Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

HEN. L’hybridation et l’insolence comme marque de fabrique.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Johanny Bert a décidément une manière à la fois drôle et rafraîchissante d’appeler une chatte un chat et un chat une chatte sans compter les autres combinaisons possibles des deux. À travers la prestation « cabarétique » de Hen, il nous entraîne sur les rives très contemporaines de la différence genrée.

Deux musiciens ont pris place de chaque côté de la scène. À cour, un violoncelle, à jardin, batterie, claviers et vibraphone. Au centre, le castelet forme pour l’heure un cadre lumineux très music-hall avec ses couleurs de néons changeantes et vives. Bienvenue au cabaret où se produit Hen – prononcez « heun », un pronom suédois qui désigne indifféremment une femme ou un homme mais ne lui confère néanmoins pas l’indifférence du neutre –, l’artiste déjanté.e qui occupe les lieux ! Hen est une marionnette, et c’est tant mieux parce qu’elle a, du coup, plus de liberté expressive que n’en aurait un personnage de chair et d’os, y compris dans le « scabreux », si l’on reprend ce terme dans les codes d’une société engoncée dans ses impedimenta moraux, qui fait partie de notre héritage.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

S’attaquer à la question du genre

Qui est Hen ? Homme ou femme, homo ou hétéro, bi, queer, trans ou tout autre LGBTQIA+ identifié aujourd’hui ? Hen est tout à la fois, marionnette à transformations multiples, tantôt bodybuildé avec des pectoraux d’enfer, tantôt arborant, poitrine en avant, deux obus en guise de seins, tantôt mi-homme mi-femme. Iel est la matérialisation de nos grands écarts, la projection de nos fantasmes ou projets de vie et de ce que la société considère le plus souvent comme des dérives, quand elle n’y voit pas perversion ou maladie à soigner ou erreur de code génétique – qui peut mener, l’histoire est là pour le dire – à l’emprisonnement et à l’extermination. Politiquement incorrecte, sexuellement touche-à-tout, irrévérencieu.x.se, Hen est avant tout une figure – libre. Dans l’exhibitionnisme de son numéro de cabaret, avec ses costumes de lumière et ses paillettes, dans ses stripteases audacieux et sa virulence narquoise, Hen porte haut la différence. Provocant.e, canaille, séduisant.e, aguicheu.r.se, elle trouve sa place dans les générations Y et Z qui affichent aujourd’hui une identité qui s’affranchit des cases rigides et absurdes du genre.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Zum Kabarett

Le cabaret où se produit Hen rappelle le cabaret berlinois des années 1920-1930 où se pressait toute une population de « hors normes », où changer d’identité était aussi changer de chemise et où se côtoyaient toutes les figures de la différence. Et c’est bien ce type de show que nous propose le personnage, avec une musique au diapason. Empruntant à la chanson populaire, au jazz et au rock, Hen nous entraîne dans un voyage musical marqué par la censure où voisinent chansons lestes aux accents réalistes de 1906 et verdeur des années 1960. Colette Renard y côtoie des éclats de Gainsbourg, de Brigitte Fontaine ou de Catherine Ringer des Rita Mitsouko – qui se définira, après un début de carrière dans des films X, comme une victime de ces temps où « amour libre » rimait parfois avec viol et détournement de mineures – et des compositions originales proposées par Pierre Notte, Laurent Madiot ou Amandine Maissiat mises en musique et arrangées par Guillaume Bongiraud et Cyrille Froger. Des textes décalés et pleins d’insolence que Johanny Bert, narrateur, chanteur et personnage, explore sur une musique excellente. Elle accompagne tout au long du spectacle le monologue-confession-show de cette marionnette hors du commun qui nous entraîne, dans un registre de voix qui passe en fonction de ses incarnations du grave à l’aigu, hors des sentiers battus des figures qui hantent traditionnellement le castelet.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

L’essence de l’art marionnettique

Le castelet vient nous rappeler les origines de la marionnette et l’utilisation qui en a été faite au fil des époques. Si est demeurée gravée dans nos mémoires la présence du Guignol lyonnais, rosseur de gendarmes, roublard et mal-pensant, on peut rappeler l’ambivalence de l’art marionnettique qui servit aussi bien à traduire, sous une figure de papier mâché ou de bois des opinions contestataires impossibles à manifester à visage découvert en même temps qu’un outil de propagande partisane, utilisé par les Russes en Pologne ou prêchant l’évangélisation durant la guerre d’Espagne, ou utilisé comme vecteur par le colonialisme. Hen retrouve à la fois l’essence de l’art marionnettique en même temps qu’il s’en démarque. Johanny Bert choisit son camp. Reprenant la face subversive de la marionnette, il la pousse au-delà des limites de la « bienséance ». Militante, mutante et insaisissable, elle s’échappe, s’aventure sur les terres du « trop », de l’excès avec une réjouissante liberté. Dans le même temps, il laisse voir la fabrique, montrant les deux manipulateurs qui prêtent à la marionnette son caractère humain et animé, les émotions nées d’une tête baissée qui dirait la honte, de pas hésitants qui s’avancent en terrain miné ou d’un mouvement de main où le manipulateur se confond avec sa figurine. Le créateur-metteur en scène-et-interprète, dans son jeu de reflets, donne aussi le mode d’emploi. Dans une séquence cocasse, il déconstruit même sa créature, la remodelant à vue, cul par-dessus tête, jambes et bras dans le désordre à la manière d’un Bellmer aux poupées impudiques. Et bien que cette exploration résolument dégenrée, dérangée et dérangeante reste cantonnée dans le seul cadre de la revendication et de l’affirmation d’une réalité autre, l’existence même de ce décoiffant et caustique spectacle laisse passer à travers le cadre du castelet un grand souffle libérateur qui, au-delà de faire rire avec un art consommé, fait aussi du bien.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

HEN - Johanny Bert - Théâtre de Romette

S Conception, mise en scène et voix Johanny Bert S Manipulation Johanny Bert et Anthony Diaz S Voix de Hen Johanny Bert S Collaboration mise en scène Cécile Vitrant S Arrangements et musique live Guillaume Bongiraud et Cyrille Froger S Fabrication des marionnettes Eduardo Felix S Lifting Hen Laurent Huet S Travail vocal Anne Fischer S Dramaturgie Olivia Burton S Création lumière Johanny Bert, Gilles Richard S Costumes Pétronille Salomé S Assistante costumes Carole Vigné S Stagiaires costumes Lune Forestier, Solène Legrand, Marie Oudot S Régie générale Gilles Richard S Assistante manipulation Faustine Lancel S Construction du décor Fabrice Coudert, assisté de Eui Suk Cho S Régie et création sons Frédéric Dutertre S Chansons écrites pour le spectacle par Prunella Rivière, Laurent Madiot, Alexis Morel, Yumma Ornelle, Pierre Notte, Marie Nimier, Gwendoline Soublin et une reprise de Brigitte Fontaine S Production Théâtre de Romette S Coproduction Le Bateau Feu – scène nationale Dunkerque, La 2Deuche à Lempdes S Soutiens La Cour des Trois Coquins - scène vivante de Clermont-Ferrand, Le Mouffetard - Théâtre des arts de la marionnette, Le Carreau du Temple. S Le Théâtre de Romette est implanté à Clermont-Ferrand, à La Cour des Trois Coquins – scène vivante et est associé à la Maison des Arts du Léman de Thonon-Evian-Publier S La compagnie est conventionnée par la DRAC Auvergne-Rhône- Alpes, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la Ville de Clermont- Ferrand S Johanny Bert est artiste compagnon au Bateau Feu - scène nationale de Dunkerque. S Déconseillé aux - de 14 ans S Durée 1h10

Du 9 au 27 mai, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h

Théâtre de l’Atelier – 1, place Charles Dullin, 75018 Paris

www.theatre-atelier.com 01 46 06 49 24

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article