20 Mars 2023
Quatre interprètes nous entraînent dans un univers étrange où les mots semblent sortir de nulle part, où ils semblent avoir leur matérialité propre. Les danseuses et danseur jouent avec comme avec des ballons, ils se les lancent, ils les caressent comme on le ferait d’un chat ou d’une belle sculpture jusqu’à se les jeter au visage et se les renvoyer comme des jeux d’enfants. C’est un peu comme si les mots étaient à côté des interprètes comme des bulles de savon qui s’envoleraient jusqu’à éclater, comme s’ils vivaient leur vie propre indépendamment des humains qui les ont créés.
Comme le titre l’annonce, toute la mécanique du spectacle est axée sur cette dissociation des mots et des interprètes qui sont sensés les dire, sur cette ventriloquie moderne.
Yasmine Hugonnet nous entraîne dans son univers tout en poésie, tendresse et délicatesse.
Elle travaille sur les effets concrets de notre perception et de ces perturbations. Les questions qui sont la base de son travail sont : « Que se passe-t-il si quelqu’un·e est bougé·e et parle avec une voix qui n’est pas la sienne ? Si une main parle ? Si un geste résonne d’un corps à un autre ? ».
Pour elle, la ventriloquie est une discipline à la croisée de tous les langages qui nous ouvre différemment des portes et des accès au langage et à nos perceptions. C’est une exploration de nos niveaux de conscience et de nos schémas préconçus, une expérience inédite et fascinante. Toute la première partie du spectacle est magnifique. Elle nous embarque dans son univers onirique et dérangeant. On rit aussi.
Le point de départ de la deuxième partie est plus accès sur les Porte-Voix. Elle s’inscrit aussi dans une continuité des recherches entreprises pour Chro no lo gi cal (Theatre de Vidy, 2018),
Ainsi les porte-voix ou ventriloques étaient assimilés aux oracles, depuis la Phitie en Grèce et aux écrits de l’abbé Jean-Baptiste de La Chapelle. Ils avaient un statut assez particulier, dégageant la méfiance et la peur comme tout ce que l’humain ne comprend pas. Elle aborde le spectacle avec l’idée de « porter la voix » de femmes principalement qui en ont manqué. On part de la Pythie, en passant par le monde des cavernes et un « petit coup de gueule » sur la muséographie sexiste de la grotte de Lascaux et ses schémas archétypaux femme / homme dépassés. Ainsi, « porter la voix » c’est-aussi bien la sienne que celle des autres, C’est un enchaînement de diverses séquences avec des thématiques spécifiques et différentes à chaque fois, telles les questions liées au féminisme, à la crise climatique, à l’amour et au partage des richesse…
A souligner également, la scénographie de Nadia Lauro, très présente, tout aussi poétique et fantasmagorique. Elle a créé des structures blanches qui évoquent des rochers ou des énormes ossements et qui imperceptiblement se déplacent sur la scène et remettent en question les espaces scéniques et les mouvements des danseuses et danseur. La scène change de configuration très lentement mais irrémédiablement et les interprètes modifient leurs déplacements en fonction. Elle crée ainsi « un espace respirant, amplifiant, qui entre en dialogue avec les voix ». Ce décor mouvant associé aux jeux des voix contribue pleinement à cette ambiance étrange et onirique du spectacle.
Yasmine Hugonnet est danseuse et chorégraphe. Née en Suisse, elle vit et travaille aujourd’hui entre Lausanne et Paris. Elle intègre à 13 ans le Conservatoire National Supérieur en Danse Contemporaine de Paris. Elle danse pour les chorégraphes Jean-Marc Heim, Jo Strömgren (NO) et Luc Petton (FR). Elle travaille à Taiwan avec des artistes non-voyants puis développe son travail personnel dès 2006.
En 2009 elle fonde sa compagnie Arts Mouvementés à Lausanne et produit ensuite trois solos : en 2013 Le Rituel des Fausses Fleurs, en 2014 Le Récital des Postures et en 2015 La Traversée des Langues. En 2017, Yasmine Hugonnet reçoit le Prix Suisse de Danse (Création actuelle de danse) pour le Récital des Postures. A partir de 2018, elle est soutenue par le Théâtre de Vidy à Lausanne : elle créée en novembre 2018 le trio CHRO NO LO GI CAL Elle bénéficie d'un accompagnement de parcours à l'Atelier de Paris depuis 2018 avec Chro no lo gi cal. Le solo Se Sentir Vivant est sélectionné aux Swiss Dance Days à Lausanne en février 2019. En septembre 2019, elle crée et présente la performance in situ Extensions dans le parc Bellerive /Théâtre de Vidy avec 12 jeunes interprètes de la région lausannoise. Elle présente Seven Winters dans le cadre du Festival d’Automne à Paris en 2020. En parallèle, elle s’intéresse à la danse contact, à l’improvisation, au Butô et à la recherche chorégraphique.
Yasmine Hugonnet, avec ce spectacle, remet en question toutes nos idées reçues sur la ventriloquie et nous ouvre un champ des possibles exploratoire, poétique et fascinant. Juste un petit regret sur le côté parfois un peu méli-mélo des sujets de la deuxième partie mais la première partie est magnifique.
LES PORTE-VOIX
Cabaret ventriloque – récit vocal et chorégraphique
Un projet de Yasmine Hugonnet
Distribution
Chorégraphie, conception Yasmine Hugonnet
Interprètes Matthieu Barbin, Ruth Childs, Madeleine Fournier, Yasmine Hugonnet
Textes Extraits de Le Ventriloque, Ou l'Engastrimythe, Abbé de la Chapelle (c.1772) ; Extraits de conférences et textes de Claudine Cohen ; Yasmine Hugonnet et les interprètes.
Traduction des textes Sarah-Jane Moloney
Collaboration artistique et composition musicale Michael Nick
Conception scénographie et costumes Nadia Lauro
Collaboratrice à la dramaturgie Stéphanie Bayle
Regards & replay Jeanne Colin
Assistantes Lisa Vilret, Sarah Bucher
Direction technique Adrien Gardel
Création Lumières Dominique Dardant
Régie Plateau Sonya Troillet
Réalisation scénographie Nadia Lauro, Charlotte Wallet, Mickael Leblond, Marie Maresca, Nino Podalydès
Réalisation costumes Théâtre Vidy-Lausanne
Remerciements Michèle Gurtner, Julia Perazzini. Administration/production Violaine DuPasquier Diffusion/production Jérôme Pique
Assistante de production Lauren Dällenbach
Photos Anne-Laure Lechat