et je veux que les gens ressentent ce que je veux leur donner », dit Sharon Eyal. Cette pièce, comme beaucoup de ses créations, naît du sol et de la nuit, d’une obscurité profonde qu’il nous faut scruter pour distinguer les corps serrés les uns contre les autres, hissés sur la pointe des pieds. De lents mouvements animent le groupe, soigneusement désordonnés, sur une création sonore d’Ori Lichtik où se glissent les nappes de musique plus fluides de Ryuichi Sakamoto. La lumière spectrale sculpte les anatomies moulées dans un justaucorps blanc, fin comme une deuxième peau. De ce chœur blafard et piétinant s’échappe quelque individu effaré, qui esquisse des mouvements d’une jambe tremblotante et sera bientôt happé par la masse... D’autres tenteront aussi ces vaines excursions. Telle une armée de l’ombre, les danseuses et danseurs avancent, reculent, se distinguent dans la masse par des bras levés ou des jambes tendus à l’extérieur. Une esthétique raffinée jusqu’au bout des doigts et des pieds, qui marie postures néoclassiques et cat walk. Les 16 danseurs se glissent habilement dans les pas de la chorégraphe, habitués à son style hybride depuis Bedroom (2015), Salt Womb (2016) et dernièrement Raw Roots... La chorégraphe israélienne demande à ses interprètes un engagement extrême et une tension physique intense pour traduire des états émotionnels: « Je travaille à l’instinct, je mets la peau de mon âme à nu ».
Issue de la Batsheva Dance Company où elle a été interprète, puis chorégraphe et directrice artistique associée, Sharon Eyel développe un style minimaliste, mêlant techniques gaga d’Ohad Naharin et classique, avec un penchant pour le « groove » et l’« underground clubbing culture ». Un monde d’où vient aussi Gai Behar qui a lancé avec elle, en 2015, leur compagnie L-E-V ( cœur en hébreu). À côté de leurs pièces, Sharon Eyal et Gai Behar créent pour d’autres ensembles dont le Ballet royal de Suède et le Göteborgs Operans Danskompani…. La compagnie L-E-V s’installe actuellement en France.
Nederlands Dans Theater Avec les interprètes de la NDT1 Alexander Andison, Fay van Baar, Anna Bekirova, Jon Bond, Conner Bormann, Pamela Campos, Emmitt Cawley, Thalia Crymble, Matthew Foley, Scott Fowler, Surimu Fukushi, Barry Gans, Aram Hasler, Nicole Ishimaru, Chuck Jones, Madoka Kariya, Genevieve O’Keeffe, Paxton Ricketts, Kele Roberson, Charlie Skuy, Yukino Takaura, Luca Tessarini, Theophilus Veselý, Nicole Ward, Sophie Whittome, Rui-Ting Yu, Zenon Zubyk
Présenté au Théâtre de la Ville (Paris) du 18 au 21 octobre 2023