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Arts-chipels.fr

Arrête avec tes mensonges. Quand la pression sociale est synonyme de négation de soi.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Autobiographique, le texte de Philippe Besson conte, à fleur de peau, l’expérience de la « différence » homosexuelle dans une petite ville de province. L’aventure des premiers émois d’une sexualité contrainte…

Cela commence presque banalement. Un écrivain célèbre évoque au micro son enfance dans une petite ville des Charentes à Barbezieux. Cinq mille habitants à peine, toujours sous le regard les uns des autres. Il en va de même pour le tout jeune lecteur du Club des 5 et du Clan des 7 qu’il est alors et qui n’échappe pas à la surveillance permanente et aux agaceries de ses camarades. Parce qu’il n’est pas comme les autres. Il y a au présent, près de quarante ans plus tard, ce déclic, un jeune homme entraperçu qui fait remonter le passé comme une vague irrépressible. Tandis qu’il parle, qu’il évoque cette différence qui le rend hors norme – ses centres d’intérêt, ses résultats scolaires, la certitude des autres qu’il n’est pas comme eux, qu’il partira – l'esprit de l'écrivain s’évade et sur l’écran qui ferme l’espace de la scène, s’ajoute cette houle qui le submerge, sa non affirmation « virile » et son émoi pour ce garçon dont il rêve : Thomas. Mais voici que son fantasme devient réalité. Premières étreintes homosexuelles, premières angoisses de ne pas savoir faire, premières inquiétudes d’être quitté par l’être aimé…

Arrête avec tes mensonges. Quand la pression sociale est synonyme de négation de soi.

Dans les tourments d’un amour clandestin

L’écran-rideau se lève pour dévoiler le caractère précaire, clandestin que revêt, dans cette ville où tout se sait, cette union de « pédés ». Étreintes éphémères en vérifiant chaque fois que l’on n’est pas épié, lieux de rendez-vous incommodes, sordides mais secrets, à l’écart, indifférence simulée des rencontres quotidiennes, qui-vive permanent pour que rien ne transpire. Passer du sexe à l’amour, cesser de se mentir, apprivoiser l’autre, vaincre les réticences qui tiennent au poids de la société s’y ajoutent. Car face à face se trouvent un fils de paysan, englué dans le cul des vaches dont il ne pourra sortir puisqu’il héritera de la ferme paternelle, et un enfant promis à un avenir « radieux » d’intellectuel dans une grande ville, qui échappera à son milieu. À travers ces deux destins se mesure la force des déchirures sociales et des interdits, qui classent, rangent, ordonnent, amenuisent les aspirations individuelles, tuent les rêves dans l’œuf. La séparation est au bout du chemin. Elle ne manque pas le rendez-vous.

© Vincent Boujon

© Vincent Boujon

Un récit en zigzag pour relier début et fin

Philippe Besson évoque avec justesse et sans pudibonderie mais aussi sans ostentation vengeresse la souffrance intime qui accompagne la mise aux normes qu’impose la société. L’histoire se promène des années 1980 à aujourd’hui dans un va-et-vient perforé de recherches entreprises, de fuites constatées, de petits événements qui ramènent chaque fois le narrateur-protagoniste vers ce passé jamais réglé qui continue de le hanter. Scènes du passé rassemblant Philippe et Thomas adolescents, scènes du présent où se rencontrent le fils de Thomas, rentré dans la « normalité » un soir de cuite, et retours sur sa silhouette qui erre autour du romancier s’enchevêtrent dans un lieu scénique en mutation perpétuelle. Raphaël Dufour, en narrateur et écrivain devenu adulte, est tout en énergie ramassée, en intériorité passée au filtre d’une pensée qui chemine en musique entre récitatif et chant. Quant à Mariochka et Étienne Galharague, ils sont épatants, la première en Philippe passionné, tout en ardeurs adolescentes, qui se livre tout entier, le second en gestes arrêtés, en élans réprimés, en alternance d’abandons et de resurgissements des mécanismes de défense.

Loin du plaidoyer en chaire et des slogans mille fois distillés par les mouvements revendicatifs, à la croisée du sentiment de différence développé par Didier Éribon dans Retour à Reims ou par Annie Ernaux dans la Place et de l’incompréhension familiale dépeinte par Jean-Luc Lagarce dans Juste la fin du monde, le spectacle dit l’intime, la destruction vécue de l’intérieur, la blessure jamais cicatrisée causée par le jugement des autres et par leur attitude. Et cela, c’est très fort.

Arrête avec tes mensonges. Quand la pression sociale est synonyme de négation de soi.

Arrête avec tes mensonges. Texte de Philippe Besson
S Mise en scène Angélique Clairand et Éric Massé S Avec Raphaël Defour, Étienne Galharague, Mariochka, la participation dAnna Walkenhorst et, en alternance, Angélique Clairand et Éric Massé S Vidéo Vincent Boujon S Lumières Juliette Romens S Composition musicale Bertrand Gaude S Son Anna Walkenhorst S Coach vocale Myriam Djemour S Construction, conception décor Didier Raymond S Costumes Laura Garnier S Régie générale Nathan Teulade S Régie Jean-Louis Portail, Yann Nédélec S Production Marion Bouchacourt S Diffusion Pascal Fauve S Production le Théâtre du Point du Jour et la Compagnie des Lumas S Avec le soutien de la Spedidam, du Dièse # Auvergne-Rhône-Alpes, dispositif d’insertion de la Comédie de Saint-Étienne, du GEIQ Théâtre, de l’Onda S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national; accueil en résidence à la scène nationale 61 S En coréalisation avec le Théâtre de la Tempête S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et la ville de Paris S Durée 1h25

Du 7 janvier au 5 février 2023, du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30

Théâtre de la Tempête - Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre – 75012 Paris

T. 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr

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