2 Octobre 2023
Le Festival d’Automne choisit, pour son édition 2023, de consacrer un portrait du compositeur Pierre-Yves Macé au travers de trois œuvres. Un musicien qui place les stratifications et les mélanges, de quelque ordre qu’ils soient, au centre de sa démarche créatrice.
Dans une petite salle adjacente de l’église Saint-Eustache, dans le quartier de Halles à Paris, un dispositif intimiste a été installé. Les sièges sont placés au centre d’un espace entouré par des enceintes acoustiques. Elles enserrent l’auditeur, créent un environnement dans lequel il baigne. Face à lui, sur l’écran, défilent le texte T. S. Eliot et de curieuses bandes moutonnées, sans cesse en mouvement, comme parcourues par un fluide invisible. « Avril est le mois le plus cruel » ouvre le bal du poème de Thomas Stearns Eliot, The Waste Land, un titre que les traductions transformeront en terre « vaine », « inculte » ou « gaste », terre-déchet où résonnent encore, sous les pépiements d’oiseaux, les échos de la guerre encore présente dans les mémoires – l’ouvrage est publié en 1922. « Dans les montagnes, on se sent libre », dit le texte qui dévide en chapelet images brisées et arbres morts, le Pendu du tarot et l’horreur des charniers qui ont ensemencé la terre et développe la vision d’une terre dévastée et stérile où l’anéantissement de la matière va de pair avec celle de l’esprit. Déjà les pièces sont en place d’une écriture en tesselles, en fragments que l’espace vocal et musical explore.
The Waste Land, un texte emblématique d’une démarche musicale
Trois textes composent l’ensemble publié par T. S. Eliot sous l’impulsion d’Ezra Pound. Trois textes qui, sous des formes diverses et des thématiques apparemment dissemblables, reviennent au souvenir des morts qui hante l’auteur. Des fantômes littéraires et philosophiques habitent ce poème moderniste considéré comme l’un des plus importants de la littérature anglaise du XXe siècle. Ils remontent à travers le temps et se combinent. Les Métamorphoses d’Ovide et la Divine comédie de Dante s’offrent en miroir à Shakespeare et Milton, mais aussi aux écritures bouddhistes comme aux Upanishads hindous. Sanscrit, grec, allemand, anglais, français apportent la couleur de leur langue à une gamme dissonante qui se combine avec les légendes du Saint-Graal et du Roi Pêcheur, frappé d’impuissance.
De l’écriture à la musique
Du monologue au dialogue, du couplet au refrain, de la forme du répons au canon où à la polyphonie, c’est une histoire en miettes que nous rapporte Eliot. Œuvre kaléidoscopique, The Waste Land ouvre un champ infini à la recomposition permanente et constitue le terrain de jeu parfait pour un compositeur qui a fait du recouvrement du palimpseste ou du choc d’éléments disparates, piochés dans la culture savante comme dans la populaire, récupérés de traditions différentes puis transformés, son credo, sa manière propre de percevoir musicalement le monde. Une vision éminemment postmoderne où passé et présent interfèrent et se télescopent. Ainsi la Partie d’échecs, qui occupe la deuxième place sur les trois parties que compte le poème répartit-elle dans l’espace des voix de femmes qui se font écho ou résonnent en chœur sur un même texte, tandis que le texte qui s’affiche sur l’écran est redoublé, mais dans une disposition différente. D'autres fois, ne nous parviennent que des éclats d’un texte qui semble utilisé à l’envers, ou des fragments entrecoupés qui viennent dire la difficulté de dire.
Entre sons, paroles et chant
Il est question ici de rendre au texte son « inquiétante étrangeté » pour le faire entendre sur tous les tons et dans tous les registres. Dix voix d’hommes, de femmes et d’enfants en assurent la partition et leurs origines, françaises et étrangères, ajoutent à la diversité des timbres, créant une universalité du message en même temps qu’une théâtralisation du texte. Parole et chant a capella se conjuguent, introduisant une strate supplémentaire dans le mille-feuilles polyphonique créé par le compositeur qui établit une correspondance entre vibration sonore et lumineuse et associe musique électronique et bruits de la réalité – cloches, ambiances de rues, son d’un harmonica. Un syncrétisme qui fond ensemble passé et présent pour, comme le texte l’emprunte à Baudelaire, s’adresser, sur les traces du poète, à l’« hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ».
Pierre-Yves Macé en triptyque
Aux écoutes de Ear to Ear programmées à Saint-Eustache jusqu’au 6 octobre répond une œuvre éponyme qui sera présentée au Théâtre des Bouffes du Nord le 13 novembre. Une version diffusée sur deux haut-parleurs qui mettra l’accent sur le lien entre l’image et le son. La création vidéo d’Oscar Lozano fera apparaître à l’écran, en variant son lettrage, le poème d’Eliot tout en l’animant en écho à la musique. Notes pour les diapasons invisibles, créé à partir d’un large corpus d’enregistrements de chants d’oiseaux, complètera le programme. Entre paysage sonore et polyphonie de boucles et de ritournelles explorés par l’électronique, le jeu sur les vitesses et l’instabilité des seuils nouera avec l’instrumental une relation faite de convergences et de déphasages.
Au Théâtre de la Ville, Palimpseste, traduction musicale de la résurgence sous un texte d’un texte effacé, fera ressurgir les cantates de Bach BWW 94 et BWW 110 dans une cantate de chambre, sur un livret de Pierre Senges, pour quatuor à cordes, ténor, contre-ténor et instruments électronique. On y retrouvera aussi Kind des Faust sur un texte de Sylvain Creuzevault, pour quintette à cordes, flûte, harpe, clavier électronique, soprano, contre-ténor et basse ainsi que des Virgules radiophoniques, conçues il y a dix ans pour une émission de Gérard Pesson, Boudoir & autres.
Enfin, des variations autour de la Sardane, une danse associée à la résistance au franquisme, rassembleront, au théâtre du Châtelet, des œuvres de Luciano Berio, Alessandro Bosetti et Pierre-Yves Macé
Ear to ear - In memoriam Scott Walker
S Œuvre électroacoustique de Pierre-Yves Macé, composée en 2022 pour le centenaire du poème The Waste Land (1922) de T. S. Eliot S Voix enregistrées, Ben Boskovic, Shomit Dutta, Robert Glenister, Anna Ianni, Danielle Mahailet, Sarah Mann, Ann Queensberry, Natalie Raybould, Katharina Sellner Natalie Raybould, soprano S Stef Van Vynckt, harpe S Traduction du poème The Waste Land de l’anglais, Joris Lacoste S Surtitrage et réalisation vidéo, Oscar Lozano S Conception et production, Seán Doran, Liam Browne (Doran Browne) S Ingénieur du son, Daniel Halford S Création à Londres, St-Mary-Le-Bow Church, 8-9 avril 2022 S Avec l’aimable autorisation de la Fondation T. S. Eliot et de Faber and Faber Ltd. Avec le soutien de la Sacem S Durée de l’œuvre 40 minutes
Église Saint-Eustache / Salle des Colonnes
Du lun. 25 sept. au dim. 8 oct., lun. au sam. 11h, 13h et 15h, dim. 13h et 15h. Entrée libre.
Ear to Ear & Notes pour les diapasons invisibles
Ear To Ear - In memoriam Scott Walker. S Œuvre électroacoustique composée en 2022 pour le centenaire du poème The Waste Land (1922) de T. S. Eliot S Traduction de l’anglais du poème The Waste Land, Joris Lacoste S Surtitrage et réalisation vidéo, Oscar Lozano
Notes pour les diapasons invisibles. S Pour ensemble à instrumentation libre Commande de l’État Ensemble Dedalus S Direction artistique Didier Aschour S Interprètes Amélie Berson, flûte, Fabrice Villard, clarinette, Christian Pruvost, trompette, Didier Aschour, guitare, Denis Chouillet, piano Silvia Tarozzi, violon S Coréalisation Théâtre des Bouffes du Nord et Festival d’Automne à Paris S Avec le soutien de la Sacem S Durée 1h30
Théâtre des Bouffes du Nord. Lun. 13 novembre 2023 à 20h
Palimpseste
Virgules radiophoniques, pour tous les instruments et électronique, cahiers I & 2(2013-2023)
Maintenant, de toutes nos forces, essayons de ne rien comprendre, texte de Pierre Senges pour quatuor à cordes, clavecin, ténor, contre-ténor (2017- 2023)
Kind des Faust (L’Enfant de Faust), texte de Sylvain Creuzevault, pour quintette à cordes, flûte, harpe, clavier électronique, soprano, contre-ténor, basse (2016-2023)
S Commande de la réécriture, Festival d’Automne à Paris S Avec Anne-Claire Baconnais, soprano, Guilhem Terrail, contre-ténor, Steve Zheng, ténor, Laurent Bourdeaux, basse Ensemble Multilatérale, Les Métaboles Direction, Léo Warynski S Surtitrage, Oscar Lozano S Mise en espace, Élise Simonet S Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris et Festival d’Automne à Paris S Avec le soutien de la Sacem Durée 1h05
Théâtre de la Ville / Les Abbesses. Mar. 24 octobre 2023 à 20h
Luciano Berio, Alessandro Bosetti, Pierre-Yves Macé - Sardane
Luciano Berio, Naturale (1985-1986) pour voix enregistrée, alto et percussion
Alessandro Bosetti, Nouvelle oeuvre, commande du Festival d’Automne à Paris
Pierre-Yves Macé, Variations Belvédère, commande Mondes Nouveaux (création mai-oct. 2023)
Sardanes, interprétées par la cobla ou avec danseurs
S Ensemble L’Instant Donné (flûte, clarinette, piano, harpe, percussion, violon, alto, violoncelle) S Marion Tassou, soprano S Sardanes interprétées par la cobla et des danseurs avec participation de danseurs du public S Cobla Mil·lenària de Perpignan Frédéric Guisset, flaviol ; Daniel Hernandez, tible ; Laurent Matillo, tille ; Galdric Vicens et Jordi Salvatella, tenora Jérôme Thomas et Patrick Sanchez, trompette ; David Puntunet, trombone ; Jordi Vicens et Florent Dath, fiscorn ; Claude Roger, contrebasse S Coréalisation Théâtre du Châtelet et Festival d’Automne à Paris S Avec le soutien de la Sacem et de l’Institut culturel italien de Paris S Durée estimée 2h
Théâtre du Chatelet. Dim. 15 octobre 2023 à 18h