12 Avril 2023
Jérôme Deschamps a troqué les fantaisies baroques du Bourgeois gentilhomme pour une approche plus âpre de Molière, campant un Avare drôle en même temps qu’inquiétant.
À la multiplicité des niveaux qui formaient le décor du Bourgeois gentilhomme s’est substitué un décor atemporel, comme pour décoller la pièce de son contexte historique. Une toile de fond abstraite sur laquelle la lumière joue pour recréer des atmosphères qui ne se rapportent plus à la règle des trois unités mais ont à voir avec l’avancée dramatique de la fable. En contrepoint, les costumes et les perruques cependant renvoient au Grand Siècle, même s’ils se montrent dépourvus de la magnificence des costumes de l’époque et en présentent plutôt une version cocasse, telles les fanfreluches roses qui animent les poignets de Cléante, le fils d’Harpagon, ou les joues rougies des personnages. On retrouve l’humeur facétieuse qui caractérise Jérôme Deschamps. Avant que la pièce ne commence, un homme passe en fond de scène, traînant une brouette dans laquelle se trouve un coffre. Le ton est donné. Le « roi » de la pièce, c’est lui, Harpagon, le grippe-sou, l’avare omniprésent qui veille sur son trésor.
Une intrigue plus que connue
L’histoire, on l’a vue et revue sur nos bancs d’écolier. Harpagon, avare jusqu’à l’outrance, martyrise toute sa maisonnée. Pour économiser encore davantage, il se met en tête de marier ses enfants à des vieillard.e.s fortuné.e.s, tandis que lui-même, qui est veuf, épousera une jeunette. Mais rien ne se passe comme prévu car son fils et sa fille se sont entichés de jeunes gens de leur âge. Et cela se gâte encore quand l’amoureuse de Cléante se trouve être la jeune fille qu’Harpagon se destine et que Valère, le soupirant de sa fille, se trouve accusé du vol de la fameuse cassette que chacun garde en mémoire. La situation vire au drame insoluble. Mais heureusement, de coup de théâtre en coup de théâtre, d’invraisemblance en invraisemblance, les orphelins retrouvent leur père, les pauvres redeviennent riches et tout est bien qui finit bien.
Un presque seul en scène
Dans cette pièce, hormis Harpagon, les autres personnages apparaissent comme des comparses, des aiguillons qui chaque fois révèlent un des aspects du caractère et du comportement du personnage. Car Harpagon cumule toutes les tares que Molière souhaite dénoncer. Son credo, sa religion, c’est l’argent, non pour ce qu’il permet, mais pour lui-même, pour sa propriété. Il ne pousse pas seulement l’avarice et le goût du lucre jusqu’à l’extrême, discutant jusqu’au picotin de ses chevaux, qu’il affame, et imaginant un repas de noce à bas prix. Il est fourbe, manipulateur. Tous les moyens lui sont bons pour obtenir ce qu’il cherche. Il prétend aussi régner en maître absolu sur ses enfants, n’écoutant que son avarice et indifférent à leur bonheur – on se souviendra en passant des difficultés de Jean-Baptiste Poquelin lorsqu’il refuse à son père de reprendre la charge de tapissier du Roi de celui-ci et des difficultés financières qu’il rencontre alors. Jérôme Deschamps, pour notre délectation, ne nous fait grâce d’aucun des défauts du personnage. Au rythme de son bedon qui tressaute et qu’il porte en avant comme un signe de son pouvoir, armé d’une pelle rouge qu’il porte à la ceinture ou d’un bâton, il incarne un Harpagon-zébulon, acharné à tout régenter, qui ne laisse aucune place aux choix individuels et symbolise une société corsetée, tyrannique. Un sale type, à coup sûr…
Les ferments de la révolte
Mais en face de lui, le monde change. Une jeunesse en quête de plaisirs, avide de douceur de vivre, à la recherche du carpe diem et de l’amour, n’accepte plus les valeurs de cette société du lucre et de l’épargne. Elle se fait remuante. En silence d’abord. Si Mariane demeure en partie une fille obéissante et se plie à la volonté de sa mère, il n’en va pas de même des enfants d’Harpagon. Si, dans un premier temps, ils espèrent convaincre leur père, usent de flatterie, cherchent des moyens de persuasion, ils comprennent bien vite que c’est chose vaine. Alors se lèvent toutes les oppositions. Tous ceux que l’Avare a humiliés, trompés et contraints décident de lui rendre la monnaie de sa pièce. Frosine, l’entremetteuse, met sur pied un complot pour abuser Harpagon et le pousser vers une hypothétique autre femme, plus riche que Mariane qui est sans le sou. Cléante entre en révolte ouverte contre son père. Quant à Élise, la fille d’Harpagon, elle échappe à son emprise en acceptant de se fiancer à Valère. Harpagon, même s’il récupère sa précieuse cassette, est tombé, finalement victime de ses propres manigances. Sous les oripeaux de la comédie se dessine le basculement d’un monde. Doubles sens et quiproquos abondent, alimentant un comique de situation ponctué de coups de théâtre et de rebondissements auxquels les comédiens apportent leur dose de distance malicieuse et on continue de se laisser prendre à la tirade désespérée d’Harpagon se lamentant de la perte de sa cassette. De ce côté-là, rien de neuf sous le soleil. Mais, si on reste dans le champ du rire, sous les dehors de la farce les ombres plus noires se font tenaces…
L’Avare
S Texte Molière S Mise en scène Jérôme Deschamps S Avec Flore Babled en alternance avec Bénédicte Choisnet (Élise), Lorella Cravotta (Frosine), Vincent Debost (Maître Jacques), Jérôme Deschamps (Harpagon), Fred Épaud (Anselme, Brindavoine), Hervé Lassïnce (La Flèche, La Merluche), Louise Legendre (Mariane), Yves Robin (Maître Simon, Dame Claude, Le Commissaire), Stanislas Roquette (Cléante), Geert Van Herwijnen en alternance avec Bastien Chavrot (Valère) S Décor Félix Deschamps Mak S Costumes & Accessoires Macha Makeïeff S Lumière Bertrand Couderc S Assistanat à la mise en scène Damien Lefèvre S Assistant au décor Anton Grandcoin S Assistant à la peinture Alessandro Lanzillotti S Assistante aux costumes Laura Garnier S Perruques & maquillage Emmanuelle Flisseau S Assistante aux perruques & au maquillage Rebecca Barrault S Production Compagnie Jérôme Deschamps S Coproduction Théâtre national Populaire – Théâtre Montansier, Versailles – Théâtre de Caen – Théâtre de Chartres, Scène conventionnée d’Intérêt national – Art et Création S Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National et de la compagnie Mademoiselle S La Compagnie Jérôme Deschamps est soutenue par le ministère de la Culture S Durée 2h15
Du 5 au 29 avril 20h / dim. 15 h (relâche les 9, 10, 17 & 24 avril)
Théâtre de la Ville-Abbesses – 31, rue des Abbesses, 75018 Paris
www.theatredelaville-paris.com 01 42 74 22 77
TOURNÉE
10 & 11 mai 2023 Théâtre de Chartres, Scène Conventionnée d’Intérêt national – Art et Création
23 juin - 19 août 2023 Les Fêtes nocturnes du château de Grignan (26-Drôme provençale)
28 - 31 déc. 2023 Théâtre de Caen
En préparation pour 2023-2024 : Charleroi, Draguignan, Saint-Priest, Marseille, Caen, Tarbes, Épinal...