25 Février 2023
En remontant dans l'histoire de trois générations de femmes et en confrontant leurs perceptions de leur statut et de leurs vies, Valérie Guillaudot interroge l’évolution de la condition des femmes de l’aube du XXe siècle à aujourd’hui.
Plus d’un siècle s’écoule entre la naissance, en 1902, de Marie, qui élèvera dix enfants dans une France agricole et catholique, et la vie de Valérie, aujourd’hui réalisatrice, productrice de documentaires et d'une chaîne régionale et formatrice installée en Ariège, qui a le sentiment d’être piégée dans sa fonction de mère de famille, même si elle ne porte plus la charge d’une exploitation agricole. Entre les deux bornes qu'elles représentent se place Odile, personnalité emblématique de la volonté des femmes, après-guerre, de gagner leur indépendance. Fille de Marie, elle est celle qui ne voulait pas d’enfant – Valérie est un « accident de parcours » –, celle qui a quitté la campagne pour travailler à la ville et est devenue fonctionnaire dans les années 1950. De Marie à Valérie, le cycle, au bout de trois générations, semble se refermer. Mais se referme-t-il vraiment ? Quel est le rapport d’hier à aujourd’hui ? Les rôles sont-ils vraiment redéfinis au sein de la famille ? Ce sont toutes ces questions que pose Valérie Guillaudot en interrogeant les membres de sa famille et l’historienne des femmes Michelle Perrot.
Mères d’autrefois
Les proches de sa mère évoquent la dureté des conditions d’existence des femmes d’autrefois, les travaux de la ferme – l’extérieur pour les hommes, l’intérieur pour les femmes avec la charge de nourrir les animaux de la ferme, l’entretien de la maison, le ménage, la cuisine et, bien sûr, la gestion des enfants quand elles n’assurent pas en plus les comptes de l’exploitation. Une double journée qui ne dit pas son nom dans un monde où le mari, une fois rentré, considère qu’il a accompli sa part et qu’il doit être servi, où la contraception n’existe pas, où aller contre les lois de « Nature » est pécher contre Dieu et où les grossesses à répétition ajoutent à la charge déjà lourde de la gestion de la famille.
Mères d’aujourd’hui dans un monde décroissant
Valérie Guillaudot et son mari peuvent apparaître comme représentatifs de la nouvelle génération de parents. Ils n’ont que deux enfants et ont fait le choix de quitter les fumées de la ville pour vivre en Ariège une vie plus « naturelle ». Le mari est souvent à l’étranger pour son travail. Elle discute bio avec les copines, jeunes mères ou femmes enceintes qui ont fait le choix de refuser la sujétion au travail et de mener une vie saine loin de l’agitation citadine. Elles parlent de couches lavables pour remplacer les couches jetables, évaluent jusqu’à quel point elles peuvent être décroissantes, font pousser leurs petits légumes au jardin. Mais Valérie Guillaudot en retire cependant un sentiment d’insatisfaction. Parce qu’elle a toujours eu une aversion des tâches ménagères. Parce qu’elle peine, peut-être, à se trouver un statut qui échappe à la vision « ancestrale » de la femme au foyer.
L’émancipation des femmes
Son interrogation la porte à se pencher vers celle qui l’a précédée, sa propre mère. Elle interroge la vie de cette femme qui a de toutes ses forces voulu échapper à la vie toute tracée dont on hérite à la campagne ; ne pas subir le harassement des tâches quotidiennes et les grossesses en chaîne, maîtriser sa propre vie. Elle se met en quête des témoignages de ceux qui l’ont connue, visionne les vieux films familiaux, recherche les photographies anciennes, se lance à la chasse aux souvenirs. Le mariage ? Sa mère n’y tenait pas plus que cela. Des relations hors norme ? Sans doute… Une histoire qui croise les premières mesures d’émancipation de la femme, la loi de 1965 donnant aux femmes mariées le droit de travailler, d’avoir leur propre compte bancaire et de signer des chèques sans l’autorisation de leur mari, la légalisation de la pilule contraceptive en 1967 et les difficultés pour l’obtenir dans certaines régions. Michelle Perrot accompagne ce parcours sur le chemin des femmes et de leur histoire, met en regard cas général et cas particulier.
Une famille dans toutes ses déclinaisons masculin-féminin
Les évocations se croisent, les souvenirs remontent à la surface, les langues se délient au travers des réunions chaleureuses qui rassemblent les femmes, font dialoguer les générations, hommes et femmes confondus, font revivre ces immenses réunions de famille d’autrefois qu’on voyait aux mariages ou aux enterrements où se trouvait réunie toute la parentèle. La bonne humeur circule, la convivialité aussi. Les questions sont mises sur la table. Elles sont à double tranchant, parlent de charge mentale des femmes, de responsabilité de la charge des enfants mais aussi de difficulté à se définir lorsqu’elles n’ont plus à le faire, et de la difficulté inversée des hommes à trouver leur place dans un nouveau système où chacun avance sans filet. Sans doute n’y a-t-il pas de réponse unique à la définition de ce que devrait ou pourrait être une famille. Au-delà des slogans qui mettent en case et à l’index, le film dit avec justesse que pour qu’hommes, femmes et enfants trouvent aujourd’hui l’équilibre qui permette à chacun de ne pas perdre sa vie et d’exister pleinement, on ne peut faire l’économie de la complexité.
Femme de mère en fille S France / 2022 / 74 minutes / couleurs S Film sélectionné aux Ecrans documentaires et au Festival de films Résistances. Sortie en salles le 8 mars 2023
S Un film documentaire de Valérie Guillaudot S Avec la participation de Michelle Perrot, historienne des femmes S Musique originale Jean-Paul Raffit S Directrices de la photographie Magali Chapelan, Gertrude Baillot S Ingénieur du son Gwladys Déprez S Montage Valérie Guillaudot avec la complicité d'Hélène Lioult S Mixeur Ilias Liosatos S Etalonneur Dany Tambicannou S Production Hélène Lioult, Airelles Production / Caméra au Poing S Format de tournage HD, Super 8 S Format de Projection DCP 5.1, fichiers HD Version VSM S Version anglaise avec le soutien de la DRAC Occitanie, des Régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, du Département de l'Ariège, de la Commune du Tallud et des souscripteurs S Distribution A Vif cinémas - Philippe Elusse