14 Février 2023
Dans une Amérique nourrie des fantasmes de la littérature américaine, Fabrice Melquiot dessine l’errance d’une jeune femme à la recherche d’elle-même.
Un espace nu, un no man’s land où trône, seul élément de décor et source d’éclairage, vestige de notre société consumériste engrangeant des produits aseptisés, mis en boîte, une armoire de stockage alimentaire vitrée. Une jeune femme portant un énorme sac à dos apparaît. Elle taille la route, un jour ici et un jour là. Elle soliloque. Elle va perdre son père. Elle joue avec son ombre qui se projette sur le mur blanc.
Une traversée de l’Amérique artistique
Des silhouettes s’esquissent. Il est question de mère absente, de père nourricier et de père inconnu. Elle parle avec l’armoire. D’une enfance passée au milieu des fumettes de la beat generation. De la danse et de Cunningham. De l’artiste exilé. On passe par Tchekhov et sa peinture d’une société qui s’ennuie à en mourir. Les histoires s’entrechoquent. Les chorégraphes Jerome Robbins et Trisha Brown voisinent avec la poétesse Sylvia Plath, symbole suicidé – la tête dans le four et le gaz allumé – de l’oppression des femmes. Richard Brautigan, « le dernier des beat », emblème de la contre-culture hippie qui en termine avec la vie un jour d’octobre 1984 s’ajoute au minimalisme en apparence simple et familier d’un Raymond Carver dépeignant les drames des classes moyennes et populaires ou à la crudité ironique et provocatrice d’un Philip Roth.
Un autoportrait en zigzag
Peu à peu, dans le désordre, apparaissent des bribes d’autoportrait. Entre ces références qui tirent à hue et à dia se dessine une silhouette toute en accrocs et en tiraillements, bien nulle part et mal partout. La comédienne se contemple dans le miroir de son ombre, se cherche façon selfie, s’affole sous la lumière crue qui ne laisse rien passer. Elle tourne en boucle, revient, repart, ajoute, saccage. Par petites touches, escortés par Leonard Cohen, compagnon d’une errance qui s’enfonce dans le noir et dont les chansons reviennent comme un leitmotiv, remontent le souvenir de Suzanne, la mère chantée qui a laissé aller ce qu’elle aurait dû retenir, et derrière elle le cortège en miettes du passé. Armée de sa rage, engagée avec tout son corps, Sophie Desmarais, fascinante, balance son occupation frénétique et désordonnée de l’espace entre les murs transformés en écrans mémoriels de ses souvenirs. Entre explosion et fermeture, impudeur et fragilité, à mi-chemin entre anglais et français, elle teinte son errance américaine de son accent québécois. Une errance sans prix où un billet de un dollar peut valoir des millions…
The One Dollar Story
S Texte Fabrice Melquiot S Conception, musique, mise en scène Roland Auzet S Jeu Sophie Desmarais S Coproduction Act Opus, compagnie Roland Auzet, Le Groupe de la Veillée, Montréal S Création en mars- avril 2022 au Théâtre Prospero, Montréal S Durée 1h15
Du 9 au 17 février 2023, lundi - vendredi à 19h / samedi à 16h30
Les Plateaux sauvages - 5 Rue des Plâtrières - 75020 Paris