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Arts-chipels.fr

Ne quittez pas [s’il vous plaît]. Dans le vertige des communications tronquées.

© Nicolas Halle

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Communiquer. Une promenade burlesque en même temps qu’ubuesque dans le labyrinthe des « échanges » téléphoniques.

Le téléphone s’est aujourd’hui transformé en prolongement naturel des individus, en prothèse posée au bout de la main. Il suffit de contempler les voyageurs qui empruntent chaque jour les transports en commun pour s’en assurer. Les sacro-saintes lois de la rentabilité, associées à l’épidémie de covid, ont de plus réduit considérablement les interconnections « humaines » et robotisé les échanges. Elles nous ont fait pénétrer dans un monde où pour avancer dans la « communication », il faut savoir s’exprimer de la « bonne » manière, parce que la machine ne comprend qu’un certain langage. Et lorsque d’aventure, on finit par établir un contact avec un humain, c’est pour découvrir des réponses standard qui vous renvoient au point de départ. Le texte de Maud Galet-Lalande explore ce sillon à travers trois situations juxtaposées qui posent chacune un cas de figure de cette communication téléphonique « new style ».

© Nicolas Halle

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Un espace déshumanisé

À l’entrée dans la salle, des bandes-son diffusent des fragments de témoignages d’origine diverse. Des gens qui ont le sentiment de ne pas être écoutés, ou qui en ont marre des politiques, etc. Sur la surface nue du plateau, dans la pénombre, deux personnages commencent à découper sur le plateau, à l’aide de bandes autocollantes, des espaces infranchissables dans lesquels se tiendront celui ou celle qui appelle et celui ou celle qui répond. Des phares rouges, inquisiteurs, fouillent le public, le scrutent comme l’œil d’une caméra rivé à leur comportement. Les lampes et leur présence agressive reviendront entre chacune des séquences qui composent le spectacle et d’autres tracés au sol créeront d’autres espaces, indiquant un changement d’histoire, tandis que des fragments d’entretiens téléphoniques avec des personnes « réelles » viendront souligner et appuyer, avec leurs mots et leurs exemples, les thèmes abordés par les fictions.

© Nicolas Halle

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Au jeu des « faites le 1 », le « 2 » ou le « 3 »

Trois situations vont permettre d’explorer le champ de ces conversations téléphoniques qu’on n’utilise pas pour prendre des nouvelles de la famille ou parler à des amis. La première, devenue très commune, est intimement liée au transfert robotisé sur internet de fonctions autrefois gérées par des individus. Nous ne trouvons pas sur le site les informations nécessaires ou l’endroit où faire une réclamation. En désespoir de cause, nous nous résolvons à appeler le numéro de téléphone indiqué en cas de problème. On connaît la chanson du « si votre appel concerne… faites le 1 », « si vous souhaitez… faites le 2 » et ainsi de suite pour, à la fin, au bout du chemin, avoir un interlocuteur, qui vous écoute sans vous écouter. Parce que vous n’avez pas trouvé la bonne information à lui fournir, qu’il passe des heures à se connecter à on ne sait quoi pendant que vous attendez ou qu’il vous renvoie au site internet dont vous venez. Alors vous craquez et il se doit de rester impassible. Il n’est pas responsable, ce n’est pas son problème. Et d’ailleurs, on le forme pour ne surtout pas compatir. Et s’il le fait gare à lui.

© Nicolas Halle

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« Je suis là pour vous écouter » et « Vous avez été choisi ». Dérapages en série.

La deuxième situation d’« écoute » renvoie aux émissions de radio souvent nocturnes où l’on invite des auditeurs à exposer leurs peines de cœur auprès d’une oreille nécessairement compatissante qui vous donne l’impression de compter mais qui doit viser en permanence à ce que l’entretien reste dans le cadre. Et justement, ça déborde parce que l’auditeur participant a besoin de parler et qu’il veut être entendu. Le dialogue dérape, ce qui est très ennuyeux parce que la gentille animatrice pleine de compassion est, elle aussi, sur écoute et sous surveillance permanente. Le pendant de cette situation, c’est le client qu’on sollicite via un démarchage téléphonique et à qui on fait miroiter qu’il est l’élu auquel est attribué le privilège de répondre au questionnaire et de gagner, bien sûr, un « cadeau » qui l’engagera pour la suite. Mais là encore, mauvaise pioche et la jeune et fraîche personne avec qui vous aurez discuté le bout de gras écourtera la conversation. Dans chacune des séquences, un homme et une femme dialoguent en direct, chacun dans le coin de la scène délimité, intervertissant les rôles d’appelant et d’appelé. Tantôt sucre et miel, flatteurs et faussement gentils, tantôt froids et impersonnels, ils usent de tous les artifices enseignés par leurs employeurs pour gérer les situations qui leur échappent.

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Un travail d’allers-retours entre fiction et réel

Ces situations d’incommunicabilité tirent leur origine d’un projet pour une émission de France Culture sur le thème « Imaginer le monde de demain », réalisée en partenariat avec la SACD et le Théâtre de la Ville. Sous la forme d’une fiction radiophonique, il s’agissait de mettre en scène – sonore – un démarchage téléphonique. Pour aller plus loin dans la question de la réappropriation de la parole, l’autrice a souhaité un enrichissement du propos en explorant d’autres possibles et en le développant en aller-retour avec des paroles « réelles » sollicitées sur les thèmes de lien social, d’avenir professionnel ou d’écologie. Ce sont des extraits de ces échanges qui constituent les « intermèdes » qui séparent les différentes séquences et rejoignent le propos développé par la saynète théâtrale.

© Nicolas Halle

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Le réel, au-delà de la fiction

Le mode de recueil de ces divers témoignages, en dehors des rencontres avait aussi emprunté la voie du canal téléphonique, avec un répondeur permettant de recueillir des expériences, des réflexions, des messages, des coups de gueule. Quelque vingt heures avait été recueillies. Comme il n’était pas possible de les intégrer toutes au propos de la pièce, les enregistrements ont été mis en ligne sur un site internet en les classant par thématique et par lieu afin de rendre leur consultation possible et de favoriser le partage. À travers ce processus, les frontières entre documentaire et fiction sont devenues poreuses dans les deux sens, provoquant l’échange, rendant la communication effective. Le théâtre devient prétexte en même temps qu’il puise dans le réel son inspiration et l’acte artistique s’insère dans le tissu social. Si le spectacle reste divertissant, sa démarche compte tout autant.

© Nicolas Halle

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Ne quittez pas [s’il vous plaît]

S Texte et mise en scène Maud Galet Lalande S Collaboration à l’écriture Hervé Urbani S Assistanat et coordination Sébastien Rocheron S Avec Gaëlle Héraut, Philippe Lardaud S Création sonore et musicale, chant live Mélanie Gerber S Scénographie et création vidéo Nicolas Helle S Création lumière Vincent Urbani S Regard chorégraphique Amélie Patard S Confection / retouches costumes Élodie Viennot S Administration Isabelle Sornette S Diffusion / presse Judith Wattez S Production Compagnie Les Heures Paniques S Coproduction Tropiques Atrium — scène nationale de Martinique ; Espace Bernard-Marie Koltès - scène conventionnée d’interêt général — Metz ; NEST THÉÂTRE Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville-Grand Est ; La Passerelle — Rixheim, Le Nouveau Relax — Chaumont S Soutiens ARIA — Olmi Cappella, La Maison Rouge — Fort de France, Théâtre de Macouria — scène conventionnée de Guyane, 11 • Avignon et Théâtre de Belleville, Collectif Le Gueuloir, France Culture, SACD, Théâtre de la Ville de Paris, Librairie Le nom de l’Homme — Lagrasse, DRAC Grand Est, Région Grand Est, Département de la Moselle, Ville de Metz. Cie conventionnée avec la Ville de Metz S Durée 1h20 S À partir de 12 ans

Du dimanche 9 avril au mardi 25 avril 2023 Lun. 21h15, mar. 19h, dim. 20h

Théâtre de Belleville – 16, passage Piver, 75011 Paris

T. 01 48 06 72 34 www.theatredebelleville.com

TOURNÉE

7 au 26 juillet 2023 à 17h15 11 • Avignon

21 et 22 septembre 2023 Tropiques Atrium — scène nationale de Martinique

15 et 16 octobre 2023 Théâtre de Macouria — scène conventionnée de Guyane

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