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Arts-chipels.fr

Nagasaki. Sur le futon des occasions manquées.

© Eva And Gadenne

© Eva And Gadenne

Ce joli spectacle des menues choses qui composent la vie a le goût doux-amer des existences qui passent à côté d’elles-mêmes.

Monsieur Shimura n’est pas un révolutionnaire, loin de là. Homme d’habitudes, peu enclin au contact, il répugne à se lier avec ses collègues pour le déjeuner. Il préfère le bento qu’il s’est préparé et mange en solitaire sur un coin de table. Il est méticuleux, monsieur Shimura. Il aime que chaque chose soit à sa place, abhorre le désordre et planifie sa vie pour éviter tout hasard intempestif. Voilà cependant qu’un jour il a l’impression, dans son appartement, d’une présence diffuse. Alors il veille, remarque que le niveau de jus d’orage – dont il a soigneusement mesuré la hauteur – baisse dans sa bouteille. Il y a un intrus, il en est sûr bien que portes et fenêtres aient été verrouillées. Son appartement serait-il hanté ? Pour en avoir le cœur net, il fait l’acquisition d’une webcam qu’il relie à son ordinateur de bureau.

Une fable au croisement de vies rétrécies

La webcam lui révèle la présence d’une femme. On apprendra, au fil du déroulement de la pièce qui elle est et les raisons de sa présence. Parce qu’elle n’est pas là tout à fait par hasard, qu’elle a les clés de l’appartement. Lorsque Shimura-san rentre du travail, elle se réfugie dans la chambre d’amis – dont on se demande à quoi elle sert vu que Shimura n’a pas d’amis – et se cache dans le placard aux futons. On apprendra au fil du temps qu’elle n’a plus d’emploi et que, ne pouvant se loger, elle n’a trouvé comme ultime solution que de se faire toute petite, quasi invisible, pour s’effacer du monde comme le monde l’a effacée dans ce lieu où elle n’existe pas.

© Eva And Gadenne

© Eva And Gadenne

Un Japon très européen

La mise en scène ne folklorise pas le Japon. Point de kimono ni d’accessoire japonisant. Tout au plus la femme apparaît-elle dans une robe fleurie qui pourrait rappeler les motifs de cerisiers en fleurs qu’on connaît et Monsieur Shimura porte-t-il aux pieds des savates en guise de tongs. On pourrait ajouter l’une des lumières, qui renvoie aux lumignons de papier d’Extrême-Orient. Nous nous trouvons dans l’univers de l’évocation, non dans le champ du réel. De larges bandes de papier kraft formant cloisons renvoient aux parois de papier huilé des intérieurs japonais. Elles permettent des jeux de transparence et offrent des espaces de dessin qui accompagneront le déroulement du récit. Pas d’yeux étirés par le maquillage ou de coiffure qui évoqueraient le pays du Soleil Levant. Monsieur Shimura a les allures du petit employé modèle européen, la femme, dédoublée au travers de deux actrices sans complètement l’être pour évoquer celle qu’elle est et la jeune fille qu’elle fut porte un bonnet sur la tête et traîne un caddie de bric et de broc. Quant au musicien présent sur scène, qui escorte le personnage féminin en lui donnant parfois la réplique, c’est au bandonéon ou au violon qu’il s’exprime…

© Eva And Gadenne

© Eva And Gadenne

Des ombres attachantes dans leur petitesse

De sa fenêtre, Monsieur Shimura contemple les ruines de Nagasaki, détruite par la bombe lancée par les Américains, sur lesquelles sont demeurées fixées les ombres de ceux qui ont été volatilisés. Les anéantis, les néantisés que sont Monsieur Shimura et sa « locataire » sont à l’image de ces ombres qui hantent les lieux alors qu’ils sont inexistants, qu'ils ne laissent aucune empreinte. Ils n’aspirent à rien d’autre qu’à l’effacement, qui supprime douleur et souffrance, ou du moins les tient à l’écart. Leur rencontre sera à l’image de ce qu’est leur vie : un évitement perpétuel, des ratages accumulés, des croisements sans suite, des rendez-vous manqués. Un résumé somme toute assez poignant de bien des existences humaines…

© Eva And Gadenne

© Eva And Gadenne

Nagasaki. Adaptation du roman d'Éric Faye (publié chez Stock) par Olivier Cruveiller

S Mise en scène et adaptation Olivier Cruveiller S Collaboration artistique et mise en scène Barthélémy Fortier S Musique Laurent Valéro S Avec Nina Cruveiller (Elle, jeune), Natalie Akoun (Elle, plus âgée), Olivier Cruveiller (Monsieur Shimura) S Violon et bandonéon Laurent Valéro S Production Compagnie des Madones, Compagnie Ce soir-là c’était la neige S Soutiens Garage théâtre à Cosne sur Loire, Cresco de Saint Mandé S Durée 1h15

Ü Du 5 au 15 janvier 2023 Les jeudi, vendredi, samedi à 21h. Samedi et dimanche à 16h30

Au Théâtre de l’Épée de Bois – Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris – www.epeedebois.com

Ü Du 23 au 25 mars, du 30 mars au 1er avril, du 6 au 8 avril 2023 à 20h

Au 100 – 100, Rue de Charenton, 75012 Paris – www.ecs.fr

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