26 Février 2023
Qu’est-ce que la vieillesse ? Qu’est-ce que vieillir ? Qu’est-ce que l’âge d’un corps ? Angelin Preljocaj et Rachid Ouramdane explorent et répondent chacun à leur manière à ces questions fondamentales dans ce programme de deux pièces, produit par Aterballetto.
Les danseurs et danseuses ont toutes et tous passé.e.s la soixantaine avec des profils différents du moins côté Angelin Preljocaj. La diversité commence aussi dans l’acception de la différence quelle qu’elle soit. Mais la vieillesse est une « différence » un peu à part dans notre société, car c’est admettre et accepter la modification du corps et de ses possibilités. C’est aller vers la fin de vie, sujet tabou par excellence. Alors faire un spectacle avec des interprètes ayant passé la soixantaine est un vrai défi, un très beau challenge.. Les deux chorégraphes questionnent tous les deux les modèles de beauté, la virtuosité et les différences que l’âge du corps implique forcément sur la danse elle-même. Cela nécessite un rythme un peu plus lent, des portées moins hauts et moins fréquents mais le challenge reste le même, « the show must go on ».
Les deux chorégraphes répondent chacun avec une approche complètement différente. Rachid Ouramdane nous fait une proposition où l’humour et le clin d’œil sont associés au music-hall, symbole d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre avec deux interprètes « retraité.e.s », Darryl E. Woods et Herma Vos. Il s’attache à parler de la vieillesse du corps mais également de l’usure du temps sur toute chose, sur le corps donc mais aussi sur le couple et plus généralement sur les éléments que l’on pourrait idéaliser et croire « indémodable ». Il garde finalement les deux interprètes dans leur univers un peu désuet désormais bien qu’il leur offre un beau moment de danse. Rachid Ouramdane nous dit : « Le bûto et Kazuo Ohno par exemple, nous prouvent que le vieillissement n’est pas forcément synonyme de renonciation ou d’amoindrissement physique. D’où ce titre, « Un jour nouveau », qui ne sonne pas comme une fin mais au contraire comme un départ ». Rachid Ouramdane a donc choisi deux interprètes ayant eu une carrière dans le spectacle music-hall et les met en scène dans une prolongation de ce qu’ils étaient, paillettes, postures et enchainements. Avec humour et adaptation certes mais on est forcément dans une redite et une comparaison, je dirais presque un défi par rapport au passé, ou un hommage à ce qui était ; oui nous pouvons encore le faire, oui nous sommes toujours là, deux beaux et fringants retraités.
De son côté, Angelin Preljocaj nous offre une chorégraphie tendre, délicate, respectueuse et sensible avec ces huit interprètes qui ont aussi passé la soixantaine avec des profils très différents et qui représentent un large éventail de personnalités sans être forcément des professionnels de la danse. Pour Angelin Preljocaj, l’approche est complètement différente. Il part de ces interprètes, tels qu’ils et elles sont maintenant et non tels qu’ils ou elles ont été. Il construit une chorégraphie avec et autour d’eux. A l’instar de son travail avec les détenues des Baumettes, il n’est pas dans un hommage ou un regret, il est dans une pure création comme toujours, d’une justesse incroyable et d’une pertinence saisissante.
Au début, les danseurs et les danseuses sont en ligne avec des costumes dé-genrés comme dans beaucoup de spectacle désormais et commencent à danser. Une pointe d’humour à la fin de cette introduction. Ensuite un magnifique solo de Sabina Cesaroni avec une robe longue « à la Pina Bausch » sur une interview de Simone de Beauvoir expliquant pourquoi elle a écrit un livre sur la vieillesse. Elle danse sur le rythme des mots de Simone de Beauvoir et associe ainsi la justesse des mots et la précision des mouvements. Puis la troupe revient ayant changé de costumes et les figures s’enchainent, duo, unisson, ensembles jusqu’au moment où les interprètes se déshabillent en sous-vêtements couleur chair et dansent allongés par terre puis forment un groupe compact qui tourne sur lui-même. Ce moment du spectacle est saisissant de sensualité et de délicatesse. Oser montrer sur scène ces corps vieillissant et les rendre beaux est bien la marque du talent incroyable de ce chorégraphe. Et à cet instant du spectacle cela tombe sous le sens, parler du corps c’est aussi parler de sexualité, d’amour, de tendresse et tous ces aspects sont abordés sans fausse pudeur mais sans ostentation. Les duos amoureux sont délicats et sensuels. Montrer la diversité des corps dans la danse n’est pas encore si courant. On arrive doucement à dé-genrer ou non-genrer les costumes, parfois on arrive aussi à montrer des corps non conformes à la norme, c’est-à-dire plus petits que les autres ou plus rondelets, mais montrer des corps vieillissants, des corps usés ou marqués, jamais. Anna Teresa de Keersmaeker dans son dernier opus des six concertos brandebourgeois de Bach avait quelques danseurs et danseuses autour de la quarantaine mais c’était jusqu’à présent la limite d’âge
Parmi les interprètes quelques têtes connues tel que Elli Medeiros ou Thierry Parmentier mais aussi des moins connus du grand public telle que Sabina Cesaroni et d’autres complètement inconnus. Angelin Prélojcaj a également mélangé des danseurs et des non-danseurs pour au final former une troupe parfaitement harmonieuse et professionnelle.
Ce spectacle est un magnifique moment de danse plein d’émotions et de réflexions qui nous interpelle dans nos certitudes et nos a-priori. Salutaire et décapant !
Distribution
Un jour nouveau
Chorégraphie : Rachid Ouramdane
Musique : Jean-Baptiste Julien
Lumières : Stéphane Graillot
Avec : Darryl E. Woods et Herma Vos
Birthday Party
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Lumières : Eric Soyer
Collaboratrice costumes : Eleonora Peronetti
Avec : Mario Barzaghi, Sabina Cesaroni, Patricia Dedieu, Roberto Maria Macchi, Elli Medeiros, Thierry Parmentier, Marie-Thérèse Priou, Bruce Taylor