7 Mars 2023
Au pays des conteurs, quelque part dans la mythologie grecque, un poète nous a raconté des histoires qui résonnent étrangement dans notre monde quotidien. Il y est questions de nature, de pouvoir et d’argent…
Elle est seule en scène, la comédienne-conteuse qui nous replonge dans les tempos anciens. Seulement accompagnée d’un musicien qui fabrique le son sur sa console. Tous deux de blanc vêtus, pour s'effacer derrière ce qu'elle raconte. Elle nous accueille pour nous mettre à l’aise, se lance dans un tourbillonnement qui fait souffler le vent de l’histoire. Ce qu’elle va nous conter, ce sont deux histoires de la démesure. À méditer, à comprendre. Parce que « il était une fois », ça fait parfois réfléchir…
Un spectacle adaptable en tous lieux
Conçu durant le confinement, le spectacle a d’abord été imaginé pour s’inscrire en tous lieux, et hors des salles de spectacle, en milieu scolaire entre autres. Il suppose une forme d’intimisme, de proximité entre le spectateur et les intervenants du spectacle, la comédienne-narratrice et le musicien. Histoires au coin du feu ou à la cantonade à la manière des griots africains, les récits qui nous sont proposés ont le charme du « il y a bien longtemps… » en même temps qu’ils comportent une morale à méditer dans leurs prolongements. Leur logique commune : le too much, la démesure et les excès désastreux auxquels elle conduit.
Deux fables extraites des Métamorphoses d’Ovide
La première histoire nous transporte en Thessalie où le roi Érysichton, un affreux personnage, a décidé qu’un arbre lui faisait trop d’ombre. L’arbre est sacré, placé sous la protection de Déméter, la déesse des moissons et de l’abondance ? Qu’à cela ne tienne ! il l’abattra lui-même, cet arbre qui saigne, pleure et se lamente sous les coups. La vengeance de la déesse-Nature sera terrible. À l’assoiffé de pouvoir qui ne respecte rien, elle donnera une faim inextinguible en partage, qui finira par le pousser à se dévorer lui-même. La seconde, elle, met en scène Midas, le roi de Phrygie. Il a beau être puissant, il n’est pas très malin et on se souviendra que déjà, il indispose Apollon en lui préférant, dans un concours de musique, le satyre Marsyas, ce qui lui vaut des oreilles d’âne. Cela ne l’empêche pas d’être richissime, Midas, et le jour où, en récompense d’un service qu’il lui a rendu, Dionysos lui propose d’exaucer un de ses désirs, il ne trouve pas mieux que de souhaiter transformer en or tout ce qu’il touche. Il s’aperçoit bien vite que l’idée n’est pas bonne car comment avaler de l’or quand on a soif et des pépites quand on a faim ?
Des leçons pour aujourd’hui
Ces histoires d’un temps où les hommes vivaient avec les dieux et où les dieux ressemblaient parfois à des hommes à s’y méprendre nous renvoient à un monde complètement habité, où les divinités peuplaient le ciel et la terre et en étaient les représentantes. Elles symbolisaient les forces de la nature, le cycle des saisons, l'orage et la pluie ou le soleil, tous les phénomènes auxquels l'homme se trouvait confronté. Si en ce temps-là, les hommes se mêlaient parfois des affaires des dieux et l’inverse, on pouvait y voir les interactions entre l’homme et son environnement. Si l’on continue de tirer le fil, on découvre sans peine les prolongements de ces histoires dans le monde contemporain et repérer où aboutissent les travers de la démesure dans nos sociétés de l'usure de la nature et du profit.
L’art de conter
Marion Combes ne ménage pas sa peine pour nous conter ces histoires. Mobile, rieuse, facétieuse même, toujours en mouvement, elle tisse la toile qui relie hier à aujourd’hui, les dieux et les hommes, accompagnée par la musique qui escorte et ponctue le récit. Moins convaincants en revanche sont les intermèdes « dansés » qui n’apportent rien à ces fables de la démesure et dont la qualité artistique ne justifie pas la longueur. N’en subsistent pas moins le plaisir du conte et le partage qu’ils proposent, qu’on imagine tout aussi bien à leur aise dans l’intimité de lieux non dédiés au théâtre que sur une scène.
Petites histoires de la démesure
S Texte et mise en scène Géraldine Szajman, d’après les Métamorphoses d’Ovide S Création musicale Vivien Lenon S Jeu Manon Combes, Vivien Lenon S Production Cie Les Enfants du paradis
Du 5 au 28 mars 2023, du dimanche au mardi à 19h, et le 11 mars à 15h
Les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs, 75001 Paris. www.lesdéchargeurs.fr