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Arts-chipels.fr

Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur. Cap vers la Normandie…

Affiche de l’exposition Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur. Claude Monet (1840-1926), Portrait de Léon Monet (détail), 1874 © collection particulière © Réunion des musées nationaux - Grand Palais, 2023

Affiche de l’exposition Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur. Claude Monet (1840-1926), Portrait de Léon Monet (détail), 1874 © collection particulière © Réunion des musées nationaux - Grand Palais, 2023

Industriel rouennais et chimiste en couleurs, le frère de Claude Monet fut également un soutien actif pour son frère et ses amis impressionnistes. L’exposition du musée du Luxembourg nous entraîne vers les lieux où se façonna le jeune peintre, en même temps qu’elle se fait le témoin de son temps et d’une révolution en train de se faire sur le terrain de la couleur.

Du 15 mars au 16 juillet 2023, le musée du Luxembourg consacre une exposition à la collection de peinture que constitua le frère de Claude Monet, Léon, des années 1860 aux années 1880 où interviennent les premières brouilles des deux frères avant leur rupture définitive, au début du XXe siècle, après la mort, en 1909, de Jean, le fils de Claude, qui contracte dans l’usine de son oncle une maladie respiratoire incurable au contact des substances chimiques qu’il inhale. Au-delà des œuvres de son frère, Léon achète nombre d’œuvres de ses amis impressionnistes, constituant une collection du premier impressionnisme qui est à l’époque une des collections d’art moderne les plus remarquables de la région rouennaise. Intéressé majoritairement par des œuvres représentant son environnement, il collectionne aussi des œuvres des peintres de l’école de Rouen, qu’il a à cœur de défendre. Sur les 66 œuvres que compte la collection, aujourd’hui dispersée, 45 ont été identifiées. Trente peintures et pastels sont représentés dans l’exposition, qui compte une centaine de pièces, dont une douzaine de gravures sur bois japonaises tirées sur papier crêpe ainsi que deux carnets de dessins de Claude Monet jamais présentés au public, des photographies et documents divers.

Camille Pissarro, Environs de Rouen. 1883, huile sur toile 27 x 34,5 cm, collection particulière © Photograph Courtesy of Sotheby’s, Inc.

Camille Pissarro, Environs de Rouen. 1883, huile sur toile 27 x 34,5 cm, collection particulière © Photograph Courtesy of Sotheby’s, Inc.

Deux évolutions divergentes

Les Monet et leurs deux enfants arrivent au Havre en 1845. Tandis que Léon décide d’étudier la chimie des couleurs, Claude est à ce moment-là un élève dissipé qui s’adonne à la caricature sur les bancs de l’école. En 1956 – il a seize ans – sa rencontre avec Eugène Boudin le pousse à abandonner le dessin humoristique pour aller avec lui peindre en plein air. En 1858, Claude présente à la Société des Amis des Arts du Havre son premier tableau, Vue prise à Rouelles, réalisé au côté de Boudin. En 1872, au moment où il peint Impression, soleil levant et s'affirme comme peintre, Léon devient un industriel. Il s’associe à une puissante société suisse spécialisée dans les couleurs synthétiques à l’aniline, Geigy & Co, et décide d’apporter un soutien actif à son frère et à ses amis impressionnistes. C’est ainsi qu’il acquiert des œuvres de Renoir, Sisley, Pissarro et Berthe Morisot. Il affectionne particulièrement les peintures qui se rapportent à son environnement normand ou à sa famille. Rouen, le Havre et leurs environs sont à l’honneur avec des toiles de Pissarro (Environs de Rouen, 1883, le Pont de pierre et les barges à Rouen, 1883), une aquarelle et des eaux-fortes du même peintre, ou avec une longiligne scène de bord de mer pleine de vie (Sur la plage, les Petites-Dalles, Fécamp, 1873) de Berthe Morisot sur laquelle l’horizon et la plage se répondent dans un allongement de l’espace. Y figurent aussi des portraits de Claude et de son épouse par Renoir où l’on retrouve la brillance nacrée qui caractérise les couleurs du peintre, ou une scène parisienne du même peintre (Paris, l’Institut au quai Malaquais, 1872) admirablement construite sur deux diagonales, mais aussi une œuvre telle que la Route de Louveciennes (1874) enneigée d’Alfred Sisley où les bleus lumineux le disputent aux blancs éclatants.

Claude Monet, La Plage de Sainte-Adresse. 1864, huile sur toile, 30 x 69 cm. Tochigi, Tochigi Prefectural Museum of Fine Arts © Tochigi Prefectural Museum of Fine Arts

Claude Monet, La Plage de Sainte-Adresse. 1864, huile sur toile, 30 x 69 cm. Tochigi, Tochigi Prefectural Museum of Fine Arts © Tochigi Prefectural Museum of Fine Arts

Le jeune Claude et l’impressionniste

L’un des grands intérêts de l’exposition est de donner à voir des œuvres de jeunesse de Claude Monet. De ses amusantes caricatures d’Anglais (à moustache, à favoris, en « progéniture », 1857) ou de ses dessins de Jeune Normande, d’Homme en costume marin ou de Femme à la broche, réalisés au crayon, parfois rehaussés de gouache (1857), on voit, avec les premières peintures, se profiler cette fascination pour la lumière qui nourrira toute l’œuvre du peintre. Les Falaises d’Étretat (1864 et 1884) nous promènent dans les sources d’inspiration du peintre. Ses paysages de soleil couchant à Sainte-Adresse (la Plage de Sainte-Adresse et Vue de Sainte-Adresse, 1864) respirent la magie du jour finissant et l’étagement des plans qui forment la Vue de Sainte-Adresse incite à la rêverie. Pour faire traverser au visiteur l’ensemble de l’œuvre du peintre, après la Seine à Rouen (1872) ou les Navires en réparation (1873), la Vue générale de Rouen (1892) où se disputent les mauves et les orangés, toute en touches nerveuses, et l’un des tableaux monumentaux de la série des Cathédrales de Rouen (1894) trouvent leur aboutissement dans les Nymphéas des dernières années de Giverny. La Maison de l’artiste, vue du jardin aux roses (v. 1922-1924) et le Jardin de Giverny (v. 1922-1926), qui n’appartiennent pas à la collection de Léon Monet, ferment, dans la violence explosive presque abstraite de leurs touches colorées, le parcours.

Charles Frechon, Fenaison, Rouen depuis la rive gauche. 1891-1895, huile sur toile 46,5 x 65 cm, collection particulière © photo François Doury

Charles Frechon, Fenaison, Rouen depuis la rive gauche. 1891-1895, huile sur toile 46,5 x 65 cm, collection particulière © photo François Doury

L’École de Rouen

Il est intéressant de constater qu’au moment où Léon Monet soutient les impressionnistes, ceux-ci sont en butte à de très violentes critiques dont celle du satiriste Louis Leroy, qui donne son nom au mouvement en commentant Impression, soleil levant, présenté en 1874 lors d’une exposition indépendante, organisée suite à leur refus au Salon, qui réunit Cézanne, Degas, Pissarro, Berthe Morisot, Sisley et Monet. Et, après sa brouille avec Claude, Léon Monet n’en continue pas moins de soutenir la mouvance impressionniste en rassemblant des peintres de l’école rouennaise de bonne facture. L’exposition fait ainsi une place à des peintres tels que Joseph Delattre, Georges Bradberry, Marcel Delaunay Narcisse Guilbert et Charles Gombert. Liés à l’école municipale de peinture, ils formeront en 1906 la Société des artistes rouennais. Certains d’entre eux évolueront vers le postimpressionnisme et l’exposition inclut une très intéressante toile de Charles Frechon, Fenaison, Rouen depuis la rive gauche (1891-1895), où l’influence du pointillisme de Seurat est manifeste.

Blanche Hoschedé Monet, les Petites-Dalles. 1885-1890, huile sur toile 60 x 81 cm, collection particulière

Blanche Hoschedé Monet, les Petites-Dalles. 1885-1890, huile sur toile 60 x 81 cm, collection particulière

Portraits de famille

Les portraits des membres de la famille, réalisés par Claude Monet, par Renoir ou Joseph Delattre marquent le début de l’exposition dont l’un, le portrait de Léon par Claude, longtemps caché par le destinataire, n’a jamais été montré dans une exposition. Les membres et descendants Monet sont présents à deux titres : en tant que sujet (Mme Léon Monet, Alice Hoschedé, Françoise Cauvin, Camille Monet), mais aussi en tant que peintres. On découvrira dans l’exposition des œuvres intéressantes à l’encre de chine et aquarelle sur papier de Françoise Cauvin, la petite-nièce de Claude Monet, ainsi qu’une peinture de Blanche Hoschedé-Monet représentant les Petites-Dalles (1885-1890). Assistante et élève de Claude Monet, elle devint sa belle-fille, à la fois par le remariage de Claude avec sa mère, Alice, et par son propre mariage avec Jean, le fils du peintre. Des carnets de photographie complètent l’évocation de la famille Monet.

Gustave Le Gray, le Soleil couronné, Normandie. 1856-1857, tirage sur papier albuminé d’après un négatif sur verre au collodion, 31 x 41,3 cm. Marseille, MUCEM – Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, en dépôt au musée des Beaux-Arts, Troyes © musée des Beaux-Arts, Troyes. Photo Carole Bell, Ville de Troyes

Gustave Le Gray, le Soleil couronné, Normandie. 1856-1857, tirage sur papier albuminé d’après un négatif sur verre au collodion, 31 x 41,3 cm. Marseille, MUCEM – Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, en dépôt au musée des Beaux-Arts, Troyes © musée des Beaux-Arts, Troyes. Photo Carole Bell, Ville de Troyes

L’environnement artistique de la photographie

L’exposition s’ouvre par de magnifiques paysages maritimes photographiés par Gustave Le Gray qui découvre, par accident, en 1850, le procédé négatif sur papier ciré, sur verre puis sur papier ciré sec. À partir de 1847, une ligne de chemin de fer conduit au Havre. Elle permet au photographe de transporter en bord de mer sa gigantesque chambre photographique, ses plaques de verre de grandes dimensions et les produits chimiques nécessaires. En photographiant la mer, Le Gray relève un double défi technique : capter le mouvement et le contraste. Pour ce faire, il utilise la technique dite des « ciels rapportés ». À cette époque, le matériel photographique rend difficile de reproduire simultanément le ciel et le paysage en raison des différences de luminosité. En utilisant deux négatifs, l’un pour le paysage, l’autre pour le ciel, Le Gray réalise un tirage en deux étapes qui préserve la luminosité des deux parties de l’image. La magie qui se dégage de ses photographies, dépassant le niveau documentaire pour capter l’atmosphère qui émane de la scène, fait de lui l’un des grands photographes du paysage maritime.

Yoshiiku Ochiai, l’Élevage des vers à soie : essai des graines (= œufs) de soie. 1868, gravure sur bois, tirage sur papier crêpe 28 x 20 cm, collection particulière © photo François Doury

Yoshiiku Ochiai, l’Élevage des vers à soie : essai des graines (= œufs) de soie. 1868, gravure sur bois, tirage sur papier crêpe 28 x 20 cm, collection particulière © photo François Doury

L’Extrême-Orient aux portes

À Paris, la diffusion des estampes japonaises se répand à partir des années 1860-1870. Claude Monet en est un grand collectionneur et on peut penser que Léon Monet est impressionné par ces œuvres aux teintes fraîches et riches et aux scènes pleines de vie. Mais son goût s’oriente davantage vers les tirages sur crépon, réalisés sur les papiers d’emballage illustrés des produits japonais importés et aux couleurs puissantes à base d’aniline. La proximité de sa texture avec l’étoffe, qui constitue la matière privilégiée sur laquelle s’apposent les teintures commercialisées par Léon, explique peut-être l’attrait du collectionneur pour le crépon. Les œuvres d’Utagawa Yoshitora, un dessinateur d’estampes sur bois de style ukiyo-e actif dans les années 1850-1880, dominent avec ses scènes animées aux violentes couleurs.

Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur. Cap vers la Normandie…

Au cœur de la révolution des couleurs

Enfin, l’exposition réserve une large place à ce qui touche à la couleur. Des gammes de teintes et de tissus colorés sont présents dans l’exposition car les couleurs contribueront à créer ces indiennes décoratives qui envahissent les intérieurs comme le champ de la peinture. L’enjeu de la couleur est fondamental dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Parce que Léon représente en France une maison de teinture qui les fabrique à base de produits chimiques et non plus de pigments naturels et que l’utilisation de ces teintes chimiques en peinture concernera les peintres impressionnistes et modifiera de manière fondamentale la technique picturale. C’est au XVIIIe siècle que commence la « révolution » chimique des couleurs, avec l’apparition d’un pigment vert à base de sel de cuivre et d’arsenic, celle du blanc de zinc et la découverte du chrome, blanc-argent. Suivront, au siècle suivant le bleu de cobalt, le cadmium (jaune, orange, rouge), l’invention de l’alizarine et sa teinte rouge, puis celle de l’aniline qui forme une résine de couleur brun-rouge. Quant au violet, présent dans la palette impressionniste, il sera obtenu par mélange avant d’être obtenu à partir d’un violet de cobalt à la fin du siècle. La luminosité et la brillance de ces couleurs ne pouvaient que séduire les peintres mais, au-delà, ce sont leurs conditions d’utilisation qui en favorisent aussi l’usage. Auparavant conservées dans des vessies de porc séchées, pliées en forme de sac, et d’une durée de conservation courte, elles sont conditionnées, au milieu du siècle, dans des tubes souples en étain que la maison Lefranc dotera en 1855 d’un bouchon à vis. Dès lors, installer le chevalet en pleine nature pour peindre en sera grandement facilité et les artistes mettront en avant l’intérêt de peindre sur le motif. Rien cependant, en l’état actuel des études, ne permet de dire que Claude Monet profita de la gamme de couleurs diffusée par son frère. Tout au plus sait-on que les impressionnistes utilisèrent des couleurs synthétiques et peut-on imaginer que leur nature éclatante a nourri l’imaginaire et le désir des peintres.

Ainsi Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur, nous raconte-t-il une histoire qui croise évolution sociétale et histoire de l’art et, à travers cette plongée dans le premier expressionnisme, nous fait-il toucher du doigt un temps où évolution des techniques et révolution artistique marchent du même pas, augurant les remises en cause fondamentales qui secoueront l'art moderne et contemporain au XXe siècle.

Claude Monet, le Jardin de Giverny, vers 1922-1926, huile sur toile 93 x 74 cm. Paris, Musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966 © Musée Marmottan Monet, Paris

Claude Monet, le Jardin de Giverny, vers 1922-1926, huile sur toile 93 x 74 cm. Paris, Musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966 © Musée Marmottan Monet, Paris

Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur

Avec le soutien exceptionnel du musée d’Orsay, du musée Marmottan Monet et de l’Académie des beaux-arts, Paris.

Commissariat Géraldine Lefebvre, Docteure en histoire de l’art, spécialiste du XIXe siècle

Scénographie Hubert Le Gall assisté de Laurie Cousseau

Du 15 mars au 16 juillet 2023

Musée du Luxembourg – 19, rue de Vaugirard – 75006 Paris

www.museeduluxembourg.fr

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