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Arts-chipels.fr

Hamlet. Un prince de Danemark péruvien, protéiforme et décoiffant.

© Teatro de la Plaza

© Teatro de la Plaza

Revisiter Hamlet avec un groupe d’hommes et de femmes atteints du syndrome de Down en dégageant non la fable de Shakespeare mais la manière dont le groupe se l’approprie forme le propos de ce spectacle. Une entreprise passionnante en même temps qu’émotionnante.

Vous ne connaissez peut-être pas le syndrome de Down. Son appellation de trisomie 21, cette anomalie génétique qui dote la 21e paire de chromosomes d’un chromosome en plus, devrait vous être plus familière. Pour reprendre le proverbe, en ce cas, abondance de biens nuit et place les personnes atteintes de trisomie souvent à la marge de la société. C’est contre cette mise à l’écart, et dans la perspective d’un théâtre péruvien contemporain relié au monde que Chela De Ferrari crée cet Hamlet revisité, ébouriffant et non conventionnel.

© Teatro de la Plaza

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Hamlet après Hamlet

C’est en partant du rêve poursuivi par un ouvreur du Teatro de la Plaza, à Lima, atteint du syndrome de Down, de devenir comédien que naît l’idée du spectacle. Pour Chela De Ferrari, Jaime Cruz incarne une vision forte en même temps que décalée, novatrice, de ce prince qu’on a dépossédé de sa couronne. À travers Hamlet, des connexions s’établissent entre la vie des personnes atteintes de trisomie et la création. Le passé résonne avec le contemporain, le théâtre avec la réalité. Les classiques sont interrogés dans des prolongements qui donnent naissance à une nouvelle écriture. À partir de là, deux routes sont tracées qui finiront par se rejoindre. La première s’intéresse au syndrome de Down. Rencontres, observations, avis cliniques, institutions fournissent un premier matériau dans lequel les témoignages des personnes atteintes ont leur part. L’étude et l’analyse de la pièce est ensuite enrichie par les histoires vécues récoltées au fil de la recherche.

© Teatro de la Plaza

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Un Hamlet revisité

De la pièce de Shakespeare ne demeureront que quelques grands moments tels que l’apparition du spectre du roi défunt à Hamlet, éclairée à la lampe-torche, l’incontournable tirade de « To be or not to be », prise en compte par un Hamlet collectif, la représentation théâtrale où Hamlet voit la confirmation du meurtre de son père, la scène finale du double empoisonnement et, du côté du psychisme des personnages, les tiraillements que subit Ophélie face aux attitudes contradictoires de son père ou les états d’âme d’Ophélie et d'Hamlet. La pièce de Shakespeare devient un squelette sur lequel on greffe une musculature, une circulation sanguine et une nouvelle peau, composées par les expériences du groupe, ici et maintenant, dans le monde de WhatsApp et des réseaux sociaux.

© Teatro de la Plaza

© Teatro de la Plaza

Des individualités mais aussi un groupe d'acteurs interchangeables

Dans le processus de création, chacun des participants s’empare d’un personnage qu’il travaille et propose au groupe, mais c’est collectivement qu’ils assument chaque rôle. La couronne princière d’Hamlet passe ainsi de tête en tête chaque fois que l’un d’entre eux assume le rôle. De la même manière, plusieurs Ophélie cohabitent et proposent non plus une vision mais trois du devenir du même personnage et de son projet de vie. Ils abordent la pièce dans des costumes de tous les jours, inventent leurs personnages en les reliant à leurs propres vies, écrivent des lettres d’amour, rêvent, dansent et rappent sous l’impulsion de l’un d’entre eux, Álvaro qui, durant le casting, a rappé son texte au lieu de le dire. Tantôt narrateurs, tantôt commentateurs, tantôt protagonistes, ils offrent une version plurielle de situations qu’ils rapportent à leur expérience personnelle, à leur vécu.

© Teatro de la Plaza

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L’abolition du quatrième mur

La scène est un plateau nu, délimité au fond par un écran sur lequel apparaîtront références et compléments. À la séquence de l’accouchement, qui ouvre le spectacle comme un clin d’œil au programme Sala de parto (Salle d’accouchement) créé par le Teatro pour donner naissance à de nouvelles écritures, s’ajoutent au fil du spectacle l’apparition du spectre ou le rappel, à travers des images emblématiques, des Hamlet que le cinéma a immortalisés. Sur le devant, un espace délimité est entouré sur les côtés d’accessoires que les comédiens viendront chercher au fil de la représentation tels l’inévitable crâne de Yorick, la fiole de poison ou l’épée empoisonnée qui apparaîtra à la fin du spectacle. Mais les personnages ne viennent pas des coulisses, ils sont dans la salle, au premier rang, surgissant sur scène selon les besoins, faisant la claque ou commentant l’action à coups d’interjections. Des spectateurs parmi les spectateurs qu’ils sollicitent, dont ils requièrent la participation dans la salle rallumée. Acteurs et spectateurs vivent dans le même monde, dont un raccourci nous est proposé sur scène.

© Teatro de la Plaza

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À travers des paroles individuelles, l’expression de la différence

Au-delà de l’atmosphère survoltée qui règne dans cette appropriation impertinente et cocasse de la pièce de Shakespeare et d’une intrigue menée tambour battant, à perdre haleine, se dessine une réalité que chacun des acteurs exprime à sa manière, selon son propre ressenti. Ils parlent de leur syndrome, en évoquent les répercussions sur leur vie quotidienne et disent leurs difficultés engendrées par leur faible tonus musculaire. Ils nous parlent aussi de besoin d’expression, de maltraitance et d’exclusion, d’esclavage auquel ils refusent d’être réduits, de volonté de disposer de leur corps comme ils l’entendent et de ne pas laisser les autres en disposer sans leur accord. « Nous sommes faits de la même étoffe », reprennent-ils au dramaturge élisabéthain, revendiquant en même temps leur liberté d’être différents. À cet endroit nous savons que nous ne sommes plus seulement au théâtre mais les deux pieds dans la réalité. Dans une réalité qui nous saute à la gorge avec une force inouïe. Si la vie est un théâtre dont nous sommes les acteurs, le théâtre est aussi ici lieu de vie. De vies qui palpitent et font entendre leur petite musique, insistante et obstinée. Un refrain obsédant sur un air rock, aussi touchant que plein d’humanité.

© Teatro de la Plaza

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Hamlet

S Dramaturgie, direction, écriture & mise en scène Chela De Ferrari S Codirection, conseil en dramaturgie & écriture Claudia Tangoa, Jonathan Oliveros, Luis Alberto León S Travail vocal Alessandra Rodríguez S Chorégraphie Mirella Carbone S Visuels Lucho Soldevilla S Lumière Jesús Reyes S Avec Octavio Bernaza, Jaime Cruz, Lucas Demarchi, Manuel García, Diana Gutierrez, Cristina León Barandiarán, Ximena Rodríguez, Álvaro Toledo S Production Teatro La Plaza, Lima, Pérou S Production déléguée et distribution en Europe Carlota Guivernau S Avec le soutien de l’Onda, office national de diffusion artistique S Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris – Festival d’Automne à Paris S Créé en octobre 2019 au Teatro La Plaza de Lima S Durée 1h35

Du 4 au 7 octobre 2023 à 20h Durée 1h35

TDV-Les Abbesses - 31, rue des Abbesses – Paris 18e

theatredelaville-paris.com 01 42 74 22 77

TOURNÉE 2023

26/08 – 08/10 Concepción, Viña et Santiago (Chili)

10 – 12/10 Maison des Arts et de la Culture, Créteil

15/10 Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine

18 – 20/10 Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon

1er – 10/10 Festival Otros territorios (Mexique)

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