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Arts-chipels.fr

Derrière le hublot se cache parfois du linge. Derrière le domestique, le politique.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Les Filles de Simone et leur complice masculin traquent avec un humour impertinent et malicieux les mille et un détails de la vie quotidienne qui fondent l’existence des couples et la survivance, masquée ou pas, des comportements patriarcaux. Un florilège réjouissant en même temps que salutaire…

C’est un décor de bric et de broc qui nous accueille. Un lampadaire qui a vécu, des cartons, des vêtements épars, jetés à la va-comme-je-te-pousse dans un lieu qui tient autant de l'espace de vie indifférencié que de la salle de bains. Au centre de la scène, une machine à laver d’opérette trône. Son allure de carton peint ne trompe pas. Ce que nous propose la pièce, c’est un ersatz de quotidien, factice, non naturaliste, inspiré par l’univers de la bande dessinée, qui ne veut pas faire illusion mais montrer sa nature de tranche de vie recréée. Tout y est faux, même la plante aux feuilles de mousse verte et au pot en carton. Nous sommes dans un univers de conventions et d’elles il sera question.

Derrière le hublot se cache parfois du linge. Derrière le domestique, le politique.

Des archétypes de couples

Trois personnages – deux femmes et un homme – y évoluent en changeant chaque fois de rôle. De la petite princesse charmante, toute en fringues et en minauderies, et de la parfaite petite femme d’intérieur qui couve son époux et le couvre d’attentions à la mère débordée qui entame sa deuxième journée de boulot en rentrant ou à la féministe qui craque devant la force d’inertie de son compagnon, on balaie le large spectre des attitudes féminines au sein du couple. Un homme fournit la réplique masculine de cet échantillonnage. Il revêt une large variété de défroques, du parfait macho habitué qu’on le serve au mec paumé qui cherche à échapper au formatage de son éducation sans parvenir à faire autre chose que se rendre malheureux et de susciter l’ire de sa compagne. Il y a ceux qui ne voient pas pourquoi ça devrait changer et ceux qui ne savent pas comment, les mâles toxiques en robe de chambre griffée Superman et les « partage-des-tâches » qui font remarquer à tout bout de champ quel sacrifice est le leur et combien ils sont aidants et efficaces.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Du général à l'expérience vécue

Derrière le hublot se cache aussi du linge interroge les répercussions sur l’amour et le couple hétérosexuel des conceptions patriarcales dans lesquelles nous baignons, des représentations inégalitaires de l’amour que la société véhicule. La pièce s’inscrit dans la démarche des Filles de Simone de lier leur activité théâtrale à une réflexion militante où le travail de documentation et de recherche s’inscrit comme un préalable à la création. Ces références trouvent place dans le spectacle, quand la machine à laver-réceptacle déverse son content de citations. Si le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir occupe la place de glorieux ancêtre, on retrouve, parmi les « sources » qui alimentent la réflexion, des documents aussi divers que des romans, dont King Kong Théorie de Virginie Despentes, des bandes dessinées (les Sentiments du prince Charles et La rose la plus rouge s’épanouit), des podcasts, des essais (On ne naît pas soumise, on le devient, de Manon Garcia ou Réinventer l’amour, comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles de Mona Chollet). Faire du théâtre un outil de libération et d’égalité, c’est aussi pour les Filles de Simone anoblir ce qu’on tient généralement pour dérisoire, et révéler ce qu’il y a de politique dans le privé. Libérées ! le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale de Titiou Lecocq fournit à son tour un terrain d’exploration.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Histoires vécues

Ces réflexions sont mises en perspective par des exemples pris dans des expériences de vie. La véracité des attitudes et des situations puise dans l’observation par les Filles de Simone de leur quotidien et de celui de leurs proches. La tasse qui traîne indéfiniment et que, de guerre lasse, on finit par ramasser ou qui devient le leitmotiv d’une hostilité qui se renforce, le linge qui traîne au lieu d’être mis à la machine à laver, les anniversaires amoureux tombés aux oubliettes, la compagne ou le compagnon qu’on ne regarde plus et qu’on considère comme la table ou la chaise qu’on utilise sans y penser, ou la libido en berne sont autant d’événements anodins mais significatifs dont la répétition finit par engendrer des réactions potentiellement violentes. Les Filles de Simone traquent les responsabilités des deux bords, les habitudes héritées de l’éducation, les gestes qu’on accomplit presque malgré soi parce que des générations entières vous les ont transmises. Elles mettent à nu les comportements inconscients, appuient là où ça fait mal. À l’inverse elles exposent au grand jour l’inconfort que procure la volonté de changer d’attitude. Parce que le « J’suis pas bien mais j’me soigne », ça a aussi pour corollaire la trouille de ne pas faire comme il faudrait, l’autosurveillance perpétuelle, la culpabilisation…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Parce que c’était eux, parce que c’était nous

On rit beaucoup de ces splendeurs et misères de vies à la colle, révélées en toute cocasserie par les parties de ping-pong analytiques auxquelles se livrent actrices et acteur. Mais les situations qu’ils dépeignent nous sont connues. Nous les rencontrons dans notre propre quotidien, nous les vivons ou les avons vécues, elles nous concernent directement, elles sont partie intégrante de notre « patrimoine » – de notre « matrimoine » aussi, tant l’éducation des mères fait sienne ces valeurs non questionnées, transmises comme autant d’évidences. Si derrière le hublot se cache parfois du linge, c’est un tout autre enjeu qui tourne dans le tambour : celui de l’amour en ménage, du vivre-ensemble du couple, dans son infinie complexité, dès lors qu’on veut s’extraire du patriarcat…

© André Hébrard

© André Hébrard

Derrière le hublot se cache parfois du linge

S Création collective Les Filles de Simone S Avec André Antébi, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères S Direction d’acteur.ices Claire Fretel S Texte Tiphaine Gentilleau & l’équipe de création du spectacle S Création lumières Mathieu Courtaillier S Scénographie Emilie Roy S Costumes Sarah Dupont S Chorégraphie Jeanne Alechinsky S Création sonore Lucie Cravero & Théo Tiersen S Production & Diffusion Histoire de… Clémence Martens & Alice Pourcher S Administration Audrey Taccori S Production Les Filles de Simone S Coproduction l’ECAM au Kremlin Bicêtre, le PIVO - Pôle itinérant en Val d'Oise - Théâtre en territoire, scène conventionnée d'intérêt national « art en territoire », le Théâtre Paris Villette, la Ville de Riom, l'Orange Bleue à Eaubonne, le Théâtre Sartrouville Yvelines CDN, Les Scènes du Jura – Scène nationale S Avec le soutien de la Région Ile-de-France – Aide à la création ; du Fonds SACD Théâtre ; de la Mairie de Paris - Aide à la résidence artistique et culturelle Partenaires Monfort Théâtre Paris ; La Maison du Théâtre d’Amiens ; La Ferme du Buisson – Scène Nationale de Marne-la-Vallée ; l’Azimut - Antony/Châtenay-Malabry ; le Théâtre du Vésinet ; le Forum Jacques Prévert, Carros ; La Garance, scène nationale de Cavaillon ; La Manufacture Centre Dramatique National Nancy Lorraine ; Le Théâtre du fil de l’eau, Pantin ; Théâtre de l’Olivier Scènes & Ciné S La compagnie Les Filles de Simone est conventionnée par la DRAC Ile-de-France Ministère de la Culture et de la Communication

Du 14 au 30 septembre 2023 - Au T13 / Bibliothèque
Du lundi au vendredi à 20h et les samedis à 18h

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