29 Janvier 2023
La scène est dans la pénombre avec des vêtements suspendus sur un côté. Un son de cloche, puis deux puis les danseuses arrivent lentement au rythme de ces carillons. Dorothée Munyaneza pour cette chorégraphie s’est entourée de cinq autres femmes artistes, Africaines ou Afro-descendantes, danseuses, poétesses, performeuses, qui viennent d’Éthiopie, de Rotterdam, de la Somalie, de Paris, de Bristol, de Séville, de Haïti et de Marseille, des parcours bouleversés à cheval entre l’Afrique et l’Europe. Et ensemble, elles racontent leurs histoires et leurs trajectoires. Il y a des histoires de retours, d’exils mais aussi de racines et de joie.
Il y a dans cette chorégraphie toute la profondeur et la gravité des histoires de rescapées et de déracinées. Il y a aussi et surtout un sentiment et une fantaisie immense de célébration et de puissance de la vie. C’est une œuvre qui part des douleurs et des souffrances, pour les sublimer en une poésie puissante qui s’appuie sur la célébration de la joie et de la vie. Oui la joie est une arme redoutable face à l’anéantissement. ».
La méthode de travail de Dorotheé Munyaneza est de créer un langage commun par l’improvisation et l’écoute. Elle travaille depuis toujours sur le langage, sur les paroles et sur les récits et les témoignages parfois très violents. Elle fait dialoguer la musique avec les récits, les émotions avec la danse. Elle transfigure la douleur en émotion positive et source de vie. Elle transforme la parole en mouvements. Dans ces spectacles antérieurs tel Unwanted elle avait écouté et retranscrit les émotions et les récits des témoignages de vies violentées parfois brisées dès le départ. Elle travaille sur des histoires de vie, sur son histoire bien sûr et aussi sur celles des autres qui parlent de l’exil, de la violence, de la perte mais aussi de la puissance de la féminité. Féminité qu’elle proclame et revendique pour elle et ses sœurs et toutes les femmes. Elle revendique le fait d’être vivante, d’être résiliente et d’être femme. Une très belle image de cette résilience est l’image de la mangrove, un des textes du spectacle dit : « nous sommes une famille mangrove car nous résistons à tout
Quand elle parle ainsi de femmes africaines ou afro-descendantes dispersées par l’histoire, elle parle de notre monde dans toute son horreur. Elle dénonce la traite négrière, l’esclavage, la colonisation car l’histoire du monde rejoint les histoires individuelles. Son propos est éminemment politique derrière la poésie. Dire est aussi proclamer. Raconter est aussi révéler. Il y a beaucoup de textes de Asma Jama qui sont d’une poésie brute et révoltée et qu’elle récite au milieu des danseuses, accompagnés par des textes créés pendant le travail de création.
Sur scène des habits suspendus nous interrogent, sont-ils là pour ceux qui ne sont plus là ? ceux dont on pleure la perte ? La scénographie ne demande pas de multiples effets comme pour certains spectacles, elle se base sur les mouvements du corps sublimés par la lumière et les costumes. Elle est tout dans la mouvance des corps et des matières, dans cette grâce des non-dits que les corps révèlent.
Les costumes sont très présents dans la scénographie. La particularité de ces costumes est qu’ils sont en maille, matériau privilégié de Stéphanie Couder. La maille est un matériau fluide avec cet aspect symbolique du tricotage et du tissage, deux techniques qui peuvent représenter le fonctionnement créatif de Dorothée Munyaneza. Les bleus et les oranges dominent, ce sont des couleurs complémentaires, et ils illuminent l’espace scénique en soulignant et accompagnant les mouvements des corps.
Dorothée Munyazena, est une artiste aux multiples talents, chanteuse, musicienne, danseuse, comédienne, auteur et chorégraphe. Elle est née à Kigali, au Rwanda, en 1982. Le 6 avril 1994, elle échappe au génocide des Tutsi au Rwanda. Elle est alors âgée de 12 ans. Elle se réfugie à Londres avec sa famille où elle fait toute sa scolarité. En 2004, elle compose et interprète la bande originale du film Hotel Rwanda de Terry George et participe, en 2005, à l'album Anatomic du groupe Afro Celt Sound System. A partir de 2006, Dorothée Munyaneza multiplie les expériences aux côtés de Mark Tompkins, Robyn Orlin, Rachid Ouramdane ou encore Alain Buffard. En 2013, elle crée sa compagnie Kadidi. en 2014 elle signe sa première création Samedi Détente. Elle présente sa seconde création Unwanted, en 2017 au Festival d’Avignon et qui sera présentée plus d’une centaine de fois partout dans le monde.
Ce spectacle m’a profondément émue et ce qui domine au final c’est la joie ; opposer la vie à l’horreur et par sa poétique brute et entière, il est un moment fort dont on se souviendra longtemps. Dorothée Munyaneza fait partie des chorégraphes qui marqueront leur temps. Bouleversant !
Distribution
Chorégraphie Dorothée Munyaneza
Collaboration artistique, scénographie « suspension » Stéphanie Coudert
Conseil scénographique Vincent Gadras
Musique Alain Mahé, Ben Lamar Gay, Dorothée Munyaneza
Création sonore Alain Mahé
Création lumière Christian Dubet
Direction de production et développement Emmanuel Magis (Mascaret), assisté de Maxime De La Fuente et de Nouria Tirou
Régie générale Marion Piry
Régie lumière Marine Le Vey, Anna Geneste
Régie son Camille Frachet, Alice Le Moigne
Remerciements Hlengiwe Lushaba Madlala, Zora Santos, Keyierra Collins
Avec Ife Day, Yinka Esi Graves, Asmaa Jama, Elsa Mulder, Nido Uwera, Dorothée Munyaneza