16 Janvier 2023
Comme à chaque fois, Jean Claude Gallota nous réjouit l’âme, les yeux et les oreilles. C’est un spectacle d’une heure vingt, rythmé, inventif et transgressif. Les cinq danseuses et les cinq danseurs enchaînent les figures et les mouvements à un rythme incroyable. Pénélope est représentée par les cinq danseuses simultanément ou les unes après les autres. Cette multiplicité de la représentation de Pénélope donne un côté transgressif pour mieux déconstruire ce mythe, pour mieux coller aux côtés protéiformes des femmes, pour mieux explorer les différents aspects du personnage.
Pour Jean Claude Gallota la danse est un art rebelle par essence et une danse joyeuse qui donne de la joie, est forcément « résistante ». Ainsi, la première partie, intitulée « les prétendants » est purement provocatrice. Les danseurs en costume sont habillés des pieds à la tête et les danseuses, elles, sont en tenue sexy, plus ou moins déshabillées. Du coup, on se prend à s’interroger sur le côté déconstruction du genre de ce spectacle. Où en est-on de ce côté chez Jean Claude Gallota ? Je remarque que depuis quelques temps les costumes de certains spectacles de danse sont soient non- genrés et les danseurs ou danseuses ont le même costume, soient dégenrés et hommes ou femmes changent et portent des tenues féminismes ou masculines au hasard. Dans ce début de spectacle, les archétypes sont bien présents mais heureusement cela ne dure pas.
C’est très amusant de suivre l’évolution des costumes tout le long de la représentation et le partage des postures « affichées » féminines ou masculines. On est bien dans un spectacle qui parle aussi d’amour, de sensualité et de sexe avec des figures très érotiques et sensuelles, des pas de deux évocateurs et toujours à un rythme incroyable. Mais on est aussi dans une déconstruction du mythe de Pénélope, la femme fidèle qui attend son mari quoi qu’il arrive pendant toute une vie. L’image qui ressort de ces « Pénélopes » est plutôt l’idée de femmes modernes bien dans leur corps et maitres de leur destin. D’ailleurs, la deuxième partie s’intitule « les guerrières » et les danseuses sont au centre du ballet à l’inverse de la première partie.
Et pour finir, la dernière partie s’appelle « réconciliation ». Ainsi, Jean Claude Gallota nous offre une vision positive et apaisée des rapports amoureux, qu’ils soient homme, femme mais aussi homme, homme et femme, femme. Car oui ce spectacle parle aussi d’amour, parle aussi du couple, parle aussi de sexe et aussi bien sûr de pouvoir. La relation d’Ulysse et de Pénélope est, si on les érige en archétype, une posture de couple que nous pouvons retrouver dans beaucoup de couple. Il y a souvent un Ulysse et une Pénélope quel que soit son genre. Cela peut être l’homme ou la femme ou dans un couple homosexuel l’un des deux partenaires. Un très beau passage avec des duos, homme / homme, femme / femme et bien sûr femme / homme avec toujours des portés en groupe et des pas de deux magnifiques.
Une autre thématique très présente dans ce spectacle c’est le rapport au corps vieillissant et à la danse. C’est le rapport au corps vieillissant et à l’image de soi. Par deux fois des scènes filmées d’un couple vieillissant qui danse est projeté en avant-scène sur un écran avec en parallèle un couple du ballet qui danse en fond de scène. Les textes qui accompagnent ces films sont de Claude-Henri Buffard, compagnon de route de Jean Claude Gallota et sont saisissant de poésie et de sensibilité. Ils posent avec des mots pudiques et simples les questions récurrentes qui sont : peut-on danser à tout âge ? Comment notre corps vieillissant peut-il danser ? Comment peut-il garder sa sensualité ?
S’intéresser en 2023 à ce mythe de la femme soumise qui attend fidèlement son mari parti pendant des années était un pari risqué. Mais le talent et l’intelligence de Jean Claude Gallota en ont fait une œuvre complètement actuelle, étonnante de vitalité et de pertinence qui nous interroge et nous questionne sur bien des sujets autour du couple bien sûr mais aussi du genre et des rôles donnés à chacun dans notre société.
A voir délicieusement.
Distribution
chorégraphie : JEAN-CLAUDE GALLOTTA
avec : AXELLE ANDRÉ, NAÏS ARLAUD, ALICE BOTELHO, IBRAHIM GUÉTISSI, FUXI LI, BERNARDITA MOYA ALCALDE, CLARA PROTAR, JÉRÉMY SILVETTI, GAETANO VACCARO, THIERRY VERGER
musiques originales* : NOÉMI BOUTIN AVEC GÉRALDINE FOUCAULT ET MARIE NACHURY ; SOPHIE MARTEL ; ANTOINE STRIPPOLI
assistanat à la chorégraphie : MATHILDE ALTARAZ
textes et dramaturgie : CLAUDE-HENRI BUFFARD
lumières et scénographie : MANUEL BERNARD
assistant lumières : BENJAMIN CROIZY
costumes : CHIRAZ SEDOUGA
séquences filmées : PAUL CALLET
interprétations film : GEORGE MAC BRIAR ET BÉATRICE WARRAND
avec les voix de : DOMINIQUE LAIDET ET BÉATRICE WARRAND