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Arts-chipels.fr

Par la mer [Quitte à être noyées]. De la mer à la mère.

© Virginie Meigne

© Virginie Meigne

Cette rencontre de trois femmes dans une maison au bord de la mer a le goût doux-amer de la nostalgie, de la perte, mais aussi la délicate saveur des recommencements.

En voix off, une femme évoque sa disparition. Elle est déjà morte. Elle n’est plus qu’une urne au fond de l’eau, qui flirte avec les poissons, suit les baleines dans leur course puissante, s’emmêle dans les tentacules de la pieuvre. Elle est l’ancienne occupante des lieux que la scène présente. Une maison au bord de la mer où deux femmes se rencontrent. La première vend, la seconde achète. Cette même maison, qui appartenait à l’absente. C’est elle que la vendeuse évoque quand elle commence à livrer par fragments son attachement au lieu. Elle, sa mère. Son histoire rejoint bientôt celle de l’acheteuse qui cherche désespérément à joindre sa propre fille, qui ne répond jamais. La filiation et son héritage sont au cœur de la pièce. 

Des histoires croisées

Dans les échanges entre les deux femmes, il est question de fuite et de refuge. La morte avait quitté l’autre bord de la Méditerranée pour finalement trouver un havre de paix dans cette petite maison battue par les vents où le ressac trisse sa mélodie incessante. Celle qui vient – on le découvrira au fil des échanges – a perdu son travail et cherche l’endroit où elle se retrouvera, ce qui la pousse vers ce petit cocon malcommode où l’eau s’infiltre par tous les pores du toit, où elle creuse inlassablement un petit sillon qui est celui de la mémoire. Entre la fille qui remet ses pieds dans les empreintes laissées par sa mère et la mère en souffrance qui cherche désespérément à renouer le contact perdu avec sa fille se profilent des chemins inverses qu’une troisième femme, une jeune fille en fuite qui a quitté son pays, va, d’une certaine manière, rassembler. Ces trois femmes noyées sous les trombes d’eau de la mémoire découvriront, au-delà des barrières érigées, le chemin d’une solidarité où se retrouve une respiration perdue et où passé et présent sont enfin réconciliés.

© Virginie Meigne

© Virginie Meigne

Un questionnement presque autobiographique

Cette fable, elle naît, comme pour le précédent spectacle d’Anaïs Allais Benbouali, de l’expérience même de l’autrice. Elle part de sa propre réalité, de son expérience d’enfant d’origine algérienne qui balance entre une vie française mais pas complètement et une appartenance familiale dont elle n’est pas entièrement partie prenante, le curieux sentiment d’être chez soi sans jamais l’être tout à fait, sans jamais trouver la bonne place sinon dans la solitude. Ce chant de la morte du fond des océans, il vient de l’expérience vécue, d’une mère décédée mise au repos dans le repli des vagues. À travers ces femmes à la fenêtre, c’est elle-même qu’elle contemple depuis les rives océaniques où elle réside. Les paroles des anciens, ce sont celles dont elle se souvient quand elle a traversé la mer pour les rencontrer. Elles reflètent ce moment du retour, où le passé s’emballe et se matérialise pour vous remonter à la figure.

© Virginie Meigne

© Virginie Meigne

Dans une odeur d’embruns, un dépouillement touchant

Elle parle d’elle et pourtant son message a quelque chose d’universel. Parce qu’il raconte la manière de vivre la perte en s’appuyant sur les racines que nous gardons au plus profond de nous. Parce que la mort est au cœur de la vie, à la base même de notre humanité. Dans une société qui ne cesse d’évacuer, de masquer l’idée de la disparition, l’autrice nous invite, au contraire, à rechercher la manière dont les morts vivent en nous. Leur survivance ne constitue pas un poids mais une chance qui nous est donnée de nous trouver, de savoir pourquoi nous flottons à la surface des eaux. Dans un espace minimaliste, compris entre un abribus et la maison, c’est de cela que débattent ces trois femmes immergées dans l’océan qui se presse à la fenêtre, ni remarquables ni exceptionnelles mais seulement vivantes, accompagnées par la voix de la morte. L’ancrage de la pièce dans ce milieu liquide et mouvant nous ramène aux origines de l’humanité et nous replonge dans le « bain » physique et métaphorique dont nous sommes issus. Mais il est question ici d’avancée et non de retour en arrière. Dans les méandres de la mémoire réside notre force pour aller de l’avant.

© Virginie Meigne

© Virginie Meigne

Par la mer [Quitte à être noyées] publié aux éditions Koïnè

S Texte et mise en scène Anaïs Allais Benbouali S Avec Gaëlle Clérivet (Max), Louise Belmas (Houda), Asmaa Samlali (Assia) et la participation de Majida Ghomari (voix de Lounia) S Collaboration artistique Guillaume Lavenant S Dramaturgie Charlotte Farcet S Scénographie Lise Abbadie S Création sonore Benjamin Thomas S Musique originale Julie Roué S Création lumières Julien Jaunet S Regard chorégraphique Sofian Jouini S Costumes Tiphaine Pottier S Création vidéo Marie Giraudet S Vidéo mer Lise Abbadie S Construction du décor Florentin Guesdon S Regard complice Elise Vigier et Cécile Favereau S Régisseuse principale Laurie Barrère S Régisseur son Sylvère Caton S Régisseurs lumières Thierry Le Duff, Jean-Philippe Viguié S Régisseurs vidéo Julien Marrant, Xavier Prévot S Machiniste Ruben Veau S Habilleuse Laurence Le Coz S Accessoiriste Juliette Dorizon S Production et administration Marine Charles et Cécile Favereau S Diffusion EPOC productions / Emmanuelle Ossena S Production La Grange aux Belles S Coproduction La Colline – théâtre national, Le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique, La Comédie de Caen – CDN S Avec le soutien de la DRAC Pays de la Loire, du Conseil régional des Pays de la Loire, du Conseil départemental de Loire-Atlantique, de la Ville de Nantes et de la Spedidam S La Grange aux Belles est conventionnée par la DRAC Pays de la Loire et le Conseil départemental de Loire-Atlantique S Durée 1h30

Du 23 mai au 18 juin 2023, mar. 19h, mer.-sam. 20h, dim.16h (sf 28 mai)

La Colline, Théâtre national – 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris

Rés. 01 44 62 52 52, billetterie.colline.fr et  www.colline.fr

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