1 Mai 2023
Entre course-poursuite échevelée, film noir, western spaghetti et cinéma d’espionnage, ces tribulations d’un petit homme sans histoire à qui rien n’arrive jamais ont le caractère burlesque d’un grand film muet et l’allure d’une promenade cinéphilique référentielle et déjantée.
Roger Clément est un homme d’habitudes. Toujours la même heure de réveil, le même petit déjeuner, le même temps consacré à se préparer. Il sort à la même heure, s’engouffre dans les mêmes transports en commun, arrive au bureau just in time alors que son assistante, elle, est toujours en retard. Roger Clément est publicitaire. Il fabrique des slogans à la demande avec une régularité stupéfiante. Un jour cependant la belle machine se grippe. Il caresse le chat quelques secondes de trop, secourt un homme qui s’est trouvé mal, loupe son métro et, bien sûr, arrive en retard, alors que son assistante et amie, était, elle, pour une fois, à l’heure. Une catastrophe ? Non car ce jour-là justement une bombe explose à son bureau et qu’il en réchappe. N’écoutant que son courage, Roger se lance à la poursuite des coupables, avec pour seul indice une mallette contenant une adresse parisienne.
Quatre comédiens montés sur ressorts et un musicien poly-instrumentiste
Ils sont quatre, à jouer tous les rôles. Un seul d’entre eux assumera celui de Roger, tandis que tous les autres se métamorphoseront, au gré des situations, en amie, en collègue de travail, en espion et espionne capable de retournement, en personnages croisés au hasard d’une rue, d’un voyage, dans un taxi, un train ou un bateau, silhouettes fugaces à transformations incessantes ou chœur commentant l’action. Tout est dans la précision millimétrée de la gestuelle, menée à train d’enfer comme en accéléré de film muet. Car en une heure et demie, on va passer de la France à la Russie en plein boom spatial, des courses d’Ascot en Angleterre aux grandes plaines des États-Unis, passer de New York à Paris, Londres et Moscou avant de revenir à Dallas où un certain président Kennedy – nous sommes en 1963 – doit se rendre. La musique n’est pas en reste, qui mêle à l’envi selon la situation la country du western, la dramatisation du « spaghetti », les références aux Beatles, les ambiances glauques du film noir et Ça, c’est Paris !
Une plongée dans l’univers du cinéma et de la BD
On se retrouve plongé, avec la distance humoristique qui s’impose, dans les arcanes du film noir et de ses espions doubles. Un ample feutre rouge et le personnage se métamorphose en dangereuse séductrice, un chapeau de cow-boy et nous voici lancés en plein cœur d’un duel où l’on s’observe, la main sur un étui imaginaire, prêt à défourailler. Et quand les feux parlent, on souffle, comme il se doit, sur l’absence de revolver qu’on tient dans la main. Du côté du public, on navigue dans le ravissement de voir passer les seconds degrés cinéphiliques, l’humour décalé des frère Coen, la re-création du western d’Ennio Morricone ou de Quentin Tarantino, le découpage image par image de la bande dessinée avec sa simplification synthétique ou les attitudes de gangsters héritées du film noir. Jusqu’au titre qui rappelle un certain Hitchcock et un film presque éponyme avec James Stewart, Doris Day et Peter Lorre.
Des trouvailles en avalanche
Nos jeunes complices, que deux années d’études à l’École internationale de théâtre Jacques Lecoq où sont privilégiés le jeu physique et le travail d’improvisation a réunis, ne se contentent pas de décalquer des modèles. Ils les réinventent. Ils tombent, se relèvent, se bagarrent en passant les uns sur les autres dans les positions les plus acrobatiques. Ils s’amusent des poncifs, comme lorsque l’un des personnages, à Paris, demande à l’autre s’il n’a pas oublié d’acheter la baguette, symbole éminemment parisien. Mais surtout, il suffit de quatre feuilles du New York Times pour matérialiser, en même temps que Roger sur son horloge, une remise à l’heure simultanée, ou de tours de passe-passe où apparaissent comme par magie des tasses à thé entre les mains des personnages, où l’on a l’impression d’assister à une décomposition du mouvement image par image – des balles de fusil saisies au vol, des couteaux lancés qu’on voit ressurgir sur la poitrine d’un adversaire avec une précision et un timing stupéfiants. Quant à Roger Clément, devenu héros presque malgré lui, il a tout d’un Buster Keaton égaré dans un monde hostile qui trouve dans le chaos de sa nouvelle vie la force d’être lui-même… On s’amuse beaucoup de ce spectacle qui ne s’essouffle pas et où toutes les formes de comique, menées tambour battant à rythme échevelé avec un ensemble parfait, trouvent leur compte. Elles ne sont pas les seules. Les spectateurs aussi s’en repaissent…
L'Homme qui pensait en savoir trop
S Écriture Olivia Zerphy, Paul Lofferon, Sam Rayner et Emily Wheatman S Mise en scène Olivia Zerphy, Paul Lofferon, Sam Rayner et Emily Wheatman S Création lumière Jo Underwood S Création musicale Frederick Waxman S Avec Olivia Zerphy, Paul Lofferon, Yann Boyenval et Emily Wheatman S Doublures Lucy Butler, Sam Rayner S Création en août 2019 au The Sable Project, Stockbridge (VT), USA S Lauréat de Les Enfants Terribles et Greenwhich Theatre Award 2020, Lauréat du Carol Tambour Award 2022, Lauréat du Theatre Weekly Award 2022 - Meilleur premier spectacle S Finaliste du OFFIE OFF-WestEnd Award 2023 - Meilleure performance S Nommé aux aux Everything Theatre Award 2023 - Meilleure Comédie S Spectacle tout public S À partir de 8 ans
Du 30 avril au 23 mai 2023, dimanche, lundi et mardi – 21h. Date supplémentaire le vendredi 5 mai 2023 à 15h30 (en anglais)
Les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs, 75001 Paris www.lesdechargeurs.fr