24 Février 2023
Ce seul-en-scène enfermé dans un univers parfaitement circonscrit offre à Thomas Drelon l’opportunité d’une performance d’acteur fascinante dans une histoire à double détente, à la fois comique et tragique.
Il franchit à petits pas précautionneux la barrière de la rangée de projecteurs qui se dresse devant lui. Un petit homme rétréci dans un costume trop étriqué qui tient dans ses mains, comme on se raccroche à une bouée de sauvetage, un cartable de cuir déjà fatigué. Il s’entraîne devant une glace imaginaire. « Bonjour. Je suis Monsieur Lazhar, votre professeur de français ». Il essaie toutes les combinaisons, tous les genres. Plus magistral ou plus familier, plus autoritaire ou plus bon enfant. Il teste la manière d’expliquer qu’il est le remplaçant de Madame Lachance – la mal nommée, comme on le comprendra plus tard. Il s’essaie à un premier contact imaginaire. Parce qu’il a été projeté là sans filet, sans liste d’élèves, sans information. Ne lui reste plus alors qu’à improviser…
Des fables entrelacées
De ses mêmes petits pas mesurés et prudents, il se déplace dans la prison que forment les deux barrières de projecteurs, le fond et le bord de scène entre lesquels il butte et tourne comme un animal en cage. Un côté de piste et le voilà dans le bureau de la directrice. Un autre et il atterrit au secrétariat. Un troisième et le voici confronté à un collègue professeur. Au centre il fait face aux élèves que le public incarne. Professeur et élèves s’apprivoisent progressivement mutuellement. La gêne des premiers instants, sans céder la place à une jovialité amicale, se fait moins pesante. Mais bientôt les cartes – qui comportent déjà quelques points d’interrogation sur la personnalité de Monsieur Lazhar, apparus dès son premier entretien avec les instances administratives – se brouillent. Des bribes de son passé remontent à la surface, le souvenir d’une famille, là-bas, dans le Maghreb – pas étonnant, avec son nom –, et les questions sur sa présence à l’étranger. Comme les pièces d’un puzzle qui se mettent en place lors de ce parcours mosaïque, les histoires se complètent et se mêlent. Incompréhension, hostilité, violence et rejet escortent alors la vie de cet homme qui établit peu à peu le contact avec ses élèves et cherche à s’effacer, à se cacher derrière sa façade d’être sans histoire, commis à son rôle d’enseignant.
Parler face à des murs
La force du texte – et la virtuosité du comédien – résident dans la forme du discours. Car Monsieur Lazhar parle à des murs qui ne lui répondent pas. Il réagit à des paroles qu’on n’entend pas, à des absences dont la loquacité ne fait aucun doute. Il esquisse une moue, hausse un sourcil, répond à des questions qu’on n’entend pas poser. Mais celles-ci n’en sont pas moins présentes. Elles acquièrent d’autant plus de relief que seule l’interprétation qu’en donne Lazhar nous est fournie par ses mimiques. Protestations timides qui se muent en véhémence rentrée, agacement masqué sous une impassibilité feinte, colère ou incompréhension réprimées de celui qui n’est pas en position de force exigent un jeu millimétré dans cet espace restreint dans lequel se déplace l’acteur. Du côté du public, si le rire est de la partie, il n’est pas exempt d’effroi. Car ce qui s’esquisse dans les creux de l’histoire est un drame qui ne nous est pas étranger. Les dialogues de Monsieur Lazhar avec le silence sont décidément fort éloquents…
Je m’appelle Bashir Lazhar d’Evelyne de la Chenelière
S Mise en scène Thomas Coste S Avec Thomas Drelon S Lumière Patrick Touzard S Production Théâtre des Béliers parisiens S Coréalisation Théâtre Lucernaire S Durée 1h10
Du 22 février au 9 avril 2023, à 19h du mardi au samedi à 15h30 le dimanche
Le Lucernaire 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Rés. www.lucernaire.fr • 01 45 44 57 34