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Arts-chipels.fr

Nicolas de Staël. Au-delà de la querelle entre abstraction et figuration.

Nicolas de Staël. Au-delà de la querelle entre abstraction et figuration.

Le Musée d’Art moderne de Paris présente une importante rétrospective Nicolas de Staël. L’occasion de découvrir les premières œuvres conservées du peintre comme celles qui précèdent de peu son suicide à seulement 41 ans.

Nicolas de Staël est en bonne place dans la galaxie des génies disparus trop tôt, en pleine fleur de l’âge, ce qui a alimenté leur légende. L’exposition du musée d’Art moderne de Paris offre l’opportunité de faire la part entre le mythe qui a alimenté l’intérêt qu’on lui porte et la réalité d’une vie complètement dédiée à la peinture, où se dessine une évolution passionnante à interroger. Avec plus de 1 100 tableaux réalisés en quinze années seulement, de 1940 à sa mort en 1955, et d’innombrables dessins et esquisses, Nicolas de Staël laisse une œuvre considérable où il apparaît comme un franc-tireur, un isolé qui s’est voulu à l’écart des mouvements et tendances de son temps, et des querelles virulentes de son époque sur la question de la modernité.

Une exposition purement chronologique

Quelque 200 œuvres représentatives du parcours de l’artiste sont ainsi regroupées au sein de l’exposition dont une cinquantaine non encore exposées en France, issues de musées étrangers ou de collections particulières. Des œuvres-phares, tel le Parc des Princes, sont également présentes. L’exposition retrace les évolutions successives de l’artiste, depuis ses premiers pas figuratifs et ses toiles sombres et matiérées jusqu’à ses tableaux inondés de lumière et ses incursions dans la légèreté et un traitement à la gaze et au tampon de la fin de sa vie. Paysages, nus, natures mortes et scènes de la vie apparaissent ainsi au fil des salles, témoins d’un intérêt permanent de l’artiste pour le monde qui l’entoure. Elle met aussi en évidence son « inévitable besoin de tout casser » alors même que sa notoriété est acquise et son succès sur le marché américain largement assuré.

Nicolas de Staël, Parc des Princes (1952). Huile sur toile, 200 x 350 cm. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2023 / Photo Christie’s

Nicolas de Staël, Parc des Princes (1952). Huile sur toile, 200 x 350 cm. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2023 / Photo Christie’s

Une vie comme un roman

Né baron Nikolaï Vladimirovitsch Staël von Holstein, Nicolas de Staël a tout du personnage de roman. Issu d’une famille de militaires russes – son père est général major, vice-commandant de la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg – il hérite de sa mère, issue d’un milieu très fortuné, son goût pour l’art. Il n’a pas quatre ans lorsqu’éclate la révolution russe. La famille fuit en Pologne où les parents décèdent. Il est confié à une famille d’origine sarde vivant à Bruxelles, les Fricero, qui recueillent les trois enfants de la famille. Ses parents adoptifs programment pour lui une carrière d’ingénieur mais c’est l’art qui passionne le jeune homme : Rubens, mais aussi Ensor ou Permeke et la peinture flamande. Le choix d’une carrière artistique lui vaudra des années de misère, aggravées par la Seconde Guerre mondiale. Aux Beaux-Arts de Bruxelles, il découvre la peinture abstraite. Au début des années 1930, il commence à voyager – la passion de découvrir sans cesse de nouveaux horizons l’animera toute sa vie. En France, il admire Cézanne, Matisse, Soutine et Braque avec qui le liera une longue amitié. Le Maroc, l'Italie, l'Espagne, le Midi de la France où la lumière le fera sans cesse revenir, la Sicile où se superposent différentes strates de culture, à commencer par la grecque, comblent cette soif de nouveauté. Son œuvre étant bien accueillie aux États-Unis, il gagne brièvement New York pour l’exposition organisée par la galerie Knoedler en mars 1953 mais n'y reste pas. Le succès est retentissant. Sa carrière américaine, portée par le galeriste qui fait alors la pluie et le beau temps, Pierre Rosenberg, le mettra à l’abri des soucis financiers.

Une vie sentimentale mouvementée

Sa vie sentimentale sera aussi mouvementée que son parcours. Il fait une première rencontre en 1936, au Maroc, avec une femme peintre mariée, Jeannine Guillou, qui a créé avec son époux une sorte de phalanstère dans le sud marocain où ils apportent une assistance à la population. Elle quitte son mari pour le suivre, traverse avec lui les années de guerre et de galère et décède en février 1946. Il épouse, quelques mois plus tard la jeune femme qui donne des cours d’anglais à ses enfants, Françoise Chapouton, avant de connaître une ultime passion pour une jeune femme, Jeanne Polge, avec qui il a une liaison à l’automne 1953 et qu’il entraînera dans ses voyages avec sa famille. Pour se rapprocher d'elle, il louera une maison à Antibes, où il se suicidera en se jetant de la terrasse. « Quelle fille, écrira-t-il à René Char, la terre en tremble d’émoi, quelle cadence unique dans l’ordre souverain. Là-haut au cabanon chaque mouvement de pierre, chaque brin d’herbe vacillait […] à son pas. Quel lieu, quelle fille. » Est-ce la distance que celle-ci met dans leur relation ou une difficulté d’ordre existentiel ou pictural qui provoque son suicide ? Quelle qu’en soit la raison, la légende est née…

Nicolas de Staël, Paysage (195e). Huile sur carton, 38 x 55 cm. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2023. Courtesy Versailles Enchères / Photo François Mallet

Nicolas de Staël, Paysage (195e). Huile sur carton, 38 x 55 cm. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2023. Courtesy Versailles Enchères / Photo François Mallet

Le parcours de l’œuvre

L’exposition suit la chronologie de la vie du peintre. Des premières années de son parcours artistique (1934-1947), beaucoup d’œuvres ont été détruites par Nicolas de Staël, perfectionniste dans l’âme que sa peinture absorbe entièrement. L’exposition offre l’occasion de découvrir une facette peu connue du talent du peintre : le dessin, où se révèle sa faculté d’aller à l’essentiel. Elle abordera ensuite, comme autant de stations mêlant une date et un lieu, les étapes qui ponctuent l’œuvre : 1948-1949 où le peintre s’installe près du Parc Montsouris à Paris, où sa palette s’éclaircit ; 1950, où son travail se densifie en masses plus amples et où la matière, travaillée au couteau et à la brosse, laisse voir les recouvrements successifs ; 1951 où un mouvement inverse le pousse vers la fragmentation en tesselles colorées. En 1952, le paysage fait irruption dans l’œuvre et Nicolas de Staël peint sur le motif. La lumière du Lavandou et les contrastes colorés s’imposent. Mais c’est également l’année du Parc des Princes, où le peintre assiste au match France-Suède, un spectacle du monde qui occupera les années 1952-1953. Le rythme s’accélère. La même année 1953 se télescopent la lumière éclatante du Midi, la naissance de sa fille Anne et la rencontre avec Jeanne Polge. Nicolas de Staël explore l’intensité lumineuse, le portrait, le nu et une sensualité presque charnelle de la couleur. Le voyage en Sicile en 1953 accroîtra encore davantage son exploration de l’explosion des couleurs et de la vibration des contrastes nés de la contemplation des paysages dans la période 1953-1954. L’année 1954 consacre l’installation du peintre à Ménerbes et ses incursions dans la région, à Uzès, Martigues ou Marseille, mais aussi son retour à Paris ou son séjour en mer du Nord. Sa peinture s’allège, s’oriente vers l’épure. À l’épaisseur de la matière succède la fluidité des zones colorées. Utilisant coton et tampons de gaze, de Staël y ajoute la transparence dans ses dernières œuvres (1954-1955), qui semblent signer un retour vers le figuratif , considéré comme déroutant et qui lui vaut des commentaires mitigés de galeristes ou de critiques.

Entre abstraction et figuration

Nicolas de Staël doit-il être classé du côté de l'abstraction ou de la figuration ? Faut-il considérer que les masses qu’il appose sur la toile ou ses compositions en tesselles colorées le placent du côté de l’abstraction et d’un art mental, conceptuel ? Le rattacher aux figuratifs ne serait pas plus insolite car paysages, portraits, nus et natures mortes, voire scènes de la vie (orchestre, match de football) étayent son parcours. Lui-même se défend d’appartenir à aucune de ces chapelles. Il affirme l’existence du réel comme inspiration première de la peinture. Mais le réel n’en est que le point de départ, l’élément déclencheur d’une impression, d’une sensation que la peinture explore. Faut-il l’inclure dans l’École de Paris ou souligner sa proximité avec l’art informel et des peintres comme Fautrier ? La « bouderie » de certains critiques, qui a poursuivi jusque très récemment l’œuvre du peintre, tient dans son refus farouche d’appartenir à l’une ou l’autre de ces chapelles, à un mouvement, à une école. Dans les années de floraison des « ismes » dans lesquelles se situe l’œuvre, où la recherche de la modernité engendre nombre de mises à mort critiques dès que la « nouveauté » n’apparaît pas comme le primat de la création, Nicolas de Staël a beaucoup été brocardé. La rétrospective du musée d’Art moderne de Paris vient ici nous rappeler que ce qui fait une grande œuvre échappe aux catégories, que c’est dans sa liberté même qu’elle trouve son originalité et sa capacité d’émouvoir. Et dans ce registre, l’œuvre de Nicolas de Staël est tout simplement magnifique.

Nicolas de Staël

S Exposition organisée par le Musée d'Art Moderne de Paris (sous la direction de Fabrice Hergott) en étroite collaboration avec la Fondation de l’Hermitage à Lausanne S Commissaires Charlotte Barat-Mabille et Pierre Wat S Conseillère scientifique Marie du Bouchet S Avec le soutien d'ING, Linklaters et Perella Weinberg Partners.

Du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024, du mardi au dimanche, de 10h à 18h, ouverture prolongée les jeudis jusqu'à 20h30 et les samedis jusqu'à 20h

Musée d’Art Moderne de Paris - 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris. Tél. 01 53 67 40 00 www.mam.paris.fr

Du 9 février au 9 juin 2024, à la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne (Suisse)

Le 24 septembre 2023 à 20h05, un documentaire de François Lévy-Kuentz, Nicolas de Staël, la peinture à vif, sera diffusé sur ARTE et disponible sur arte.tv. Un extrait de ce documentaire, co-écrit par François Lévy-Kuentz, Stéphane Lambert et Stephan Lévy-Kuentz est présenté en permanence dans les salles d’exposition.

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