22 Septembre 2023
Entre musique, théâtre et danse, une spectacle martelé à rythme d’enfer où la performance est son propre objet.
À mi-chemin entre le gymnase et le lieu de compétition, des gradins sont installés face au public. Devant eux, tout un paysage d’accessoires d’entraînement : poutre, barres de suspension, haltères, tapis de course. Côté cour, des serviettes. C’est sous le signe de l’entraînement et de l’effort que se place le spectacle. N’étaient les instruments de musique éparpillés dans l’espace, on pourrait se croire dans un espace dédié à la culture physique. Ce qui, au bout du compte, est aussi le cas. Une femme en combinaison orange entre. Elle s’empare d’un mégaphone. Le spectacle peut commencer.
La loi du détournement
Tout le spectacle repose sur l’idée d’être à côté de ce qu’on attendrait. L’animatrice en combinaison orange semble avoir trois jambes. De ce qu’elle dit dans son mégaphone, seuls quelques mots sont compréhensibles, comme si la situation comptait davantage que le contenu. Quant aux gymnastes, ils sont d’abord musiciens, mais placés dans un contexte qui n’est pas le leur. La violoniste se tient en équilibre sur une poutre sur laquelle elle se livre à une série d’exercices tout en jouant. Le contrebassiste est allongé par terre, histoire de cultiver ses abdos en se penchant sur son instrument pour jouer. Le batteur court d’un bout à l’autre de la scène pour faire ses percussions. Le chanteur, lui, s’exerce à la course tout en poussant la chanson, toujours la même, qui n'est pas chansonnette. Et si les majorettes sont de la partie, c'est sous la forme d'un gentil moustachu.
Un public face au public
Une bande de jeunes gens s’installent sur les gradins. Tout au long du spectacle, ils joueront, avec un ensemble parfait, les supporters de match, battant des mains tous ensemble exactement au même moment, se dressant, bras levés, dans une même ola, hurlant tous en même temps, faisant un chahut monstre en tapant des pieds avec un même entrain. Ils sont plus vrais que nature, avec leurs écharpes qu’ils agitent en chœur, danseurs en groupe pris dans une chorégraphie dont le sujet nous échappe. Le public, face à eux, se regarde comme en miroir. Il retrouve en raccourci toute une gestuelle presque inconsciente inscrite dans son quotidien.
L’inconfort à la limite de l’effort
Pour les musiciens, la règle du jeu est de pratiquer leur discipline en la mêlant à une pratique sportive. Perturber l’exercice de l’art en introduisant le grain de sable, l’accident, que l’artiste doit reprendre à son compte pour faire avec. Mais Miet Warlop corse l’aventure. À la difficulté intrinsèque de pratiquer deux activités à la fois sans erreur, elle ajoute une autre perturbation : celle de la vitesse. Car il est question pour les artistes d’aller au bout d’eux-mêmes. Le tapis de course accélère, le batteur imprime un rythme de plus en plus rapide, la violoniste monte et descend de sa poutre tout en augmentant sa vitesse, le contrebassiste se tord de plus en plus le dos. Les supporters, de leur côté, suivent un rythme de plus en plus infernal. Quant au spectateur, il se laisse peu à peu posséder par cette rythmique de plus en plus accentuée et forte qui s’infiltre par tous les pores de sa perception.
Cette proposition de pousser jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement, la performance artistique, sur un même air toujours recommencé mais jamais le même, apparaît comme une parabole de l’activité artistique. Une histoire du théâtre déjantée et vidée de son contenu, dans laquelle ne resterait que le point de vue des artistes. Réjouissant mais à consommer avec modération, une seule fois…
One Song . Histoire(s) du Théâtre IV
S Texte, conception et mise en scène Miet Warlop S Avec Simon Beeckaert, Stanislas Bruynseels, Rint Dens (†), Judith Engelen, Elisabeth Klinck, Marius Lefever, Willem Lenaerts, Luka Marië, Milan Schudel, Melvin Slabbinck, Joppe Tanghe, Karin Tanghe, Wietse Tanghe, Flora Van Canneyt S Musique Maarten Van Cauwenberghe et l'ensemble du groupe Regard extérieur Jeroen Olyslaegers S Costumes Carol Piron et Filles à Papa S Dramaturgie Giacomo Bisordi et Kaatje De Geest S Production NTGent, Miet Warlop/Irene Wool VWZ S Coproduction Festival d'Avignon, deSingel (Anvers), Tandem – Scène Nationale (Arras-Douai), Théâtre Dijon Bourgogne — Centre dramatique national, HAU Hebbel am Ufer (Berlin), La Comédie de Valence — Centre dramatique national Drôme-Ardèche, Teatre Lliure (Barcelone) S Contact et distribution Frans Brood Productions S Création le 8 juillet 2022 au Festival d’Avignon S Durée 1h
Du 12 septembre au 1er octobre 2023, mar.-ven. 19h, sam. 18h, dim. 17h (sf lun. & 14, 19, 22, 26 & 29 sept.)
Festival d'Automne à Paris et Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, 75008 Paris