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Arts-chipels.fr

La Force qui ravage tout. Un exercice de style brillant et virtuose sur l’amour et ses effets dévastateurs.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Peut-on écrire un spectacle en ayant d’abord imaginé sa musique ? C’est la gageure que relève David Lescot, à la fois compositeur, auteur et metteur en scène, dans cette forme à mi-chemin entre théâtre et comédie musicale.

Sur le devant de la scène, une voix de « femme » élève, isolée dans son halo de lumière, un bel air baroque, accompagnée, derrière un voile de tulle, par quatre instrumentistes. Elle chante un air d’adieux – « Addio, Correo » – à l’homme qu’elle quitte pour un autre. L’air de Silandra est extrait de l’Orontea, une œuvre d’un compositeur italien du XVIIe siècle, Antonio Cesti, un moine franciscain qui sera bientôt relevé de ses vœux au profit d’activités plus profanes. L’opéra met en scène des personnages qui brûlent tous du même feu irrésistible de la passion. Mais dans ce jeu de l’amour et du hasard, certains demeureront fidèles, d’autres montreront leur inconstance. La volage Silandra est de ceux-là. On se retrouve l’instant d’après, à la sortie du spectacle. Les couples se pressent vers le restaurant le plus proche – pas le meilleur, mais bon, on fait avec ce qu’on a…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Une galerie de personnages hauts en couleur

Les spectateurs qui sortent sont de tous milieux. Ils vont par couples et en offrent des configurations disparates. Sont rassemblés la jeune femme que son compagnon a traînée là et qui ne sait pourquoi il lui a offert l’opéra ; Mona, une députée européenne en cheville avec un lobby agrochimique, accompagnée par son compagnon et mentor homme d’affaires ; une opposante de Mona préoccupée d’écologie et de santé publique et sa compagne ; un homme qui déteste l’opéra, venu avec sa femme d’une sensiblerie à faire pleurer dans les chaumières, et l’homme qui attend celui qui ne viendra pas. David Lescot dépeint leurs travers avec une ironie drolatique, teintée de férocité. On les suit en alternance dans les lieux qu’ils hantent – la rue, le restaurant, l’Assemblée… – y compris dans leur intimité au travers de savoureuses scènes de lit dans lesquelles ils se succèdent à un rythme effréné.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Chroniques de désordres amoureux

Mais bientôt tout s’embrouille. Les relations amoureuses de l’opéra « contaminent » les personnages qui finissent par adopter des comportements amoureux erratiques. La passion les égare. Ils jettent aux orties leurs oppositions politiques, agissent au mépris de leurs intérêts. Des histoires anciennes ressurgissent. L’espace de deux nuits et d’un jour, le mélange entre ce vertige fantasmé de l’amour incontrôlable et incontrôlé et les situations « réelles » s’enchaînent en chassés-croisés rythmés par des musiciens passés des cordes anciennes aux instruments électriques et reconvertis au pop, au jazz et à la soul music. Derrière le voile de tulle, la musique ponctue et accompagne ce dérèglement des sens qui s’empare des personnages.

La Force qui ravage tout. Un exercice de style brillant et virtuose sur l’amour et ses effets dévastateurs.

Une performance spectaculaire

Entre la réalité et ses dérives, il n’est bientôt plus vraiment possible de démêler l’écheveau, d’autant que la gestuelle chorégraphiée des comédiennes et des comédiens brouille les repères. Les personnages adaptent leurs déplacements au tempo de la musique avec un bel ensemble. Leur marche s’apparente à la danse, les dialogues sont scandés, artificiels, tandis que les airs, entre chanson et spoken word, un texte parlé qui porte la marque du rythme de la musique, alternent avec des échanges dialogués ramenés à des stéréotypes. L’interpénétration permanente entre théâtre, danse et musique rend les frontières floues. La pluralité des défroques que revêt chaque acteur contribue à ce passage entre des mondes qu’offre le mélange des esthétiques.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Des numéros impeccablement réglés

David Lescot avait déjà travaillé avec la même équipe pour son précédent spectacle, Une femme se déplace. La gestion de la complexité de la Force qui ravage tout s’en trouve facilitée. Les interprètes passent avec un brio incontestable du registre théâtral au registre musical au détour d’une phrase, dans le prolongement d’un mouvement. La pratique qu’ils ont du travail en commun avec le metteur en scène ouvre la voie à un spectaculaire exercice de style, mené sans anicroche. Il n’empêche qu’au bout, la succession époustouflante des séquences qui conduit au dérèglement et à l’impression d’un chaos généralisé, parfaitement maîtrisée, si elle séduit et amuse, n’émeut pas. On ressort avec l’impression d’une collection de numéros virtuoses considérés pour eux-mêmes. Mais peut-être est-ce là le propos. D’explorer un thème dans toutes ses facettes sans chercher à mener quelque part…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

La Force qui ravage tout

S Texte, mise en scène et musique David Lescot S Assistant à la mise en scène Aurélien Hamard Padis S Chorégraphie Glysleïn Lefever assistée de Rafaël Linares Torres S Direction musicale Anthony Capelli S Scénographie Alwyne de Dardel assistée de Claire Gringore S Costumes Mariane Delayre S Perruques Catherine Saint Sever S Lumières Matthieu Durbec S Son Alex Borgia S Avec Candice Bouchet, Elise Caron, Pauline Collin, Ludmilla Dabo, Marie Desgranges, Matthias Girbig, Alix Kuentz, David Lescot en alternance avec Yannick Morzelle, Emma Liégeois, Antoine Sarrazin, Jacques Verzier & les musiciens Anthony Capelli (batterie), Fabien Moryoussef (clavier, violon), Philippe Thibault (basse, contrebasse), Ronan Yvon (guitare, mandoline) S Production Compagnie du Kaïros S Coproduction Théâtre de la Ville-Paris – Centre dramatique national de Tours, Théâtre Olympia – Château Rouge, Annemasse – L'Archipel, scène nationale de Perpignan – Créteil – Maison des Arts – Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper – Théâtre Molière, Sète, scène nationale archipel de Thau – Théâtre de Rungis. S Accueil en résidence Théâtre de Rungis – Créteil, Maison des Arts – La Ferme du buisson, scène nationale de Marne-la-Vallée. S Avec le soutien du dispositif d'insertion professionnelle de l'ENSATT – département du Val-de-Marne – SPEDIDAM. La SPEDIDAM est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes interprètes en matière d'enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées. S David Lescot est artiste associé au Théâtre de la Ville-Paris. S La Compagnie du Kaïros est conventionnée par le ministère de la Culture, DRAC Île-de-France  SCréé au Théâtre de la Ville en janvier 2023 S Durée 2h 

TOURNÉE

5 décembre 2024 / L’Onde / scène conventionnée de Vélizy-Villacoublay

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