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Arts-chipels.fr

Les Variations Goldberg interprétées par Jean Rondeau. Un moment de pur bonheur pour un quasi testament musical.

Jean-Sébastien Bach en 1746 (à 61 ans) par Elias Gottlob Haussmann. Bach-Arkiv Leipzig (conservé par le Musée d’histoire de la ville).

Jean-Sébastien Bach en 1746 (à 61 ans) par Elias Gottlob Haussmann. Bach-Arkiv Leipzig (conservé par le Musée d’histoire de la ville).

Les Variations Goldberg sont une œuvre dont on pourrait dire, en un raccourci saisissant, qu’elle englobe « toute la musique ». Jean Rondeau sait admirablement en restituer toute la complexité en même temps qu’il en fait partager l’inspiration et l’impact sensible.

C’est comme en suspension qu’on a écouté, dans l’église de l’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache dans l’Aisne, l’interprétation par Jean Rondeau de cette fameuse œuvre de Jean-Sébastien Bach, qui est à la musique le vocabulaire, la grammaire et la syntaxe en même temps que la beauté. Les trente-deux pièces constitutives des Variations Goldberg, incluant la répétition de l’aria qui ouvre l’œuvre, sont pour l’éternité des temps un monument dont on ne s’approche qu’avec respect et humilité. Car Bach y a développé là, de manière unique et indépassable, tous les moyens de faire de la musique et la quintessence de ce qu’une œuvre peut transmettre.

Variations Goldberg - Aria – 1re édition (BnF)

Variations Goldberg - Aria – 1re édition (BnF)

De la complexité mathématique comme un des beaux-arts

Il y a chez Bach quelque chose de l’explorateur naturaliste observant par le menu jusque dans le microcosme de la cellule l’évolution du vivant. Une manière bien à lui de se saisir d’un objet, de le faire tourner en tous sens, de s’en approcher et de s’en éloigner pour y revenir, de le regarder de haut en bas puis l’inverse, de le déplacer dans l’espace en ajoutant une fleur à la feuille, et sur la branche un chant d’oiseau qui se pose. Une rêverie systématique qui naît de la simple variation sous le vent ou par temps de pluie, ou du mouvement presque imperceptible que provoque la pousse du bourgeon qui éclot. Une investigation par le menu qui s’aventure sur tous les sentiers buissonniers. Un témoignage, une transcription du mystère de la vie qui nous outrepasse et dont nous ne pouvons que percevoir la grandeur sans en prendre la mesure. Les Variations Goldberg sont de cette engeance-là.

Une architecture musicale unique

De la même manière que le nombre d’or gouverne les formats de la peinture à l’époque du compositeur, on trouve dans les Variations Goldberg la prise en compte de principes esthétiques. Bach se fixe des règles multiples qu’il combine à partir d’un même objet initial. Trente-deux notes, qui forment la basse de l’aria initiale, sous-tendent l’ensemble des variations qui sont en même nombre. Leurs combinaisons, qui passent par des genres aussi différents que l’invention, la toccata ou l’aria empruntent leurs figures rythmiques aussi bien à la courante qu’à la sarabande, à la gigue qu’à la gavotte ou à la sicilienne. De la polyphonie à l’air soutenu par la basse, de la lenteur rêveuse et poétique à l’urgence de la fugue, des références à la musique française à l’hommage à son maître Buxtehude, Bach se promène et nous entraîne dans un voyage où croisements de mains et vélocité alternent avec des accalmies nostalgiques.

Jean Rondeau © DR

Jean Rondeau © DR

Une musique des sphères

Comment imaginer que ce cahier publié en 1741 – Bach a alors atteint l’âge vénérable de cinquante-six ans, il mourra moins de dix ans plus tard – à compte d’auteur, proposé comme une « récréation » de l’esprit destiné aux amateurs et créé pour agrémenter les nuits d’insomnie de l’ambassadeur russe à Dresde, le comte Keyserlingk, offrirait en même temps cette musique de l’âme qui a traversé les siècles. Car impossible de se tromper : ce qui guide la plume du cantor de Leipzig lui échappe et vient d’ailleurs. Sa musique est une émanation de la divinité. Elle se nourrit de toute la symbolique religieuse de son temps et en particulier d’une science des nombres inscrite dans le cœur de l’histoire religieuse où la dualité s’exprime à travers les deux thèmes de l’aria, où le chiffre trois qui exprime la totalité – le passé, le présent, le futur comme les trois vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité, ou la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit – renvoie à une structure ternaire qui fait revenir le canon toutes les trois variations et où le quatre, qui symbolise le cosmos comme les quatre points cardinaux autour desquels s’organise le monde – et ses multiples – gouvernent l’aria comme le choix des trente-deux variations. Le mystique se mêle au trivial, les airs populaires à la musique sacrée pour former un ensemble incomparable.

Pochette de disque des Variations Goldberg © DR

Pochette de disque des Variations Goldberg © DR

Un interprète inspiré

Cette admirable mécanique céleste ne serait qu’un exercice de virtuosité technique si elle n’était portée par un interprète hors pair. Parce que Jean Rondeau est un musicien à part. Salué comme l’un des clavecinistes majeurs de notre époque – il est aussi compositeur et musicien de jazz – cet élève de Blandine Verlet, spécialiste des Couperin et de Rameau, se préserve de l’agitation musicale. Il vit à l’écart, quelque part en Bretagne, à la fin de la Terre, dans cette contrée où l’élémentaire conserve une présence particulière, où la simplicité s’impose. « En concert, dit-il, je vis un instant mystérieux qui a sa part d’existence. Une fois que j’ai pincé la note, je ne suis plus maître de rien. » Un parcours du dedans qui prend forme au bout de ses doigts et s’exprime sans que la question de la difficulté technique – imposante dans les Variations Goldberg – soit posée. L’émotion affleure et la mélodie nous libère. L’esprit s’élève avec la légèreté fragile des notes, passe de la jubilation provoquée par la rapidité proliférante des motifs à la joie profonde que distille cette musique de l’intérieur et à une nostalgie d’on ne sait quoi qui fait monter les larmes aux yeux. L’esprit parcourt toute la gamme des émotions. Transfiguré, il plane. C’est sans doute pour cela qu’à la fin du concert, lorsque l’aria retourne à la citation d’origine, le silence se fait. Les spectateurs entrent en eux-mêmes, laissent flotter dans l’air un peu de leur méditation. Avant d’applaudir. Car on est au-delà du spectacle…

Jean-Sébastien Bach, les Variations Goldberg interprétées par Jean Rondeau, une « Ode au silence » publiée par Erato (Label Warner Classic)

LES CONCERTS

23 & 24 juin 2023 à Stuttgart (Allemagne)

9 juillet 2023 à Froville (France)

12 juillet 2023 à Pont-Croix (France)

16 & 17 juillet 2023 à Saintes (France)

21 juillet 2023 à Castelmuzio/Montisi (Italie)

Du 28 au 31 juillet à Ansbach (Allemagne)

2 août 2023 à Varengeville (France)

25 août 2023 à Anvers (Belgique)

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