Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Flouz, en avoir ou pas

© DR

© DR

Olivier Fredj qui vient à la fois de l’Opéra et des milieux socio-éducatifs, mène ici une aventure artistique généreuse qui prend toute son ampleur sur le plateau du Théâtre du Châtelet.

Flouz est le deuxième volet d’un triptyque théâtral, musical et social, Paradox Palace, entamé à partir du milieu carcéral avec Watch, cabaret musical sur le Temps, créé en 2022 avec la pianiste virtuose Shani Diluka et le DJ Matias Aguayo au sein du centre pénitentiaire de Meaux. Leur projet : dire sur scène  le monde d’aujourd’hui du point de vue de ceux qu’on n’entend jamais, relégués dans les marges: « C’est aux ‘’non-productifs’’ et aux satellites du ‘’cirque financier’’ qu'il a été fait appel pour écrire cette pièce »

Des ateliers d’écriture

D’où vient l’argent, le pognon, le blé, la thune, le flouz... ? Pour répondre à la question, des ateliers d’écriture ont été menés auprès de détenus du centre pénitentiaire de Meaux, de patients du service respiratoire de l'APHP Pitié-Salpêtrière, d’élèves de CE1 de l'école Jeanne-d'Arc (Paris 13e), des hébergés du SamuSocial de Paris et des résidents de l'EHPAD Huguette Valsecchi de la Ville de Paris, mais aussi auprès de soignants, enseignants, assistants sociaux et aidants : « Les différents ateliers ont permis de tisser des liens et d'identifier les personnes qui souhaitaient participer au spectacle. » 

© Thomas Amouroux

© Thomas Amouroux

Un joyeux cabaret

Les paroles recueillies et rassemblées par thématiques sont prises en charge par  des acteurs issus de la détention, mais aussi par tous les anciens détenus qui jouaient dans Watch. Des participants aux ateliers du SamuSocial et de l'EHPAD partagent la scène avec les acteurs formés au centre pénitentiaire de Meaux. Rien de sordide dans ce montage de texte. Au contraire. Nous sommes surpris par la lucidité et l’humour de ces personnes, venues en nombre sur le plateau du Châtelet, raconter, avec leurs mots à eux, leur rapport à cet argent qui mène le monde.

Aux paroles des uns et des autres, orchestrées par un Monsieur Loyal au costume chamarré, qui, d’une séquence à l’autre, décortique tous les aspects de l’oseille, se joignent les cascades des acrobates de la Compagnie XY. Ils escaladent et tombent des hauts échafaudages métalliques qui constituent le décor.

Emma, Jacques, Nadir, Hadyl Frédéric, Pazzo, Hosmane, Mara, Alphonse, Khalid, Garan, Maher, Jolan, Babe, C7VilaConho, Mimoun, Lacrim, Jumo se succèdent, portant leur propre récit ou les paroles d’un.e autre : tous les noms sont cités sur un écran. Un chien suit joyeusement les interprètes.

© Thomas Amouroux

© Thomas Amouroux

En avant la musique

Ce ne sont pas des flons flons ordinaires qui scandent ce spectacle mais un flot continu de musique minimaliste distillée au piano par Shani Diluka, sur une estrade mobile. Olivier Fredj lui a confié la direction musicale de Flouz : « La musique que j’ai sélectionnée, dit-elle, reflète celle qui rythme le monde, une sorte de métronome organique qui nous rappelle le rapport aliénant du temps à l’argent. » Entre les différents tableaux titrés, l’Ensemble intercontemporain, en formation réduite dirigée par Jérôme Comte, interprète de courts morceaux de Philip Glass (Floe ; Étude 2), John Adams (Chamber Symphony ; China Gates), John Cage (In a Landscape ; Dream), Daft Punk (Giorgio by Moroder). On redécouvre avec bonheur les haïkus sonores de Moondog (Barn Dance et Bird's Lament), le « Clochard céleste » qui mélange baroque et pulsations des danses tribales... En écho à ces grandes figures de l’avant-garde américaine du XXe siècle, les boucles hypnotiques du DJ Matias Aguayo, propices à esquisser des danses urbaines et à soutenir des vers slamés, ou le poignant récit d’un naufragé en Méditerranée. Ces ponts entre musique savante et populaire ménagent des respirations à ce spectacle mené tambour battant.

Flouz, en avoir ou pas

L’argent vu d’en bas

Vu d’ici, on comprend mieux la pauvreté que la richesse. Et comment l’argent a conduit certains à leur perte. « A quoi sert d’amasser du fric ? », demande l’un ; « Pourquoi naît-on rentier ? », s’interroge une autre. Une femme nous raconte comment elle fait la manche, et un homme ce que signifie vivre dans la rue... Un travailleur social parle d’un système financier qui produit du déchet, y compris humain. Il est question de religion, de classes sociales, de santé, d’accumulation capitaliste, de l’empereur Vespasien qui dans la Rome antique renfloua les caisses de l’État par un impôt sur les urinoirs... Une visite humoristique de la prison, palace du pauvre avec petit déjeuner de huit à dix et cour pour les promenades, nous fait rire mais l’adresse de Sofiane à sa mère nous serre le cœur. Pour détendre l’atmosphère, une pluie de billets colorés tombe des cintres et, distribués dans la salle, ces bouts de papiers révèlent que l’argent a bien un odeur : ça pue !!! Et on a beau dire, le fric, ça ne ruisselle pas. Dans ce cabaret à la fois joyeux et émouvant, toute parole prend de la valeur, éclairée par une réalisation soignée, sous l’aile de grands professionnels de la musique et du théâtre.

© Thomas Amouroux

© Thomas Amouroux

En conclusion

Le projet ne s’arrête pas aux quelques représentations publiques : il a aussi permis la réinsertion sociale et professionnelle de certains détenus. Grâce à ce spectacle, et des promesses d’embauche ferme, six personnes ont bénéficié de remises de peine en 2022, et dix en 2023. Certains d’entre eux commencent une carrière artistique.

Tous sont heureux et fiers d’être entendus. « Je suis arrivé avec des réponses, mais vous êtes venus avec les bonnes questions », dit Bizon, ancien détenu. « J’ai vu, il y avait mon nom pendant mon texte. Ils l’ont bien joué », réagit Willy, hébergé au SamuSocial. « C'est super physique le théâtre, c'est trop bien. Il a fallu que j'aille au placard pour découvrir le théâtre, si j'avais su... », confie Khatir, détenu.

Un troisième volet est en route : Match. Il abordera les questions de l’identité, du regard porté sur soi et sur les autres, des réseaux sociaux aux liens familiaux. Puis un Festival, Paradox Stadium, reprendra sur trois jours les travaux réalisés entre 2022 et 2024.

Flouz, en avoir ou pas

Flouz

S Conception, écriture et mise en scène Olivier Fredj, assisté d’Arthur Hauvette S Direction musicale Jérôme Comte S Création lumières Nathalie Perrier S Scénographie Thomas Lauret S Avec la complicité de Frédéric Llinarès pour les costumes S Création olfactive Francis Kurkkjian (avec l’aimable autorisation de Sophie Calle) S Conception musicale et piano Shani Diluka S Musique électronique Matias Aguayo S Arrangements Abel Saint-Bris S Production Paradox Palace S Coréalisation Théâtre du Châtelet S En partenariat avec l’Ensemble intercontemporain – Direction Jérôme Comte – Diego Tosi (violon), Odile Auboin (alto), Éric-Maria Couturier (cello), Emmanuelle Ophèle (flûte), Philippe Grauvogel (hautbois), Jean-Christophe Vervoitte (cor), Aurélien Gignoux (percussions), Alain Billard (clarinette) S Comédiens Emma FC, Jacques Mazeran, Nadir Chebila, Hadyl Amar, Frédéric Guiri, Pazzo, Hosmane Chelgoui alias Haiss, Mara, Alphonse S Acrobates Edouard Gameiro, Théo Corre, Maive Silvestre, Juan Manuel Cisneros formés par Abdel Senhadji de la Compagnie XY S Détenus du Centre pénitentiaire de Meaux Khalid, Garan, Maher, Jolan, Babe Gucci, C7VilaConho, Mimoun, Lacrim, Jumo S Direction des ateliers d’écriture Sylvie Ballul, Yann Apperry, Judith Perrignon, Célia Houdart, Donatien Chateigner et Loïc Froissart S Durée 1h45

Présenté au Théâtre du Chatelet les 8, 9 & 10 septembre 2023

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article