18 Août 2024
Les Chiens de Navarre poursuivent leur délire sans limite ni interdits. Pour la plus grande joie des spectateurs. Au menu : aussi bien le politiquement incorrect que le débridement des pulsions.
Ça commence à l’entrée même de la salle. Sur scène une tribune – celle de l’Assemblée nationale. À ses pieds, tout autant que dans la salle, des personnages qui s’invectivent et se balancent des noms d’oiseaux. Le sujet ? Éminemment d’actualité, parce qu’on n’arrête pas d’en parler, de cet âge de départ à la retraite. Alors ça s’étripe joyeusement, tous bords politiques confondus. L’outrance est de mise. Le frontiste est plus vrai que nature, le droitiste aussi balai coincé qu’on pourrait l’attendre, les gens de gauche ne sont pas épargnés. Entre les « mecs » et les « bonnes femmes », ça ironise sec. Ça fuse de tous les coins de la salle, et même du balcon. Le ton monte, certains en viennent aux mains devant un président de séance plus bonimenteur publicitaire, offrant, pour chaque intervention, un slogan destiné à placer un produit, que régulateur de débat. Bref, ils offrent un raccourci saisissant du paysage politique mais pas que et des débats qui animent la société.
De la folie sociétale à la folie individuelle
La tribune une fois évacuée, c’est dans un décor déglingué où des branches d’arbre ont perforé les vitres de l’œil de bœuf en surplomb que se déroule la suite. Entre extérieurs et espaces hospitaliers et psychiatriques hantés par des blouses blanches dépassées par les événements, le chemin est pavé de fragrants délires qui vont croissant. Psys plus ou moins allumés face à leurs patients, chirurgiens plastiques caressant leurs clients potentiels dans le sens du poil tout en n’en pensant pas moins, jeunes cadres hipe nouvelle génération, version Silicon Valley, face à de vieux commerciaux sur le retour, entre gourous du bien-être et tarés en liberté, flics, ministres en visite, obsédés sexuels ou meurtriers, c’est toute la galerie sociale qu’on balaye dans un espace théâtral qui laisse peu à peu place à un désordre qui vire au chaos. Personne n’est épargné dans ce jeu de massacre grand-guignolesque et provocant qui ne dédaigne pas de s’aventurer avec une jouissance gourmande dans le scatologique.
La création collective, affaire de groupe
Les Chiens de Navarre ajoutent, avec La vie est belle, une brique de plus à l’édifice de déconstruction-destruction entamé depuis près de quinze ans, qui passe par la création collective. Les comédiennes et comédiens qui composent le groupe ont changé mais le processus de création, qui est leur marque de fabrique, est resté le même. Un thème, des didascalies, des extraits de textes piochés ici et là, des chansons, des photos, des accessoires, sont proposés par Jean-Christophe Meurisse, le metteur en scène, à l’ensemble de l’équipe, comme un terrain vague jonché d’objets dont chacun s’empare pour construire une histoire. La somme de ces histoires, enrichies par les propositions, les apports de tous, les remaniements, formera, au fil des répétitions et des choix successifs, le spectacle.
Du rififi sur la balançoire
Cette écriture en mouvement, en déséquilibre permanent, où l’improvisation laisse la place à l’inattendu, à l’insolite, au hasard, au lâcher-prise conduit sur les chemins du rire mais aussi de la pulsion volontairement incontrôlée, du débridage et de la violence. Rien n’est assez dérangeant pour le metteur en scène, membre du groupe punk originel des Chiens de Navarre, qui a fait des situations collectives poussées à leurs ultimes dérèglements – et non de l’existence de « personnages » de théâtre – le postulat d’une création qui se revendique burlesque et mal-pensante. Si le décousu fait partie des règles de l’exercice, il comporte aussi le risque de la différence de force théâtrale de chacune des saynètes présentées. L’usure, même dans le crescendo trash, se fait parfois sentir… et un certain malaise, peut-être, lié au fait que l'outrance procède parfois davantage du plaisir de la provocation que d'une nécessité dramaturgique. Mais l'insolence de la proposition, la manière de jouer en mode BD sur le no limit, le too much, et de brandir le drapeau noir d’un désordre joyeux, caustique ne peuvent que séduire. Le public, qui manifeste son enthousiasme, ne s'y trompe pas.
La Vie est une fête
S Mise en scène Jean-Christophe Meurisse S Collaboration artistique Amélie Philippe S Jeu Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch S Régie générale, décors et construction François Gauthier-Lafaye S Création lumière Stéphane Lebaleur S Création son Pierre Routin S Régie plateau Nicolas Guellier S Costumes et régie plateau Sophie Rossignol S Direction de production Antoine Blesson S Administration de production Jason Abajo S Chargées d’administration, de production et de communication Flore Chapuis et Marianne Mouzet S Stagiaire en administration, production et communication Flora Courouge S Production Les Chiens de Navarre S Coproduction Les Nuits de Fourvière – Festival international de la Métropole de Lyon ; La Villette – Paris ; MC2 : Maison de la Culture de Grenoble ; Le Volcan scène nationale du Havre ; TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers ; Teatros del Canal – Madrid ; Le Quartz scène nationale de Brest ; MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ; La Rose des Vents scène nationale de Villeneuve d’Ascq ; Scène nationale Carré-Colonnes - Bordeaux Métropole ; Les Salins scène nationale de Martigues ; Le Manège scène nationale de Maubeuge ; Château Rouge, scène conventionnée d’Annemasse ; La Comète, scène nationale de Châlons-en-Champagne ; L’Onde Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay S Avec le soutien du Théâtre des Bouffes du Nord, de la Ferme du Buisson scène nationale de Marne-la-Vallée et de la Maison des Arts de Créteil S La compagnie Chiens de Navarre est soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et la Région Île-de-France au titre de la Permanence Artistique et Culturelle S Durée 1h45 S À partir de 15 ans
Du 12 au 29 septembre 2024 à 20h (les dimanches 22 et 29 à 15h)
Théâtre des Bouffes du Nord – 37 bis, boulevard de la Chapelle, 75010 Paris
Rés. 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com