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Arts-chipels.fr

Un musée de la Renaissance dans un écrin du XVIe siècle : le château d’Écouen.

Façade nord du château © Mathieu Ferrier

Façade nord du château © Mathieu Ferrier

À travers les très riches collections du château, cette symphonie pour les yeux nous en apprend beaucoup sur l’esprit de la Renaissance et les échanges culturels et artistiques qui ont sous-tendu cette révolution de la pensée dans laquelle prend forme l’homme « moderne ».

Si on connaît bien les trésors de la période médiévale conservés au musée de Cluny, on a tendance, pour la Renaissance, à se cantonner aux châteaux de la Loire qui en sont un volant architectural spectaculaire et à ne citer en plus, dans le domaine des arts, que le château de Fontainebleau, porte-drapeau de la Renaissance française à l’époque de François Ier, avec sa célèbre « école » qui fournit à la France du XVIe siècle ses canons esthétiques, en particulier dans le domaine des arts décoratifs. Mais Fontainebleau, pour le visiteur, est avant tout la demeure royale où l’on trouvera tout aussi bien la chambre de Marie-Antoinette que l’appartement d’apparat de Napoléon Ier. Pour relier ensemble les pièces du puzzle Renaissance, il convient de se rendre à Écouen. À un peu plus d’une demi-heure de train ou environ quarante kilomètres de Paris, on trouve un château dressé sur un promontoire qui n’a rien de médiéval n’était la survivance du fossé qui l’entoure. À l’écart du monde, dominant une bourgade endormie, se met en scène le témoignage éclatant d’une période historique qui va consacrer l’avènement du laïc au côté du religieux et révolutionner l’histoire de l’art. Les très riches collections que conserve le château d’Écouen, constituées d’accrétions successives venues de diverses sources et lieux, nous en apportent le témoignage.

Plafond de la chapelle © Nigel Barnet

Plafond de la chapelle © Nigel Barnet

Des collections qui s’abreuvent à la même source que le musée de Cluny

C’est d’abord à la passion d’un collectionneur, Alexandre du Sommerard, et de son fils Edmond qu’on doit aujourd’hui la constitution des collections, qui rassemblent au départ des œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance. Alexandre, qui défend les armes à la main la France révolutionnaire, emploie ensuite une grande partie de sa fortune, néanmoins modeste, à réunir, classer et publier une collection d’objets d’art de ces deux périodes, des meubles, des vases, des objets en tout genre qu’il sauve de la destruction et conserve dans son « cabinet » de curiosités, en l’hôtel de Cluny, un ancien palais gothique de la fin du XVe siècle dans lequel il s’est installé en 1833, créant un « Musée d’antiquités nationales ». Celui-ci est acquis, à sa mort, par l’État français et son fils Edmond en devient le premier conservateur. Il lance une politique d’acquisitions considérable, faisant passer le nombre de pièces conservées de 1 434 à plus de 10 000. Le musée de Cluny devenant trop étroit au fil des acquisitions successives, c’est à Écouen qu’on décide d’installer en 1962 les collections de la Renaissance, dans un château contemporain des collections qu’il abritera.

La Cène d'après Léonard de Vinci - Phot. Gérard Blot © RMN/Grand Palais

La Cène d'après Léonard de Vinci - Phot. Gérard Blot © RMN/Grand Palais

Écouen, un lieu emblématique

L’histoire du château porte la marque indélébile d’un des très grands seigneurs de la Renaissance française : le connétable Anne de Montmorency, intime de François Ier, protégé par Henri II. Au côté de François Ier, il s’est lancé dans les guerres d’Italie. Comme son monarque, il en a rapporté des objets, a désiré changer son environnement, par trop sévère, et fait venir des artistes italiens. Richissime mécène, puissant seigneur, il a la possibilité de mettre sa fortune colossale au service de sa passion. Écouen sera celui de ses 130 châteaux qui portera la marque de cet esprit nouveau. Il fait raser l’ancien château médiéval en 1538 et fait construire son nouveau château en un temps très court – il est achevé en 1555. Si l’on ne connaît pas l’identité de l’architecte qui imagine le plan initial du château, on connaît en revanche celui qui s’employa à le réaliser et l’acheva, Jean Bullant, un architecte qui avait étudié l’art antique à Rome. Son traité d’architecture, Reigle généralle d’architecture des cinq manières de colonnes (Paris, Jérôme Marnef & Guillaume Cavellat, 1568. XXI-(2)-E-004. Provenance, collection Charles Spencer Sunderland, exemplaire conservé au Château de Chantilly) porte la marque de son appétence pour l’Antiquité et des recherches qu’il effectue sur l’art antique. Pour décorer la façade sur cour du château d’Écouen, il s’inspire d’ailleurs de l’ordre corinthien du Panthéon de Rome, créant ainsi l’un des premiers exemples de l’ordre colossal en France. Le château porte dans son architecture l’ADN de ce qu’on qualifie de Renaissance « française », en particulier dans le décor des lucarnes du château, de plus en plus élaboré et complexe à mesure qu’on avance dans le temps.

Cabinet vénitien © Anne Gaillou

Cabinet vénitien © Anne Gaillou

Un espace « total » de la Renaissance

L’architecture de l’édifice ne porte pas seule les aspirations rénovatrices de son propriétaire. Le décor intérieur est au diapason. Pavements, vitraux, lambris, frises, marbres envahissent le château. Les manteaux de cheminée délaissent le stuc pour des paysages maniéristes inspirés de l’Ancien Testament ou des Évangiles. Les putti, les cuirs, les guirlandes de fruits où melons, raisins, coings, courges et poires forment un joyeux cortège, les animaux fabuleux, les atlantes et les satyres tout droit sortis de l’Antiquité abondent. Ils voisinent avec les signes du pouvoir, épées, trophées d’armes, armoiries, couronne ducale, emblèmes royaux. La plupart des pièces conservent encore leurs décors de grotesques sur les frises ou les ébrasements de fenêtres, leurs harpies, leurs chèvre-pieds, dans tous les tons – bleus et grisés chez le connétable, plus colorés dans les appartements de l’épouse, sur fond noir à l’antique ailleurs… Seule la chapelle, avec sa voûte d’ogives très élaborée, peinte aux armes du connétable, où l’on retrouve la salamandre de François Ier et les croissants d’Henri II, conserve le souvenir, déjà mutant, de l’époque gothique. Les arts décoratifs ne sont pas en reste. Les émaux du Limousin font écho aux tapisseries, la majolique italienne et ses scènes mythologiques très colorées répondent à la finesse et à la fragilité des poteries poitevines de Saint-Porchaire, les livres rares trônent près de pièces d’orfèvrerie d’une exceptionnelle virtuosité, et les peintures du Rosso – sa Pietà est aujourd’hui au Louvre – et une copie de la Cène de Léonard de Vinci par Marco d'Oggiano accompagnent les fresques – aujourd’hui détruites – de Nicolo dell’Abate. Côté sculpture, l’ombre des Esclaves de Michel-Ange, initialement prévus pour le tombeau du pape Jules II, finalement offerts à François Ieret arrivés en France sous Henri II, qui en fait don à Anne de Montmorency, plane sur l’aménagement de la façade sur cour de l’aile sud et une collection de bustes romains dont quatre d’entre eux subsistent encore dans le château complètent le paysage.

Cabinet en maroquin. Paris (v. 1630) © RMN/Grand Palais

Cabinet en maroquin. Paris (v. 1630) © RMN/Grand Palais

Le musée d’un art de vivre et d’une vie dans l’art

Si l’on peut découvrir au fil du parcours des armes, parfois magnifiquement damasquinées ou incrustées de nacre et des armures qui sont de véritables chefs d’œuvre mais laissent dubitatif devant la maniabilité des unes et la rigidité des autres, si l’on peut comparer le vaste lit abusivement dit « de François Ier » qui trône encore dans une des chambres avec les souvenirs des lits étriqués de l’époque napoléonienne, les collections du musée enrichissent l’approche de cette période où règne un certain hédonisme, au fil de salles qui restent encore étonnamment « habitées ». Parce qu’on y retrouve les carrelages armoriés de vives couleurs sur lesquels la lumière joue et se reflète, qu’on se rapproche de ce monde où les meubles associent des coffres dont l’aspect utilitaire disparaît sous l’abondance de sculptures qui les couvrent, des armoires, telle celle provenant de l’abbaye de Clairvaux au décor italianisant inspiré par l’école de Fontainebleau ou des cabinets dans lesquelles les portes s’ouvrent pour dévoiler scènes peintes et tiroirs. Ici les objets utilitaires témoignent d’abord de la volonté de leurs propriétaires d’inscrire la beauté dans leur environnement quotidien. Les sculptures portent la marque de cette liberté de représentation du corps humain passée par le dessin d’anatomie et le nu dans des scènes qui sont parfois décalquées des gravures qui circulent et aident à la diffusion des œuvres des artistes. Le cuir, dont le travail voit le jour en Espagne sous l’impulsion d’un commerce initié par les Arabes en Afrique du Nord, gagne Cordoue puis Venise et les Pays-Bas. Il devient tenture apposée au mur tels les deux panneaux réalisés sur des modèles du XVIe siècle au siècle suivant et conservés au musée. Un cabinet en maroquin, entièrement tapissé d’un cuir doux de couleur rouge doré au petit fer et mosaïqué de cuir brun, orange et olive nous rappelle, avec ses bandes entrelacées d’inspiration mauresque que l’histoire de cette période mêle l’Orient et l’Occident.

Cassone (détail) © DR

Cassone (détail) © DR

Présents de mariage

Dans le domaine des coffres, le musée présente aussi une très intéressante collection de cassoni. Il était d’usage, à cette époque d’offrir à la future épousée un coffre de grande dimension, très décoré et peint sur la face avant et les deux côtés. Il rejoignait, dans la chambre des époux, celui qui contenait les affaires du mari. Les scènes qu’on y représentait avaient parfois une valeur exemplaire, voire moralisatrice. Elles choisissaient pour thème, en fonction de la personnalité de leur commanditaire, des scènes de l’histoire antique, des épisodes de la mythologie ou des scènes de combat. Véritables œuvres d’art, les cassoni ont été le plus souvent démantelés pour n’en conserver que les panneaux décoratifs. Ceux d’Écouen, d’une finesse remarquable, évoquent, par leurs décors, Sienne ou Florence, parfois Rome lorsqu’apparaissent le Colisée ou la colonne Trajane. Les personnages antiques ou mythologiques y sont, comme il était d’usage, vêtus non à l’antique mais à la mode du jour. Une leçon à méditer lorsque certains s’émeuvent, à propos du théâtre, de la « modernisation » apportée par certaines mises en scène, aux sujets hérités du passé.

La Naissance de Bacchus. Verre, peint à froid, Venise, XVIe siècle © RMN/Grand Palais

La Naissance de Bacchus. Verre, peint à froid, Venise, XVIe siècle © RMN/Grand Palais

L’art du verre

Les objets décoratifs en sont pas en reste. Le musée présente une collection de verreries époustouflante. D’une finesse remarquable, d’une audace formelle étonnante, ils viennent pour l’essentiel de Venise, quoique les Flandres ou l’Allemagne soient aussi représentées. Au XVe siècle, nourris d’échanges avec l’Orient méditerranéen, les verriers vénitiens mettent au point une nouvelle composition du verre qui lui donne une transparence inconnue auparavant, d’où son nom de cristallo, en référence au cristal. Les souffleurs de verre de Murano, par un lent travail du verre à chaud et de moules, créent des formes extrêmement complexes, aux couleurs délicates et variées. La Coupe aux armes d’Anne de Bretagne en constitue un bel exemple. D’autres pièces d’ateliers, venues du Tyrol, par exemple, sont difficiles à distinguer des pièces vénitiennes, du fait de la formation des artistes en Italie ou des migrations d’artistes italiens. La Naissance de Bacchus, quant à elle, ajoute un décor peint à froid au revers de l’objet. La même technique sera appliquée à la fabrication de plaques enchâssées dans des retables, conférant un aspect brillant à la couleur. Le travail du verre s’attache aussi au vitrail, renouvelant les techniques héritées du Moyen Âge. Le portrait de François Ier commandé à Nicolas Beaurain pour la décoration de la Sainte-Chapelle de Vincennes confiée par Henri II à Philibert Delorme, est une véritable merveille de la peinture sur verre. La vérité qui émane de ce visage émacié, fatigué mais néanmoins ouvert, la délicatesse des motifs, finement définis, la répartition délicate des émaux colorés, la subtilité des nuances en font une œuvre fascinante.

Bernard Palissy (suiveur de), fin XVIe-début XVIIe © RMN/Grand Palais

Bernard Palissy (suiveur de), fin XVIe-début XVIIe © RMN/Grand Palais

La terre et les arts du feu

La terre cuite et vernissée présente à la Renaissance des tendances hétérogènes. À côté des pavements de faïence peints et décorés tel celui du château de Polisy, réalisé dans un atelier champenois, qui construit une iconographie très diversifiée où dominent les blancs, les jaunes et les bleus, faite d’encadrements hexagonaux successifs où les motifs floraux et les entrelacements forment un écrin autour de motifs au milieu desquels les armoiries du commanditaire et ses trophées s’ouvrent sur un discours emblématique complexe, on trouve la majolique italienne avec ses décors historiés reprenant  des épisodes bibliques ou mythologiques, tantôt créée, tantôt inspirée par les gravures de Raphaël et de Dürer qui circulent. Les peintres affluent dans les ateliers d’Urbino et de Casteldurante, les sources gravées se diversifient. Les teintes vives, fraîches, des objets, la maîtrise picturale dont ils témoignent s’appliquent aussi bien aux assiettes et aux plats qu’aux vases à l’antique remis au goût du jour. Dans un autre registre figurent les grès rhénans dont la silice est partiellement vitrifiée par une cuisson à haute température, à 1 200 °C. De teinte naturellement beige ou brune, ils intègreront le bleu de cobalt à la fin du XVIe siècle, voire des gris pâles qui se rapprochent du blanc par l’utilisation de l’argile. Les reliefs, appliqués, sont moulés sur de fines plaquettes d’argile avant d’être collés avant cuisson sur le corps de l’objet. On ne pourrait clore cette partie sans mentionner le céramiste Bernard Palissy, l’autodidacte qui ne parlait ni grec ni latin, converti au protestantisme, protégé d’Anne de Montmorency et de Catherine de Médicis. La légende a forgé son portrait d’artiste à la poursuite d’une glaçure à laquelle il sacrifie son mobilier pour en faire du combustible. Mais s’il échoue à trouver le secret de la porcelaine chinoise, il recouvre néanmoins ses porcelaines d’un émail jaspé et surtout il crée un style « rustique » où abondent les formes animales et végétales traitées dans le relief, parfois d’ailleurs même moulées à partir d’éléments pris dans la nature. Ses « rustiques figulines » s’insèrent dans un décor qui dit l’obsession du céramiste pour l’imitation de la nature, introduisant ici un éclat de rocher, là une transparence aquatique ou le rendu précis d’un corps couvert d’écailles, ce qui le conduira à adapter à la céramique le goût des grottes importé d’Italie. Il réalisera à Écouen une grotte à décor céramique peuplée de plantes et d’animaux marins aujourd’hui disparue

Iznik, plat à décor de bateau (v. 1580) © RMN/Grand Palais

Iznik, plat à décor de bateau (v. 1580) © RMN/Grand Palais

Au sud-est, la nouveauté

Le panorama de la terre cuite ne serait pas complet sans la place qu’occupe l’ensemble de céramiques ottomanes d’Iznik. Unique en Europe par son importance, la collection doit son existence à la passion d’Auguste Salzmann, photographe et archéologue. Il rassemble en effet quelque 500 pièces lors de ses nombreux séjours sur l’île de Rhodes vers le milieu du XIXe siècle. Elles sont achetées par le musée de Cluny en 1865 et offrent un très intéressant panorama de la céramique ottomane tout en racontant une histoire riche d’enseignements. Car si sa diffusion en Europe correspond à la nécessité, pour les potiers d’Iznir, de diversifier leur clientèle, cet élargissement influe sur les thèmes d’illustrations choisis. Installé au sein même du palais impérial, l’atelier répond d’abord aux commandes du sultan qui définit l’esthétique des pièces. Iznir étant situé sur la route de la Soie, la porcelaine chinoise d’époque Yuan et du début de l’époque Ming séduit les princes ottomans qui demandent aux potiers de s’en approcher dans leurs réalisations. Ainsi apparaît une faïence composée de silice, d’argile blanche et d’une fritte (mélange vitreux obtenu par fusion) plombière couverte d’un engobe blanc. Au premier style, bleu sur fond blanc, viendront s’adjoindre le turquoise, le vert tilleul, l’aubergine et le noir avant que n’apparaisse le rouge éclatant dit « rouge d’Iznir ». Les motifs floraux (œillets d’Inde, tulipes, roses, jacinthes) abondent tandis que les arabesques mêlent les traditions musulmane et chinoise. Leur succèderont les décors animaliers, tandis que les navires, assez fantaisistes parfois, très goûtés par les usagers de la Méditerranée, viendront occuper le devant de la scène. Cette céramique profane finira même par inclure, malgré les interdictions du Coran, des représentations humaines. Encore une fois, accrétions stylistiques et culturelles marquent cette période caractérisée par une intense circulation commerciale.

Pierre Courteys, Jupiter. Limoges, 1559 © RMN/Grand Palais

Pierre Courteys, Jupiter. Limoges, 1559 © RMN/Grand Palais

De la glaçure à l’émaillage

Si l’émaillage sur cuivre est une des tradition des ateliers limougeauds depuis le XIIe siècle, ce n’est que dans les dernières décennies du XVe siècle que se développe la technique dite de « l’émail peint ». Elle va permettre de réaliser, par apport sur la surface d’un apprêt adhésif, de couches d’émail polychrome, vitrifiées en plusieurs cuissons successives, de grandes surfaces historiées se rapprochant de la peinture. D’abord voué au répertoire religieux, l’émail peint aborde les sujets profanes, la mythologie, les œuvres de Virgile ou d’Ovide constituant un répertoire très prisé en même temps que se développe la pratique du portrait. C’est ainsi que Léonard Limosin crée des portraits des plus importants personnages de la cour tandis que Pierre Reymond réalise le retable de la chapelle d’Écouen. Quant à Pierre Courteys, il travaille sur des plaques de très grandes dimensions inspirées de gravures d’après Rosso Fiorentino. En grisaille tels le Repas de Psyché inspiré d’Apulée (Léonard Limosin, v. 1543) ou de Diane au repos (Pierre Reymond, 1567), elles peuvent arborer les plus vives couleurs comme le Portrait de Pâris par Limosin (v. 1564).

Tapisserie des Fructus Belli : Le Dîner du général © Nels Pires

Tapisserie des Fructus Belli : Le Dîner du général © Nels Pires

Textiles et tentures

Si les collections exposées ne comportent pas de costumes, ceux-ci ayant subi les atteintes du temps et les fragments de tissus remisés dans les réserves, le musée présente une collection de tapisseries et de tentures dans un remarquable état de conservation et d’une très grande importance. Ainsi de la Tenture de David et Bethsabée, avec ses soixante-quinze mètres de long sur quatre mètres cinquante de hauteur et ses six cents personnages, qui rivalise avec les cent mètres de la Tapisserie de l’Apocalypse d’Angers réalisée au XIVe siècle. Sur les conditions de la création de la Tenture de David et Bethsabée, on ne peut formuler que des hypothèses vraisemblables à défaut d’être certifiées : que ses cartons auraient été réalisés par un peintre flamand, Jan Van Room, dit Jean de Bruxelles et que la commande en alreviendrait à Marguerite d’Autriche, qui aurait ensuite revendu la Tenture qui arrive dans les collections d’Henri VIII d’Angleterre. Celui-ci l’aurait acquise, peut-être, pour se concilier le pape, irrité par son divorce d’avec Catherine d’Aragon. La tenture rapporte en effet que David, dont la femme était stérile, s’éprend de Bethsabée et que celle-ci tombe enceinte. La colère divine s’abat sur David et sur l’enfant à naître et le pardon divin sera nécessaire pour que le roi épouse Bethsabée et engendre à nouveau – le futur Salomon, grand roi d’Israël.

Tenture dite de l'Arsenal. Apollon sous les traits d'Henri IV © RMN/Grand Palais

Tenture dite de l'Arsenal. Apollon sous les traits d'Henri IV © RMN/Grand Palais

Du tissage à la broderie

Au-delà du caractère monumental des nombreuses tapisseries, barrières contre le froid dont on revêtait les murs pour se protéger d’un mode de chauffage souvent insuffisant, ce qui frappe c’est l’extrême qualité des pièces exposées. Tel est le cas des Tentures dites « de l’Arsenal » qui meublaient les appartements de Sully au palais de l’Arsenal et dont le musée possède quatre pièces sur les sept que comptait l’ensemble. Junon y apparaît sous les traits de Marie de Médicis et Henri IV se mue en Apollon tandis qu’autour d’eux la richesse du travail de broderie laisse sans voix. Sur la frise extérieure, tonneaux de poudre, fascines et faisceaux d’armes, attributs de la charge de Sully, grand maître de l’artillerie à l’époque, sont parsemés de boulets de canon – ils deviennent bouquets de fleurs dans la représentation de Junon – tandis qu’au centre le personnage central apparaît, les pieds reposant sur un coussin, dans un écrin de verdure peuplé d’animaux étranges ou fantastiques. La symbolique qui catégorise Henri IV, représenté la lyre à la main dans un halo solaire, aurait fait pâlir d’envie un certain Roi Soleil n’était la bonhomie du personnage qui transparaît. La réalisation de la broderie est époustouflante. La soie colorée, l’or et le satin blanc et vert ont été employés et les fils de soie de la broderie laissent entrevoir la couche d’or qu’ils recouvrent. La diversité des points – points plat, chaînette, cordonnet – attestent de la volonté de faire de la broderie une œuvre d’art au caractère exceptionnel. Des autres panneaux conservés, Saturne pourrait évoquer Sully lui-même et Vénus, son épouse, comme pour dire la fidélité qui loue Sully et son épouse au roi et à la reine.

Wenzel Jamnitzer, Daphné (v. 1569-1576) © Georges Troboa

Wenzel Jamnitzer, Daphné (v. 1569-1576) © Georges Troboa

De quelques inattendus

La liste serait longue d’énumérer la quantité de pièces d’orfèvrerie de facture admirable, les métaux damasquinés avec leurs motifs en entrelacs, leurs rinceaux et arabesques, la pierre sculptée, les instruments scientifiques – astrolabes et horloges, voire automates comme cette nef dite « de Charles Quint » abritant une horloge sonnant les quarts d’heure et les heures en faisant bouger des figurines sur le navire – les livres d’heures et les peintures qui s’étalent dans toues les parties du château , répondant par leur thèmes et leur traitement aux motifs qui débordent du mobilier et du décor. Les corps sont athlétiques et bien proportionnés. Satyres aux pieds fourchus et chérubins joufflus s’ébattent de ci, de là. On nage dans le beau et le bonheur de vivre en même temps que l’exaltation du Beau tourne à l’exaltation de soi. Quelques pièces méritent en plus un petit arrêt pour leur exceptionnelle qualité ou leur caractère insolite. C’est le cas de la statuette de la nymphe Daphné, créée à Nuremberg par Wenzel Jamnitzer vers 1569-1576. L’histoire de Daphné sort de l’ordinaire. Apollon la poursuit tant de ses assiduités que Daphné implore son père, le dieu du fleuve, de la transformer en laurier. Aussitôt dit, aussitôt fait, mais le coquin Apollon décide alors, puisqu’il ne peut plus la posséder, qu’elle sera son arbre et qu’il se coiffera de ses branches. L’orfèvre ici se livre à un étourdissant tour de force. Non seulement il place aux pieds de la nymphe des têtes d’ange et des mufles de lion agrémentés de roches métamorphiques, mais il use de l’argent blanc pour figurer la chair tandis qu’il dore vêtements et chevelure. Et il montre la nymphe en pleine métamorphose. Du haut de sa tête et de ses poignets partent de hautes branches de corail sur lesquelles viennent s’accrocher ce qui pourrait figurer de délicats rameaux de feuillage en argent, peints en vert et vernis. D’un tout autre registre est le groupe de bronze intitulé Couple de satyres (v. 1540), attribué à Desiderio da Firenze, l’un des émules du bronzier padouan Andrea Riccio mais qui pourrait être du maître lui-même. Le choix de représenter deux satyres ne masque pas vraiment la mise en scène explicite de l’acte sexuel auquel ils se livrent. La bienséance voudrait qu’on y décèle la symbolique du sauvage qui se rattache au faune pour tenter de « justifier » le caractère exceptionnel de l’œuvre. Était-ce en référence à la suite pornographique des Modi, gravée par Marc-Antoine Raimondi d’après un dessin de Jules Romain en 1524 ? L’histoire conservera son mystère, d’autant plus que l’œuvre acquise par Edmond du Sommerard comportait, en 1858, trois satyres placés dans des positions bizarres. Il aura fallu un démontage et la découverte de différences de patines pour que l’œuvre remontée ressemble à la polissonnerie d’aujourd’hui.

Nicolas Beaurin, François Ier en prière © RMN/Grand Palais

Nicolas Beaurin, François Ier en prière © RMN/Grand Palais

Au-delà de l’émerveillement qui saisit le visiteur devant la richesse des collections du musée d’Écouen et au-delà de l’art de vivre qu’il révèle dans son cadre aristocratique, qui combine luxe, calme et volupté, une constatation se fait immédiatement jour : l’impossibilité de comprendre réellement la Renaissance sans relier entre eux tous les fils qui unissent Europe du Nord et du Sud, pourtour méditerranéen et, au-delà, Extrême-Orient. Une histoire qui devient mondiale avec le Siècle d’or espagnol et l’exploration des Amériques. Ce ne sont pas seulement des idées qui circulent, mais des savoir-faire, des techniques, des modes de vie. Bientôt plantes et animaux s’échangeront aussi, créant un monde ouvert. Mais s’il s’affranchit des diktats religieux et dogmatiques, du chemin reste à faire. Bernard Palissy, tout inventeur génial qu’il ait été, aura payé de sa vie, dans une geôle froide, sombre et humide de la Bastille, le fait d’être huguenot.

Château d’Écouen, musée de la Renaissance – Rue Jean Bullant, 95440 Écouen

www.musee-renaissance.fr Ouvert tlj sf mardi, 9h30-12h45, 14h-17h15

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