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Arts-chipels.fr

Et pourtant j’ai besoin d’amour. Au secours, Menie Grégoire !

Ménie Grégoire © DR

Ménie Grégoire © DR

Des hommes en détresse familiale, amoureuse ou sexuelle dans les années 1960-1970 s’adressent à la papesse people des relations de couple…

De 1967 à 1982, Menie Grégoire anime une émission de radio d’écoute et de parole sur RTL. Le directeur de la chaîne, Jean Farran, qui souhaite élargir l’audience, cible alors le public féminin. L’émission, animée par une femme, donnera la parole aux femmes en priorité. Elle aborde un thème alors passé sous le manteau d’un gaullisme fortement marqué par le conservatisme et une idéologie héritée du catholicisme : celui de la sexualité. Située en plein après-midi, à 15 h – au moment où les maris sont au travail et les enfants à l’école – l’émission « Allô, Menie », qui durera de trente minutes à une heure selon les périodes, se déroule en direct. Elle est composée de deux parties. L’une est consacrée au courrier et au commentaire qu’en fait l’animatrice, la seconde établit une communication téléphonique directe entre un auditeur ou une auditrice et Menie Grégoire qui analyse le problème posé et y répond. Le succès est immédiat, et la quantité de courrier reçue exige bien vite la mise en place d’une équipe pour trier, classer, sélectionner et retenir ceux et celles qui passeront à l’antenne.

"Allô Menie" dans les studios de RTL © DR

"Allô Menie" dans les studios de RTL © DR

Des thématiques de la gestion du quotidien

La vie courante est au cœur des préoccupations de cette femme bourgeoise formée, comme Françoise Dolto, par le psychanalyste René Laforgue. La mère au foyer ayant arrêté ses études pour élever ses filles se mue en prosélyte de la psychanalyse – elle animera également des thérapies de groupe. Ses centres d’intérêt : le foyer, la famille et le rôle de chacun dans la cellule familiale ; la sexualité et la santé sexuelle, souvent reliée au thème précédent, des préoccupations qui deviendront prépondérantes au fil du temps ; les sujets portant sur les difficultés économiques et le monde du travail. C’est dans le domaine de l’intime que l’émission prospérera au moment où l’essentiel des Français, encore conservateurs, peinent à parler sans tabou de la sexualité. D’ailleurs, les lettres reflètent cette autre France qui continue d’exister alors que la jeunesse, en pleine ébullition, met en cause le poids liberticide de l’héritage des parents.

Des hommes écrivent à une femme

Si le public féminin représente 80 à 90 % de l’audience, les hommes n’en sont cependant pas absents et c’est à eux que se consacre le spectacle, essentiellement centré sur le courrier qu’ils adressent à Menie Grégoire, l’ex petite « Marie » qui trouvait son prénom trop chrétien. Des lettres injurieuses nous ne saurons rien sinon qu’elles ont existé. Celles qui sont lues par la comédienne et les comédiens présents sur scène témoignent du désarroi des hommes à la période même où les femmes s’émancipent et où elles acquièrent le droit d’ouvrir un compte en banque et de signer des chèques sans autorisation maritale. Dans un décor composé de cartons d’archives, les comédiens extraient au fil du spectacle des témoignages à la fois bouleversants et cocasses, parfois complétés d’extraits de texte de Menie Grégoire ou de réponses qu’elle a faites.

© DR

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La grande misère de l’absence de communication

Ce que transmettent ces témoignages dans leur immense majorité, c’est l'impossibilité de leurs auteurs de confier à leurs proches ce qui les perturbe, parfois au point de les pousser au bord du suicide. Alors, « maman, bobo ! », ils s’adressent à cette étrangère qui leur prête une oreille attentive et compréhensive pour qu’elle les aide, les guide, les soutienne. Qu’ils parlent d’orgasme inexistant ou d’éjaculation précoce, qu’ils opposent les obligations familiales et la passion, qu’ils fassent état de divergences devenues insupportables au sein du couple, se plaignent de la frigidité ou du dégoût de leurs conjointe ou parlent de leurs difficultés à rencontrer l’âme « sœur », tous disent un écartèlement entre leur(s) désir(s) et la réalité et leur difficulté à se trouver une place. 

Les accents du vrai

C’est à la fois drôle et tragique. Parce que les détails qu’ils fournissent ne font grâce de rien à leur interlocutrice, que leurs hésitations transparaissent dans leurs écrits, intégralement donnés chaque fois, et que leur style est parfois bien éloigné de toute littérature. Parfois l’effarement succède à la compassion ou à la cocasserie des situations décrites lorsqu’on imagine un père de famille avec quatre enfants qui n’a jamais vu sa femme nue. Ils sont désarçonnés, perdus, perturbés, pris au piège de leur ignorance ou des certitudes qu’on leur a inculquées. Ils racontent des histoires dont la littérature est emplie, mais ils le font avec une sincérité confondante. Ils appellent à l’aide pour garder la tête hors de l’eau dans cette tentative de la dernière chance qui les lance, toute honte bue, dans un striptease du bout du chemin.

© DR

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Une version moderne des confidences à l’abbé Viollet ?

Dans les années 1930 déjà, l’abbé Viollet avait été le réceptacle de « cas de conscience » qu’il publiait dans une revue paroissiale, assortis de conseils qui entraient en résonance avec la doctrine de l’Église et de la bien-pensance. Les thèmes se recoupent avec ceux qu’on découvre dans la correspondance de Menie Grégoire et, dans les deux cas, la difficulté de vivre selon les commandements de la religion est avancée, quand croissance et multiplication occultent la question du désir et du plaisir et que les frustrations s’accumulent. Mais Menie Grégoire n’est pas l’abbé Viollet et sa compassion, sa volonté de ne pas juger mais d’aider forment les clés de son succès. Il n’empêche qu’en arrière-plan, même si elle considère qu’à son époque l’homme est encore un seigneur tout puissant qui peut se muer en brute, elle fait de la famille le noyau dur de toute son argumentation et, de ce fait, rejette l’homosexualité, « ce douloureux problème » – considéré comme une « maladie » par certain politique il n’y a pas si longtemps – qui lui vaudra l’irruption dans son studio, le 10 mars 1971, de militants du FHAR, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire. Ce que dessine en creux, en tout cas, cette plongée un demi-siècle en arrière qui fait de la correspondance matière à théâtre, c’est que, même si la société se transforme et évolue, le mal-être que traduisent ces témoignages n’est pas encore du domaine du passé. Les débats sur le genre qui agitent aujourd’hui la société sont une autre facette de cette difficulté à être soi-même, dans l’intime, dans un monde normatif et coercitif.

Et pourtant j’ai besoin d’amour. Au secours, Menie Grégoire !

Et pourtant j’ai besoin d’amour. Des hommes ont écrit à Menie Grégoire

S Spectacle à partir de lettres écrites par des hommes entre 1967 et 1973 à Menie Grégoire pour son émission « Allô Menie » sur RTL, ainsi que d’interviews et écrits de Menie Grégoire S Conception et mise en scène Étienne Coquereau S Avec Florent Houdu, Sophie-Anne Lecesne, Adrien Michaux S Scénographie Sarah Garbarg S Création lumière Léo Lequesne S Création sonore Nicolas Roth S Coréalisation Les Nouveaux Déchargeurs, Compagnie L’Affabulerie S Ce projet bénéficie de la bourse ADAMI Déclencheur S Soutiens La Touline à Azay-sur-Cher, la Barge de Morlaix, Le Colombier de Bagnolet S Durée 1h40 environ

Du 2 au 25 mars 2023, du jeudi au samedi à 21h

Les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs, 75001 Paris

www.lesdechargeurs.fr

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