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Arts-chipels.fr

Du bonheur de donner. Une leçon d’humanité traversée par le théâtre.

Du bonheur de donner. Une leçon d’humanité traversée par le théâtre.

Il est plaisant, en ces temps d’invectives et de virulence sans nuance, d’entendre des paroles où percent compassion et solidarité. Les poèmes de Brecht, occultés par la place qu’occupe le théâtre de l’auteur, apportent une note très humaine qui réchauffe le cœur.

Sur scène, ils sont deux, perchés sur de hauts tabourets. La comédienne Ariane Ascaride et l’accordéoniste David Venitucci. Tout de noir vêtus, s’effaçant devant le texte à dire ou à saluer musicalement, attentifs au message que portent ces poèmes qui traversent toute la carrière de Brecht. Une petite sélection au regard des neuf tomes de poésie du dramaturge dans lesquels la comédienne puise, y ajoutant un peu de ce qui la compose, le théâtre, avec de courts textes extraits du Petit organon pour le théâtre où Brecht développe sa pensée théorique sur le théâtre et sur le jeu de l’acteur, de la Bonne âme du Se-Tchouan ou de Sainte Jeanne des abattoirs. Elle y ajoute, de-ci, de-là, quelques réflexions philosophiques en reprenant de courts extraits du petit cours de morale qu’offre Me Ti où se développe un dialogue imaginaire entre Lénine, Trotski, Anatole France, Feuchtwanger, Korsch – le maître de Brecht – et Staline ou les courtes Histoires de monsieur Keuner, autrement nommé « monsieur K. », qui n’est pas sans rappeler un certain Kafka…

Du bonheur de donner. Une leçon d’humanité traversée par le théâtre.

Frères humains…

Qu’il s’agisse de « Mon spectateur » qui « tenait serré dans ses poings un marteau piqueur », qui ouvre le bal, ou de ceux qui n’ont « pas d’abri […] pas d’ami », jusqu’à la putain Evlyn Roe qui rêvait d’atteindre la Terre Sainte en se donnant à l’équipage d’un bateau, à la stripteaseuse qui ne ressent rien à se déshabiller pour gagner sa vie, ou à la mère infanticide par trop de solitude et d’absence d’aide, c’est à une population de laissés pour compte que sont dédiés ces textes, qui invitent ceux qui possèdent, qui conservent par-devers eux ce qu’ils pourraient donner, à prendre conscience de leur comportement et à voir les tenants et les aboutissants de leur attitude. Dans une langue imagée, Brecht nous fait pénétrer dans ce monde où l’on brocarde la population des bas-fonds et des bidonvilles pour son « immoralité » parce qu’elle se verrait obligée « de fendre d’un coup de hache la tête de son prochain afin de lui faire céder le petit bout de jambon et le morceau de pain dont [elle] a besoin pour vivre ». Il y stigmatise la perte du sens du mot « service » et invite, presque « christiquement », n'était la personnalité de l'auteur, plus préoccupé de prolétariat que d'opium du peuple, à combattre l’injustice et à aider son prochain. 

Et tous ces exilés…

Aux laissés pour compte s’ajoutent les exilés et la détresse de ceux qui n’ont « qu’une cuiller pour vider l’océan » qu’ils doivent traverser, qui ont tout quitté, qui parlent une autre langue et qu’on ne comprend pas, ces ex-patriés, ces proscrits, ces é-migrés arrachés à leur sol et qui se retrouvent privés de la parole en terre étrangère, avilis en tant qu’hommes. Qu’ils soient Médée ou sans souliers, ils ont le même manque, la même difficulté à y trouver l'accueil qu'on leur devrait, à pénétrer dans un monde qui les rejette, le même sentiment d’arrachement, et les paroles qu’emploie Brecht pour les décrire pourraient s’appliquer tout aussi bien, aujourd'hui,  à ces « migrants » qui affluent, au péril de leur vie, sur nos côtes.

Du bonheur de donner. Une leçon d’humanité traversée par le théâtre.

Un parcours sensible

Ariane Ascaride met toute sa force de conviction et la chaleur humaine qu’on lui connaît à faire entendre ces textes qui parlent de compréhension mutuelle et de solidarité, oscillent entre la ballade triste et l’humour, font résonner ensemble voix du dedans et du dehors, mêlent réflexions et images et abordent aussi bien le rôle du théâtre et du « divertissement » que la question du rire ou de l'éducation. Sur son accordéon, instrument populaire par excellence considéré souvent comme le « piano du pauvre », une définition ici parfaitement adaptée au propos, David Venitucci s’insère dans ces poèmes, tantôt entre et tantôt avec, avec beaucoup de finesse et de sensibilité. À travers sa musique se reconnaissent les échos de Kurt Weill en même temps qu’une approche singulière, originale et musicalement très riche. Au-delà, dans un contexte où « il est difficile d’être bon dans un monde qui ne l’est pas, d’être juste dans un monde injuste », il fait bon entendre ces textes qui parlent d’humanité…

 

Du bonheur de donner de Bertolt Brecht

S Avec Ariane Ascaride S Musicien David Venitucci S Collaboration artistique Patrick Bonnel S En hommage à Marcel Bluwal S Production Agatfilms et Cie S Coréalisation Théâtre Lucernaire S Brecht est représenté par L’Arche – Agence théâtrale. S Les œuvres de Bertolt Brecht sont éditées par L’Arche éditeur. S Les œuvres figurant dans le spectacle sont extraites des tomes 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9 des Poèmes de Brecht, de Petit organon pour le théâtre, de Sainte Jeanne des abattoirs, de Me Ti, Livre des retournements, de l’Uppercut et autres récits sportifs, de la Bonne âme du Se-Tchouan et de Histoires de Monsieur Keuner.

Du 25 septembre au 31 octobre 2024, à La Scala, Paris https://lascala-paris.fr

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