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Arts-chipels.fr

Marée haute. La belle histoire de la petite princesse et du marin pêcheur.

Marée haute. La belle histoire de la petite princesse et du marin pêcheur.

Benoîte Groult livre dans cette fiction très autobiographique une belle histoire d’amour qui, si elle a perdu son fumet de scandale, reste cependant non conventionnelle.

Notre époque nous a habitués à contempler sans pudeurs de rosière toutes ou presque les formes d’amour entre des personnes, quel que soit leur sexe, leur genre ou leurs accouplements. Il n’en a pas toujours été de même et surtout, parler de sexe sans détour, sans s’encombrer de circonvolutions ambiguës ou métaphoriques ou de confusions – qu’on les considère comme fumeuses ou légitimes – entre l’animalité du plaisir et les sentiments n’était pas une évidence. Il faut donc tirer un coup de chapeau métaphorique à Benoîte Groult de nous livrer tout à trac, mais avec élégance et style, une histoire qui tient plus au départ à des émissions de phéromones sexuelles – encore que leur existence soit contestée chez les humains – que de la grande tradition des rapports amoureux.

© Karine Letellier

© Karine Letellier

Un seul en scène féminin

Josiane Pinson, qui a adapté les Vaisseaux du cœur d’où est tirée la pièce et qui joue seule en scène, a fait le choix délibéré d’un récit à la première personne. Un « je » qui ne s’embarrasse pas de faux-semblants dans cette mise à nu dont les détails qu’on aurait qualifiés de scabreux par le passé ne sont pas absents. Elle nous conte avec sa nature chaleureuse l’histoire d’une jeune fille qui s’enlaidit volontairement pour échapper au mariage qui la guette, unique issue offerte aux jeunes filles de son époque. Parisienne en vacances, George, sans « s », comme George Sand, devient amie avec sa jeune voisine bretonne et son témoin lors du mariage de celle-ci. C’est alors qu’elle rencontre son frère, qui est le témoin du marié. Il est marin pêcheur, gauche, rugueux, taiseux. Tout les sépare. Pourtant l’attraction est immédiate. Un appel irrépressible des sens, une passion charnelle dévorante qu’elle va nous conter par le menu sans éviter le regard analytique qu’elle porte sur elle-même comme sur ce compagnon qu’elle imaginait d’un soir. 

Trente années d’envoûtement

Ils sont aussi différents qu'on peut l'être. Elle est intellectuelle, vit environnée de livres, là-bas, en ville, aime le risque, les expériences en tout genre. Il n’a pour horizon que son souci de devenir patron-pêcheur, d’avoir une famille et des enfants, n’ambitionne qu’une vie toute tracée sans accident de parcours. Ils sont l’illustration rêvée de la théorie fouriériste de l’attraction passionnée qui rassemble, tels le Soleil et la Lune, des personnalités contraires. Ce mouvement qui les jette l’un contre l’autre à s’en faire mal, traversera les péripéties de leurs vies. L’un et l’autre se marieront, chacun de leur côté, sans jamais cependant se déprendre l’un de l’autre malgré cette existence « à côté », les années d’absence et la rareté de leurs face-à-face. Leurs rencontres provoquées – elle ira au bout du monde pour le rejoindre – auront la même intensité, physique d’abord, peu à peu remplacée par d’autres rapports à mesure que le temps s’écoule.

© Karine Letellier

© Karine Letellier

Quand les lettres s’en mêlent

Accalmies et orages se succèdent, marches arrière aussi dans un espace-temps distendu qui soudainement se contracte pour devenir fulgurance lors de leurs rencontres. Lui, le fruste, le sauvage aux yeux couleur d’océan, va briser le mur qui les sépare, lui dire son besoin de communiquer, d’entrer dans sa vie comme elle a surgi dans la sienne pour s’emparer de tout l’espace. Non apprêtée, non polie, râpeuse et rude comme la mer qu’il faut prendre de face et affronter sans peur, la voix de Didier Brice apporte un contrepoint au récit de George. Omniprésent absent, il lui donne la réplique en off, comme un écho, la trace qu’il laisse au fil de ses passages à l’intérieur d'une existence de femme libre dont il ne sera jamais qu'un passant, comme ses lettres dont elle ne manque ni de relever les fautes d’orthographe ni les incorrections de style.

© Karine Letellier

© Karine Letellier

Ferveur amoureuse

Il y a de la stupeur dans la manière dont chacun réalise ce qui l’enchaîne à l’autre, dans ce lien qui manque de se rompre à tout instant mais se reforme sans cesse. Une affaire d’alchimie, de particules élémentaires qui se rejoignent et se fondent les unes dans les autres. Lorsque Benoîte Groult nous raconte son histoire, elle a laissé, du haut de ses soixante-huit ans – au moment où paraissent les Vaisseaux du cœur – la folie de sa jeunesse derrière elle, mais elle éprouve le besoin de transcrire cette part de sa vie, de la faire revivre comme son personnage de marin le lui demande. Et si son patron-pêcheur est en réalité un soldat américain débarqué sur nos côtes à la Libération qu’elle a enrichi de son amour pour la Bretagne, cela ne change que peu de chose. Car l’amour qu’elle décrit, seuls ceux qui l’ont vécu savent de quoi il est fait. Ils savent que des vies entières peuvent se consumer sans que surgisse cet abasourdissement qui vous laisse désarmé, pantelant. Mais qui se nourrit de l’absence.

Marée haute d’après les Vaisseaux du cœur de Benoîte Groult

Adaptation et jeu Josiane Pinson Mise en scène Panchika Velez Scénographie Jean-Michel Adam Création sonore Stéphane Corbin Création lumière Florent Barnaud Voix Didier Brice Production Cinetheact Coréalisation Théâtre Lucernaire Soutiens Adami, La Terrasse, Causette, Comédie de Picardie et Theatronline Durée 1h10

Du 15 mars au 7 mai 2023, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h30

Le Lucernaire - 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris

Rés. • sur internet: www.lucernaire.fr • par téléphone au 01 45 44 57 34

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