27 Mars 2023
Avec ces deux spectacles, l’un plus orienté vers le jeune public, l’autre résolument adulte, Phia Ménard explore, au travers de performances, une forme hybride entre théâtre, arts graphiques et danse qui nous parle, avec la légèreté aérienne empreinte de la gravité du temps qui passe et des déprédations que nous faisons subir à notre environnement, de notre nature d’êtres humains.
Les spectateurs se sont installés autour d’un espace circulaire qu’ils enserrent de tous côtés. Ils sont très proches de l’arène centrale, si proches que le ou la performeu.r.se est en mesure de capter leurs réactions, d’en ressentir l’impact comme un effet boomerang qui reviendrait au lanceur. Un personnage est immobile, hiératique, impénétrable, sur le bord du cercle. Bientôt, muni d’une paire de ciseaux et d’un rouleau de scotch, il s’empare d’un sac plastique disposé devant lui qu’il découpe précautionneusement et recolle avec autant de soin. La forme qu’il fabrique devant nos yeux, il la placera au centre de l’arène.
Frères humains qui avec nous vivez…
Tandis que la musique s’élève, la forme indistincte se gonfle peu à peu pour prendre la forme d’une silhouette humaine schématique. Elle prend du volume, s’anime, se traîne au sol, tourne et retourne dans un ballet malhabile avant de se dresser peu à peu pour prendre son envol, timide et hésitante d’abord, puis de manière de plus en plus affirmée. La voici dans les airs, jouissant de cette liberté de n’être plus rattachée au sol. Elle est bientôt rejointe par d’autres. Ensemble elles forment un ballet éphémère, s’enlaçant et se déprenant, jouant avec l’air et leurs rencontres fortuites un ballet coloré tout de mouvance provoquée par le gonflement et de la variété des teintes que revêt cet objet trivial d’aujourd’hui, le sac plastique. Ce sac, il est constitutif de notre quotidien, objet inséparable de la société de consommation dans laquelle nous évoluons. Sa liberté, c’est notre « liberté » d’acheteurs, notre fallacieux pouvoir sur le monde. Dans le même temps il nous procure l’ivresse de nous affranchir d’une certaine réalité.
L’Après-midi d’un foehn. Quand souffle le vent qui rend fou.
Il n’est pas indifférent que ce vent, créé par les ventilateurs qui encerclent l’arène où évolue le ou la protagoniste qui va, tel un.e prestidigitat.eur.rice, jouer avec ces personnages factices et éphémères, ait adopté le nom de ce vent fort, sec et chaud des Alpes qui a, sous d’autres appellations et sous d’autres latitudes, un effet analogue. Au-delà des phénomènes atmosphériques qu’il provoque, il porte en lui une dimension mythique. Une étude de l’université de Munich lui associe par exemple un accroissement de 10 % des suicides et accidents et on attribue au Santa Ana, son équivalent en Californie du Sud, le nom de « vent du meurtre » tandis qu’un dicton paysan allemand y voit la folie qui pousse un valet de ferme à tuer le coq-girouette. Le spectacle y ajoute la proximité du mot « foehn » avec le « faune » de Debussy dont la musique ponctue et accompagne les circonvolutions aériennes des sacs et qui porte en elle le souvenir de Nijinsky, le danseur génial qui révolutionna l’art de danser avant de sombrer dans la folie. Ici on retrouve, dans le personnage majestueusement silencieux qui joue avec ces créatures, les enferme dans les ailes de chauve-souris de son ample manteau et les libère selon son bon vouloir, l’image de l’homme omnipotent et tyrannique qui piétine ses propres créatures en même temps qu’il détruit le monde, libérant des forces noires qui envahissent l'espace et dans lesquelles on pourrait reconnaître aussi bien les marées noires venues de ce pétrole qui compose aussi les sacs plastiques que l’amoncellement des ordures que nous produisons quotidiennement sans qu’elles ne puissent désormais être « digérées » par le monde où nous vivons.
VORTEX. Dans le tourbillon de la conquête de soi
Le même vent de folie alimente musicalement VORTEX. Le maître du jeu qui règne sur les créatures de plastique semble cette fois tout droit sorti du roman d’H.G. Wells, l’Homme invisible. Les mains gantées de blanc, le visage masqué de blanc, comme recouvert de bandelettes, il évoque, dans sa monstruosité obèse et ses déplacements de mort-vivant, quelque film d’épouvante dans lequel l’humanité se serait perdue et dans lequel le corps social aurait annihilé les individualités. Et même si son parcours, tout au long du spectacle, reste traversé par la violence destructrice qui emporte les êtres humains, il va, en se libérant des peaux successives qu’il renferme, donner naissance à un être nouveau débarrassé de ses identités d’emprunt pour se retrouver dans une nudité existentielle où le masculin est devenu féminin et où le « d’où on vient » n’importe plus par rapport à « où l’on va ».
De métaphore en métaphore
Dans cette pièce qui joue sa partition sur le thème de la « normalité » et de l’« anormalité », le thème de la métamorphose court, comme un leitmotiv. Telle une chrysalide qui donne naissance à un papillon, le personnage sort de son nombril un voile-cordon-ombilical interminable qui se mue en large flambeau portant, peut-être, une humanité nouvelle. Dépouillements paroxystiques, mues et naissances sont vécus comme une catharsis libératoire. Le vortex, instrument de la libération, est dans le même temps l’impondérable auquel on se confronte. Espace de liberté, il est aussi le lieu du combat. Il noue et dénoue, jette à terre et relève. Il livre des états incertains et mouvants qui font que chaque représentation, depuis les quelque dix années que le spectacle tourne, est chaque fois renouvelée, exigeant de l’interprète une réinterprétation permanente. Comme dans l’existence, l’incertitude et le hasard sont les risques qu’il faut accepter d’affronter et d’assumer pour devenir soi-même. Et cette révision générale qui touche au plus profond de l’être a pour corollaire le sort que nous choisirons de réserver aux principes porteurs de mort, pour la planète comme pour nous-mêmes, qui gouvernent actuellement notre monde…
L’après-midi d’un foehn & VORTEX
Manipulation de matières - Cycle des Pièces du Vent - Performance sans paroles
S L’après-midi d’un foehn Interprétation en alternance Cécile Briand & Silvano Nogueira S VORTEX Interprétation Phia Ménard S Dramaturgie Jean-Luc Beaujault S Direction artistique, chorégraphie et scénographie Phia Ménard S Composition et diffusion des bandes sonores Ivan Roussel d’après l’œuvre de Claude Debussy S Création lumière Alice Rüest S Régie lumière en alternance Aurore Baudouin et Olivier Tessier S Création de la régie plateau et du vent Pierre Blanchet S Conception de la scénographie Phia Ménard S Construction de la scénographie Philippe Ragot assisté de Rodolphe Thibaud et Samuel Danilo S Diffusion des bandes sonores en alternance Ivan Roussel et Olivier Gicquiaud S Régie plateau et du vent Manuel Menes S Costumes, accessoires Fabrice Ilia Leroy S Habillage en alternance Fabrice Ilia Leroy et Yolène Guais S Photographies Jean-Luc Beaujault S Codirectrice, administratrice et chargée de diffusion Claire Massonnet S Régisseur général Olivier Gicquiaud S Assistante d’administration et de production Constance Winckler S Chargée de communication et de production Justine Lasserrade S Production Compagnie Non Nova S Coproduction et résidence La Comédie de Caen, centre dramatique national de normandie, La brèche – Centre des arts du cirque de Basse-Normandie – Cherbourg, Festival Polo Circo – Buenos Aires (avec le soutien de l’Institut Français) Coproduction EPCC-Le Quai, Angers et le réseau européen IMAGINE 2020 – Art et Changement Climatique, Scènes du Jura, scène conventionnée « multi-sites », La Halle aux Grains, scène nationale de Blois, Cirque Jules Verne – Pôle Régional des Arts du Cirque – Amiens, le Grand T – scène conventionnée Loire-Atlantique – Nantes, Théâtre Universitaire – Nantes, l’Arc, scène conventionnée de Rezé, Parc de la Villette – Paris et La Verrerie d’Alès en Cévennes/Pôle National des arts du Cirque Languedoc-Roussillon. Résidence Les Subsistances 2010/2011, Lyon, France S Avec le soutien du Théâtre de Thouars, scène conventionnée en collaboration avec le Service Culturel de Montreuil-Bellay, le Grand R – scène nationale de La Roche-sur-Yon et Le Fanal – scène nationale de Saint-Nazaire S La Compagnie Non Nova – Phia Ménard est conventionnée et soutenue par l’État – Préfet de la région des Pays de la Loire - direction régionale des affaires culturelles, la Ville de Nantes, le Conseil Régional des Pays de la Loire et le Conseil Départemental de Loire-Atlantique. Elle reçoit le soutien de la Fondation BNP Paribas et de l’Institut Français S La compagnie est implantée à Nantes S La Compagnie Non Nova – Phia Ménard est artiste associée à Malraux scène nationale Chambéry Savoie et au TNB, Centre Européen Théâtral et Chorégraphique de Rennes S Création octobre 2011 à la Comédie de Caen, centre dramatique national de Normandie S L’Après-midi d’un foehn Durée 40 minutes À partir de 4 ans S VORTEX Durée 60 minutes Spectacle pour adultes
Présenté le 25 mars 2023 au Festival Vagamondes à La Filature de Mulhouse.